L’artiste peintre ukrainien Wladimir Polissadiw serait mort assassiné à Paris en 1941. Par qui ? Dans quelles circonstances ? Nous n’en savons rien. Et c’est justement là l’un des traits de cet homme passé comme un météore dans le ciel artistique de l’entre-deux-guerres et n’ayant laissé qu’une trace fugace.
C’est le Père gréco-catholique polonais Tadeusz Rzewuski[1] qui met Vladimir Ghika en contact avec l’artiste ukrainien en décembre 1923. Et Vladimir Ghika, qui, comme on le sait, avait un sens artistique aigu, apprécie les œuvres de son « tizu[2] » comme il ressort d’une lettre de Stanislas Fumet de janvier 1924.
Wladimir Polissadiw n’est pas, comme beaucoup de ses compatriotes se trouvant à Paris dans l’entre-deux-guerres, un Russe Blanc ayant fui le bolchevisme. Sa venue en Occident date d’avant 1914. Son ami le peintre Henri Charlier dit qu’il a fui la Russie pour échapper à la persécution religieuse après sa conversion au catholicisme et son mariage avec une uniate ukrainienne. Arrivé à Rome, on l’envoie se former à la peinture à Paris, centre mondial alors de l’avant-garde artistique, mais aussi de l’anticléricalisme. Polissadiw raconte : « Quel dommage d’être obligé d’aller vivre dans un pays athée et matérialiste ! Mais je n’y étais pas depuis 5 mois que je me rendais compte que le vrai pays catholique c’était le France.[3] » Car il y rencontre un groupe de jeunes artistes catholiques formé autour du peintre Jacques Brasilier (1883-1965) et qui a pris pour nom la Rosace.
Mais si Paris est peut-être un lieu de grande effervescence artistique, les temps sont durs pour des artistes venus des quatre coins du monde, sans le sou et en quête de reconnaissance. Wladimir Polissadiw cherche auprès de Vladimir Ghika un soutien spirituel et moral, bien entendu, mais aussi un mécène. Si l’artiste, qui est marié et père de famille, demande au prêtre quelque aumône de temps en temps, il attend aussi beaucoup de lui pour obtenir des commandes ou vendre ses œuvres grâce à ses relations.
La misère est telle que Polissadiw préfère en rire et en faire une association d’artistes intitulée la Misère Noire qu’il présente ainsi : « La Misère-Noire est une association d’artistes d’art religieux au régime aristocratique, aux sentiments guerriers (…). Le but de l’Association : Art spirituel aux tendances larges, populaires, universelles, modernes et la bonne humeur (…). Les chevaliers de la Misère-Noire sont ou des enfants prodigieux en art (…), ou d’anciens enfants mûris par des années de privations et de souffrances acceptées volontairement pour ne pas renoncer à l’âme de l’enfance et ne pas devenir grand. » Tout est là chez Polissadiw : ne pas devenir grand. Cela se voyait dans son accoutrement : « il était vêtu d’une longue tunique et se coiffait d’un turban de couleur vive.[4] » Il n’aimait pas travailler son art, comme le rapporte son ami Henri Charlier : « Polissadiw était très doué, mais se refusait à travailler. Un jour où je lui disais d’étudier, il me répondit : “Si j’ai du génie, je n’ai pas besoin d’étudier.”[5] »
Vers la fin de sa vie, il écrit à un ami : « J’ai démoli tout ce qui m’a été proche de sang et de chair et je suis devenu un “errant” sur cette terre ! Quelle douleur, car il n’y a plus rien à y faire : je fais partie des réservistes de l’armée du Christ… Même dans mes vieux jours il ne me reste rien pour vivre.[6] »
[1] À ne pas confondre avec le Dominicain Alex-Ceslas Rzewuski.
[2] En roumain, ce mot indique le lien existant entre deux personnes portant le même prénom.
[3] Lettre d’Henri Charlier au Père Georges Schorung du 26 mars 1966 (Archives Vladimir Ghika).
[4] François Laignier, Henri Charlier, peintre et sculpteur (1883 – 1975), pp. 17-18 http://www.presencedescharlier.org/biographie/vie_hc_mai2009.pdf.
[5] Lettre d’Henri Charlier citée plus haut.
[6] Cité par Valentine Marcadé, Art d’Ukraine, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1990, p. 231.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 6 / 2022, p. 27.