Les historiens pensent généralement que c’est le révolutionnaire Iakov Sverdlov (1885-1919) qui a donné l’ordre d’exécuter la famille impériale russe en 1918 à Iekaterinbourg, ville qui portera d’ailleurs le nom de Sverdlovsk pendant toute la période soviétique. Issu de la petite bourgeoisie juive, il a tout pour devenir bolchevique. Pourtant, si l’on joue au petit jeu de la prédestination sociale, l’on risque bien de se tromper, car ses sept frères et sœurs n’ont pas tous suivi le même chemin. Et c’est le destin extraordinaire de son frère Yeshua qui nous intéresse ici.

Au départ, comme son frère cadet, Yeshua est un rebelle, mais la rencontre avec Maxime Gorki va peu à peu le changer. Le grand écrivain russe pousse le jeune homme dans la carrière théâtrale puis l’encourage à se convertir à l’orthodoxie, en 1902. Celui-ci prend alors le prénom de Zinovi et le véritable nom de famille de son parrain, Pechkoff. Pour ne pas être enrôlé dans les armées tsaristes au moment de la guerre Russo-Japonaise (et c’est paradoxal lorsque l’on connaît la suite de sa vie), celui que l’on appellera désormais Zinovi Pechkoff fuit la Russie pour l’Europe du Nord, puis l’Amérique et enfin l’Italie, via… la Nouvelle-Zélande ! Rien dans la vie de Zinovi ne suit une ligne bien droite. À Capri il redevient le secrétaire de Gorki qui s’y est installé. Et c’est à Rome qu’il rencontre Vladimir Ghika pour la première fois, au début de la Grande Guerre, non sans avoir fait entre temps un séjour dans la Légion Étrangère française et avoir été amputé du bras droit. Les deux hommes s’apprécient visiblement. Le jeune Russe, toujours prêt à s’engager à fond, donne des conférences sur les horreurs de la guerre avant de… se réengager dans la Légion et, fort de son énergie, de sa bonne connaissance de nombreuses langues et des bonnes manières, de devenir une sorte de diplomate officieux de la France, aux États-Unis (pour les faire entrer en guerre), puis en Russie (pour qu’elle poursuive le combat), où il retrouve son frère cadet Iakov et constate leur complet désaccord.

Après guerre, Zinovi alterne les petits commandements au sein de la Légion et les missions diplomatiques difficiles au nom de la république Française aux quatre coins du monde. C’est au cours de la Guerre du Rif, en 1925, qu’il perd une jambe, la gauche cette fois, « pour faire symétrie » ironise-t-il. Ses hommes le surnomment « le manchot magnifique » !

Alors qu’il s’ennuie quelque peu dans un poste militaire au Maroc, il écrit à Vladimir Ghika : « Quant à moi, affreusement peiné de ce qui se passe dans le monde, je continue à travailler, à servir, au mieux de mes forces, mais bien souvent je commets le péché de regretter d’être vivant, de n’avoir pas été tué au cours de la Grande Guerre… pour ne pas être témoin de cet affreux présent avec toute la déchéance morale du monde d’aujourd’hui. – Parfois, j’ai l’envie de quitter l’armée et de me réfugier quelque part pour ne rien faire, rien savoir, rien entendre et rien voir… mais, je reconnais que ce sont-là des faiblesses impardonnables. » Rassurons-nous, il n’aura pas le temps de s’ennuyer. La guerre éclate de nouveau. La France est vaincue… mais pas Zinovi Pechkoff, qui rejoint de Gaulle en Angleterre, se met à son service, lui servant d’énergique diplomate et meneur d’hommes du Sud de l’Afrique jusqu’en Chine, pour finir la guerre, lui qui n’a jamais vraiment suivi de formation militaire, avec le grade de… général de corps d’armée !

Sa tombe, au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, au sud de Paris, porte, à sa demande, pour seule inscription : « Zinovi Pechkoff Légionnaire ».

Articol publicat într-o formă restrânsă în Actualitatea creștină, nr. 3/2021, p. 27.