Dida Solomon-Callimachi, Mademoiselle Julie (1898-1974)

Un boyard qui épouse une jeune et belle actrice, ça n’a rien d’extraordinaire, l’on en connaît de nombreux exemples. Ce boyard, c’est Scarlat Callimachi, dont nous avons déjà évoqué la figure. La belle actrice, c’est Dida Solomon, qui se fait connaître, en 1922, dans le rôle de Mademoiselle Julie, rôle-titre d’une pièce d’Auguste Strindberg.

Mais eux sont différents, car ce qui les réunit, ce n’est pas le théâtre, mais plutôt l’art en général et la poésie en particulier. Scarlat édite ainsi une revue d’avant-garde, Punct – Revistă de artă constructivistă, à laquelle participent, excusez du peu, Ilarie Voronca, Victor Brauner, Ion Vinea, Marcel Iancu et quelques autres. Dida y publie quelques poèmes. Dans l’un d’eux, intitulé « Pensées de Noël », paru en janvier 1925, l’on trouve la très ferme affirmation que « Dieu est plus mort que les morts. »

Faut-il en déduire que si Dida a accompagné son mari dans son combat artistique et politique, elle ne l’aurait pas suivi dans sa foi chrétienne ? Dida Solomon, comme son nom l’indique, est issue d’une famille juive. C’est pourtant elle, Dida, et non lui, Scarlat, qui va rendre visite à Vladimir Ghika à partir de 1938, à Paris, puis à Bucarest, à de nombreuses reprises.

A-t-elle alors des ennuis matériels et pense-t-elle faire appel à un compatriote qu’elle sait charitable ? N’oublions pas qu’elle a dû fuir son pays pour des raisons d’anticommunisme et d’antisémitisme devenus politique d’État en Roumanie dès avant 1939. Il semble bien qu’à Paris, la situation de Dida Callimachi, quoique précaire, ne soit pas trop mauvaise, elle a d’ailleurs trouvé quelques engagements, comme celui-ci, qu’elle évoque dans une lettre à Vladimir Ghika du 13 mai 1939 : « Nous avons reçu votre belle pièce et nous vous en remercions[1]. J’ai été très émue en la lisant. Je joue ce soir, dans la salle Saint-Pierre à Neuilly et demain, dans le rôle d’Hérodiade – pièce de l’abbé Barry[2] (vicaire à Saint-Pierre-de-Neuilly) Marie Madeleine – serais heureuse si vous veniez m’honorer de votre présence. » Évidemment, c’est un petit rôle…

Alors pourquoi se rendre chez Mgr Ghika ? Pour se convertir ? Les papiers laissés par Vladimir Ghika ne laissent pas entendre qu’elle ait fait partie de ses catéchumènes.

Et l’on ne trouve aucune réponse non plus dans son livre de souvenirs[3]. Au contraire du roman autobiographique de son mari Scarlat, le livre de Dida est politiquement bien-pensant, pour l’époque, elle n’y parle guère que de théâtre, absolument pas de religion ni de politique. Il est même étrange que le substantif ou l’adjectif « juif » soit totalement absent du livre. Aucune mention par exemple du fait qu’elle ait été contrainte de jouer dans la troupe du théâtre juif Barașeum de Bucarest pendant la guerre. Sa carrière théâtrale aura d’ailleurs beaucoup à pâtir, avant 1945, de son origine, mais aussi de son engagement politique, et, après cette date, de son désengagement… et peut-être encore de son origine…

Au fond, sans doute a-t-elle surtout besoin d’un réconfort moral devant toutes les vicissitudes auxquelles elle est soumise. Elle écrit ainsi à Vladimir Ghika, le 1er janvier 1939 : « [Je] me rappelle souvent votre bonté, précieux souvenir en mon cœur depuis que je vous ai connu. »

Et puis, au fond, si l’on revient à cette idée de 1925, dont on a supposé l’athéisme de Dida Callimachi, « Dieu est plus mort que les morts », peut-être pourrait-on l’interpréter autrement… car la mort peut être aussi vue comme la vie éternelle et donc Dieu, si l’on reprend le vers, serait finalement plus éternel que toute vie éternelle…

[1] Il s’agit très certainement de la Femme adultère.

[2] Lecture incertaine.

[3] Amintirile domnișoarei Iulia, Editura Cartea Românescă, București, 1974.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 9 / 2021, p. 27.