Documents présentés par Luc Verly
1910 est une année agitée pour l’Église Catholique de Roumanie. Pourtant, cette année-là avait bien commencé et Mgr Raymond Netzhammer, depuis 5 ans archevêque de Bucarest, s’était senti assez tranquille pour faire une visite à son ami le Père François-Xavier Lobry, Lazariste, à Constantinople. Il laissait, comme à son habitude en son absence, les rênes de l’archevêché à Mgr Joseph Baud, curé de la Cathédrale et protonotaire apostolique. Mal lui en prit, car, s’il avait laissé à son départ son diocèse dans le grand calme, il le trouva très agité à son retour. Ce sont ces événements, que l’on a appelé « l’Affaire Joseph Baud », que nous allons essayer de décrire ici au travers de documents d’époque.
L’affaire Baud a déjà été traitée, et bien traitée, par l’historien Dinu Bălan et nous renvoyons les personnes intéressées à cet excellent article[1]. Cependant, l’auteur n’évoque qu’en passant le rôle qu’a joué Vladimir Ghika dans cette affaire et il n’a pas eu connaissance semble-t-il de l’article publié par Vladimir Ghika dans le journal catholique français La Croix, sous le nom de Romanus, et que nous présentons en annexe. Il n’évoque également que très secondairement les dissensions qui existaient alors dans l’Église Orthodoxe et qui font justement l’objet principal de l’article de Vladimir Ghika, expliquant au passage l’ampleur qu’a pu prendre cette affaire en dehors du contexte historique général et de la place de l’Église Catholique dans le Vieux Royaume très bien expliquée par Dinu Bălan.
Plutôt que de partir de l’article de Vladimir Ghika, il nous a semblé plus clair de suivre l’affaire à travers les yeux de Mgr Raymond Netzhammer, qui, si l’on reprend ce qu’il en dit dans son Journal, permet de bien comprendre les tenants et les aboutissants de l’affaire. Nous allons donc suivre toute cela en suivant les pas de Mgr Netzhammer, en n’oubliant pas de rappeler la dette que l’on doit à Nikolaus Netzhammer et à Krista Zach, pour avoir publié ce journal dans sa langue originale, en allemand, et à George Guțu, pour l’avoir traduit en roumain[2].
Nos interventions seront modestes : des transitions entre les longues citations du Journal de Mgr Netzhammer et quelques notes de-ci de-là, l’apport principal et nouveau de cet article étant, rappelons-le, le texte de Vladimir Ghika publié en annexe, mais celui-ci ne parlant de l’affaire Baud que dans un cadre plus large, nous avons préféré une autre voie d’accès, qui nous a paru plus claire et simple. L’on trouvera également en annexe le témoignage tiré des mémoires d’un autre protagoniste important de cette affaire : Marius Theodorian-Carada[3].
Donc, pour commencer et entrer dans le vif du sujet, retrouvons Mgr Netzhammer à Constantinople :
Constantinople, vendredi, 8 avril 1910[4]
Arrivés à Saint-Benoit, Lobry[5] nous a montré des journaux de Bucarest en langue française, un numéro de l’Indépendance Roumaine et un de la Roumanie. L’on pouvait en tirer que Baud avait affirmé dans une lettre adressée au journal roumain Seara que le métropolite [orthodoxe] de Bucarest, Calinic Miclescu[6], décédé voilà 25 ans, serait devenu catholique avant de mourir et qu’il existerait des documents qui pourraient le prouver. Il ne ressort pas clairement quelle a été la raison de cette initiative. Le P. Lucius[7] est d’avis que Baud voudrait me montrer comment gérer le diocèse et qu’il se serait complètement planté.
Plus Mgr Netzhammer se rapproche de Bucarest, plus les nouvelles sont alarmantes. Mais ce n’est qu’arrivé à son siège de Bucarest que l’archevêque se rend vraiment compte de l’ampleur de la menace qui pèse sur son Diocèse.
Bucarest, dimanche, 10 avril 1910[8]
On ne pouvait s’imaginer que l’effet de la lettre de Baud, adressée au journal Seara, était si grave, comme on a pu l’apprendre en revenant au pays[9]! (…). Je cherche d’abord le corpus delicti, la lettre de Baud, rédigée en roumain et adressée au quotidien Seara. Elle a été écrite le samedi 2 avril, et elle dit comme ça :
Monsieur le directeur !
Je lis dans votre estimé journal n° 70 du dimanche 21 a.c., qu’« un haut prélat » vous aurait dit que le clergé catholique répandrait la nouvelle que le défunt métropolite Iosif Ghiorghian serait passé au catholicisme à l’heure de sa mort. Comme Mgr Iosif Ghiorghian, quand il était en vie, nous a témoigné une grande sympathie ; comme Sa Grandeur m’a fait personnellement l’honneur de son amitié, je tiens à déclarer qu’il est absolument inexact que Mgr Iosif Ghiorghian soit passé au catholicisme « et que personne n’a jamais affirmé cela ». Cependant la vérité est que Mgr Calinic Miclescu, sur son lit de mort, a professé la foi catholique et a été absout par Mgr Iosif Palma ; et sur ce fait réel il existe bien des documents. Je profite de cette occasion, en qualité de responsable intérimaire de l’éparchie de Bucarest, en l’absence de notre archevêque, Mgr Raymond Netzhammer, qui se trouve actuellement en voyage en Asie Mineure, pour donner un démenti catégorique et absolu aux rumeurs ridicules relatives au fait que le catholicisme se mêlerait « aux luttes intestines qui ont lieu au sein de l’Église Orthodoxe ». En vous remerciant de l’hospitalité que vous voudrez bien donner à ces lignes, je vous prie d’agréer, M. le directeur, l’assurance de toute mon estime et de ma considération.
Chanoine Iosif Baud, protonotaire apostolique.[10]
Le quotidien Seara a publié cette lettre dans son n° 72 le lundi 4 avril, l’accompagnant d’un commentaire acide !
La publication de cette lettre a immédiatement déclenché de manière absolument spontanée une immense indignation et une fronde indescriptible, qui s’est abattue comme une tempête sur la capitale et sur l’ensemble du pays. Un cri d’horreur a éclaté provenant de toutes les couches de la société contre l’affirmation inouïe, incroyable et absolument calomnieuse venant d’un étranger comme quoi le métropolite du pays, Calinic Miclescu, serait devenu catholique sur son lit de mort ! De tous les coins du pays ont surgi des contestations et des manifestations de protestation ! Les gens n’en revenaient pas que ce coup provenait du Père Baud, que tous estimaient, que l’on croyait être un homme très intelligent et fin et qui jouissait de la plus haute considération à la cour, au sein du gouvernement et parmi les diplomates étrangers !
À peine le journal Seara était-il arrivé à Iași, que le métropolite Pimen de Iași[11] a télégraphié au président du Sénat pour combattre avec la plus vive énergie l’affirmation de Baud et pour annoncer une interpellation au Sénat, dès qu’il lui serait possible de se rendre à Bucarest. Entre temps, M. D. G. Moruzi[12], à la Chambre, a interpelé le Président du Conseil des ministres concernant la déclaration de Baud. Il a relaté entre autres le fait qu’au moment du décès du métropolite Calinic, il était préfet de Bucarest et s’était trouvé là avec d’autres personnes, au palais métropolitain, quand les prêtres [orthodoxes] ont donné la communion au moribond. L’affirmation de Baud ne pouvait donc être vraie ! Le Président du Conseil des Ministres, Brătianu, a répondu qu’il était bien convaincu de la vérité des faits relatés par M. Moruzi concernant le défunt métropolite Calinic et qu’il considérait les déclarations du journal en question comme lettres mortes. Si l’archevêque catholique, homme très sérieux, a poursuivi Brătianu, n’était absent en ce moment, il aurait empêché qu’une chose pareille soit publiée. Il est clair que l’Église Catholique ne doit pas se mêler des affaires de l’Église Orthodoxe. Brătianu a conclu par cette phrase : « Si les personnes qui n’appartiennent pas à l’Église Orthodoxe ne le comprennent pas, alors nous saurons les contraindre à le comprendre. »
Très vite sont apparues dans les journaux des prises de positions de la part des personnes qui ont vécu dans l’entourage proche du métropolite Calinic, comme par exemple M. Cornoiu[13], qui a été plusieurs années directeur de la Métropolie, et trois clercs orthodoxes qui ont soigné le métropolite immobilisé sur son lit de mort[14]. Dans un long article dont l’introduction comportait une grave calomnie à l’égard de l’Église Catholique, l’archimandrite Evghenie Humulescu[15] relate ce qui s’est passé lors de l’administration de l’extrême-onction, c’est-à-dire la visite de M. Sturdza et d’autres messieurs, sur le fait que peu de temps après le métropolite a perdu connaissance et est resté dans cet état pendant deux jours, jusqu’à ce que sa mort survienne le 14 août 1886. Humulescu demande : « Comment un prélat catholique aurait-il pu intervenir dans de telles conditions ? » – L’on a de même imprimé à partir du Moniteur Officiel de 1886 la description des dernières heures de vie du métropolite Calinic[16]. On devait tirer de là combien l’affirmation du chanoine Baud avait été mensongère.
Ayant vu le terrible effet de sa lettre mal inspirée, Baud a essayé d’atténuer ses affirmations par un assez long entretien accordé à l’un de ses amis du journal Seara. Il y dit qu’il n’avait eu que l’intention d’absoudre son ami, le métropolite Gheorghian, de la calomnie qui courait qu’il s’était fait catholique. Malheureusement il ne s’était pas limité à cela et avait fait référence au métropolite Miclescu. Et il n’avait pas voulu dire autre chose que le fait que Miclescu, à la fin de sa vie, aurait reconnu le patriarche de Rome au lieu de celui de Constantinople, sans changer pour autant sa foi. En ce qui concerne les preuves, Baud a dit dans l’entretien qu’il les présenterait dans la mesure où le gouvernement les demanderait. En tous cas, il suggérait d’attendre d’abord le retour de l’archevêque Netzhammer. Au final, Baud a la naïveté de s’ériger en quelque sorte en sauveur de l’actuel métropolite Athanasie Mironescu[17], à qui il aurait évité, avant son élection, un procès relatif à un plagiat. Il est évident que son intention était de détourner l’attention et de changer les attaques de direction[18].
Cette nouvelle apparition de Baud a mis de l’huile sur le feu ! Le mouvement a pris une ampleur encore plus grande. À partir de mercredi, les journaux que nous avons eu sous les yeux portent « La Propagande catholique » comme titre permanent, en lettres très capitales. Dans les journaux font leur apparition tous les vieux chevaliers trempés au combat anticatholique, sans se limiter aux seules affirmations de Baud, mais apportant avec eux leurs vieux harnachements. Il en est ainsi de Baba Novac[19] dans Epoca et du vieil académicien Erbiceanu[20] dans Seara. (…) L’Union des prêtres orthodoxes de Bucarest, “Ajutorul” (l’Entraide), a organisé dans ses locaux, en présence d’environ 200 membres, une manifestation de protestation, qui s’est dirigée ensuite vers la Colline de la Métropolie et a exprimé sa soumission et sa sympathie envers son supérieur ecclésiastique. Les prêtres orthodoxes de Iași, Ploiești, Craiova, Giurgiu, etc., ainsi qu’une centaine de séminaristes orthodoxes ont protesté de même contre Baud et ont envoyé des télégrammes à Bucarest. – I. G. Miclescu, avocat, neveu du métropolite Miclescu, a adressé une lettre ouverte à Baud[21]. L’archimandrite Bartolomeu Stănescu a lui aussi beaucoup à dire à Baud par l’intermédiaire du journal, tout comme le Père Theodorescu de l’église Amzei de Bucarest. Dans un long entretien, l’ancien métropolite Ghenadie, qui maintenant regarde l’herbe pousser au monastère de Căldărușani, intervient lui aussi dans la discussion ; il se loue d’avoir toujours su tenir les catholiques éloignés de lui. L’interpellation annoncée au Sénat par M. Râmniceanu[22] présentera un caractère particulièrement dangereux, car elle est directement dirigée contre nos établissements d’enseignement. Mais le mouvement le plus problématique qui nous soit contraire est mis en scène par les dames roumaines de la haute société, par le fait qu’elles lancent un appel belliqueux au métropolite Athanasie et au gouvernement. Toutes ces manifestations sont dirigées contre le chanoine Baud et demandent son expulsion immédiate du pays.
La catastrophe se rapproche ! Samedi matin, le journal gouvernemental Viitorul publie, sous le titre « le Chanoine Baud regrette », une rétractation formelle de Baud. Il adresse une lettre écrite en français à un ami du journal Viitorul ; le journal la publie dans sa traduction en roumain. Son contenu est bizarre, il nous est incompréhensible, le voici :
Très honoré monsieur,
Merci pour votre bienveillance. Malade depuis huit jours, j’ai été influencé pour ce que je ne voulais pas dans cette malheureuse lettre. Je ne voulais absolument pas parler du défunt Métropolite Calinic, n’ayant pas de preuves en main. – Croyez bien que ce n’est que la maladie qui m’a rendu victime de si grande erreur, qui ne me cause que de graves ennuis et du bien à personne.
Après trente années passées honnêtement ici, je ne me serais pas permis de faire quoi que ce soit qui put déplaire. Le mal qui m’a terrassé est seul cause de cette absence de volonté et d’intelligence.
Veuillez agréer…
Chanoine Joseph Baud
Viitorul place avant la lettre l’observation sensationnelle selon laquelle le chanoine Baud regretterait amèrement son acte irréfléchi et qu’il se plaindrait à tout le monde qui serait prêt à l’écouter, que la faute appartiendrait à messieurs Vladimir Ghika et Marius Theodorian[23], qui l’auraient contraint, soi-disant sans son consentement, à leur céder la lettre.
Dans le même journal, Viitorul, après la lettre, suit l’annonce selon laquelle le chanoine Baud aurait quitté le pays hier (vendredi) par le train de 5h pour le sud de la France. (…)
La Mère Supérieure Pucci[24], tenant un enfant orphelin par la main, est entrée, abattue. Elle est indignée au plus haut point par l’imprudence de son curé. Les dégâts seraient incalculables et la honte encore plus grande ! La rétractation de Baud stigmatiserait les catholiques en tant que menteurs et diffamateurs ! (…)
Parmi mes visiteurs je compte aussi M. Theodorian. Il est calme et maître de soi, même s’il est fâché contre Mgr Baud, qui lâchement n’a osé soutenir son affirmation et ses fameux documents, que personne n’a vus ! Theodorian raconte brièvement que Vladimir Ghika et lui ont rencontré Baud par hasard ce samedi-là. Celui-ci aurait été révolté et prêt au combat et aurait voulu absolument répondre aux attaques des clercs orthodoxes par une lettre publiée dans un journal. À leur remarque que cela ne correspondrait pas à la tactique suivie par l’archevêque, Baud aurait purement et simplement répondu qu’il ne faut pas toujours laisser les orthodoxes nous marcher sur les pieds. Il leur aurait ensuite demandé de l’aider à rédiger la lettre. Theodorian dit que M. Vladimir Ghika me fera un rapport écrit sur cette entrevue, dès qu’il sera rentré de Vienne où il aurait accompagné sa mère.[25]
Par Mgr Kuczka[26] j’apprends que M. Bogdan-Pitești[27] aurait servi d’intermédiaire pour l’interview de Baud à Seara, et que M. Stavri Brătianu[28] aurait discuté avec Baud au nom du Président du Conseil des Ministres. Kuczka suppose que M. Ionel Brătianu a demandé à Mgr Baud de lui montrer les documents, qui ne semblent pas être plus significatifs que ça ; avant leur remise, l’on dit qu’ils ont été rapidement copiés par le vicaire pour Mgr Baud. Le départ précipité du pays aurait été fait sur ordre. Il est probable que Baud ait obtenu du gouvernement l’argent du voyage, sans que cela ne soit vraiment établi. Mgr Kuczka m’a ensuite remis la lettre suivante de Baud, qui m’était adressée :
Votre Éminence !
À votre retour vous apprendrez des choses très tristes. Je suis très abattu et incapable d’écrire. Tombé malade le lendemain de Pâques, je suis resté alité toute la semaine. Samedi je suis un peu sorti de ma torpeur. Il semble que cela ait été une circonstance néfaste car le soir messieurs Vladimir Ghika et M[arius] Theodorian sont venus me voir pour me dire qu’il fallait répondre aux diffamations d’un manifeste des popes dirigé contre nous. M. Theodorian a composé la lettre, dans laquelle se trouve une proposition que je désapprouve. Je crois que vous ne contesterez pas ce que j’affirme. Hélas ! J’ai quand même signé, alors que j’avais demandé que l’on attende le lundi. Leur insistance, ma fatigue, mon épuisement ont beaucoup contribué à ce que je fasse ce geste mal inspiré, étranger à mon caractère. Presque trente ans de travail à mon poste le prouvent.
La tempête déclenchée, les dégâts produits sont indescriptibles ! Tout le monde se réjouit d’avoir en main une arme à diriger contre nous et l’on en use largement. J’ai dû partir dans l’intérêt général. J’ai plus souffert pour vous et pour le roi que pour moi-même.
Il faut reconnaître que mon honnêteté est absolue, que le fait, même s’il a n’a pas été présenté comme il le fallait et l’a été inutilement, est exact. Je crois que les mesures prises contre nous ont été exagérées. Je n’ai pas cru devoir publier les preuves, car je pensais que le remède serait plus grave que le mal. J’ai préféré supporter l’assaut. – Mon départ va calmer les esprits et je le désire de toute mon âme. M. Stavri Brătianu m’a dit que le premier ministre pense qu’il est mieux que je parte immédiatement, pour un mois ou deux, afin d’éviter la honte d’un décret d’expulsion, mesure qui lui répugnerait et qui lui serait impérieusement demandée. Je vous prie de m’excuser, de me bénir et d’agréer l’expression de mon entière vénération.
Chan. Joseph Baud
Il semble donc qu’il existe tout de même des preuves de la conversion du métropolite Calinic Miclescu au catholicisme ! Il faut maintenant tout mettre en œuvre pour les identifier. Baud ne m’a malheureusement pas indiqué la voie à suivre.
Mgr Netzhammer a bien compris que, n’ayant pas à disposition les preuves de ce qu’a avancé le chanoine Baud, il ne peut pas contre-attaquer et donc doit faire le gros dos, le temps que la tempête se calme. Une semaine se passe, et les flots restent agités :
Dimacnhe, 17 avril 1910[29]
Baba Novac se montre particulièrement hostile dans un nouvel article intitulé « les Sycophantes », dans Epoca. Il demande même mon expulsion[30]. – A aussi éclaté de la manière la plus véhémente l’attaque contre l’église unie de la rue Polonă. Cette nouvelle église depuis le début est la cible d’attaques[31]. Mgr Baud aurait dit dès avant son départ qu’il devrait se retirer de lui-même sinon l’église Saint-Basile serait détruite ! Tous les journaux fulminent intempestivement contre le curé, le Père Bălan, que l’on qualifie de renégat, aux côtés de Theodorian, de Vladimir Ghika et d’une poignée de dames catholiques roumaines[32]. L’on demande en général son expulsion du pays. L’on impute notamment à Bălan une lettre qu’il a écrite à deux religieuses roumaines de Țigănești. Ces nonnes orthodoxes ont d’abord vécu au monastère de Nămăiești, elles se sont converties au catholicisme de rite byzantin et ont fait en sorte d’être envoyées de Bucarest à Constantinople, chez les sœurs catholiques de l’ordre de Saint-Vincent. Elles sont plus tard revenues dans la capitale roumaine. Elles ont fui d’ici et ont prié le monastère [orthodoxe] Țigănești de bien vouloir les recevoir. C’est là que la lettre de leur ancien confesseur de l’église unie leur est parvenue,. La lettre fait le tour des journaux et tout le monde demande à grands cris l’expulsion de l’épistolier[33].
Une semaine se passe encore, mais ce temps a permis à notre prélat d’aiguiser ses armes.
Lundi, 25 avril 1910[34]
Une dame de la haute société de Bucarest m’a mis sur la piste des fameux documents ! Elle a transmis à Paris une lettre de moi, adressée à M. Alexandre Guasco[35], secrétaire général de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, et j’ai rapidement obtenu une copie authentifiée du document que je cherchais.
L’Œuvre internationale de Propagation de la Foi soutient le diocèse de Bucarest depuis de nombreuses années en lui accordant jusqu’à aujourd’hui des montants considérables. Au moins une fois par an, l’on envoie à cet office, qui a son siège à Lyon et à Paris, un rapport détaillé de l’état du diocèse et des principaux événements de l’exercice budgétaire en cours. Dans son rapport officiel pour l’année 1886, Mgr Palma raconte en détail et en précisant bien la chronologie des faits, les lieux et les personnalités concernées, sa dernière visite au métropolite Calinic, au domicile de ce dernier. Le métropolite était malade. Il devait encore faire une tentative de guérison par une cure thermale. Calinic voulait encore reporter sa profession de foi catholique après son retour de cure. Palma a attiré son attention sur le fait qu’il ne pouvait prévoir ce qui allait arriver ; ils ont donc convenu que le pas devait être franchi de suite. L’archevêque catholique lui a présenté la formule et celui-ci l’a répétée après lui. Ce fut la dernière visite de Palma chez le métropolite, qui était son ami. Calinic est parti en cure, il en est vite revenu et a attendu sa fin, sans que Palma ne puisse le voir une dernière fois.
Le secrétaire général Guasco a ordonné que le passage en question soit copié pour moi et que la copie soit authentifiée. – Il est probable que le jeune Père Baud (il a été ordonné prêtre le 14 mars 1882 et promu chanoine dès 1886), à la date de conception de ce rapport, avait la fonction de secrétaire de Mgr Palma et c’est ainsi qu’il a pris connaissance du mémorable rapport, conçu en français, auquel il faisait sans cesse référence, sans jamais le montrer à personne et qui lui est maintenant devenu fatal – l’on dit que M. Stavri Brătianu aurait dit que Baud n’aurait été en possession que d’une lettre de Mgr Palma annonçant la conversion du métropolite Calinic.
Faire un usage public du rapport de Palma serait rééditer le scandale Baud ! Dans mes discussions privées je n’hésite pas à en parler[36].
La stratégie de Mgr Netzhammer est donc claire : il ne faut pas donner du grain à moudre aux agitateurs qui ne rêvent que de cela pour faire scandale et notamment pour avoir une occasion de nationaliser les établissements d’enseignement catholiques, dont Mgr Netzhammer est si fier, à juste titre, et dont il veille de très près au développement et au succès. Pour lui, ces établissements sont un moyen pour maintenir les enfants de ses ouailles dans leur culture nationale, car les catholiques du diocèse de Bucarest sont, à cette époque, essentiellement étrangers, Allemands et Austro-Hongrois surtout, et donc il faut les maintenir dans leur culture religieuse catholique. C’est aussi un moyen, par la qualité de l’enseignement délivré, d’attirer les enfants des grandes familles roumaines orthodoxes et de leur inculquer au moins le respect du catholicisme, si ce n’est de les convertir. C’est d’ailleurs bien cela que les nationalistes roumains reprochent à ces écoles : elles sont un « abcès » étranger au cœur de la Roumanie, elles dénationalisent les jeunes Roumains, en tant que Roumains mais aussi en tant qu’orthodoxes. Rappelons que la Roumanie de 1910 n’est formée que du Vieux-Royaume et donc que les orthodoxes y forment l’écrasante majorité de la population.
La contre-attaque de l’archevêque ne peut donc se faire que par le haut. Il faut convaincre les autorités politiques et ecclésiastiques de faire cesser les attaques contre l’Église Catholique en les menaçant de faire éclater la vérité sur la conversion de Calinic Miclescu en publiant le document authentique de Mgr Palma. Et comme en Roumanie, à l’époque comme aujourd’hui, ce sont les autorités politiques qui imposent leurs vues à la hiérarchie ecclésiastique, Mgr Netzhammer, plus d’un mois plus tard, demande à rencontrer le Premier Ministre, qui est, à l’époque, Ionel Brătianu.
Samedi, 11 juin 1910[37]
[Audience chez le Premier ministre Ionel Brătianu :]
– M. Theodorian est-il donc impliqué dans une seconde politique, occulte celle-là, différente de la vôtre, de sorte qu’il a empêché Rome de fournir une réponse ?
– Non, je ne crois pas du tout ! En aucun cas Theodorian n’a reçu quelque mission de la part d’un responsable romain ! En outre, le rôle joué par Theodorian dans l’affaire Baud est assez négligeable !
– J’ai d’autres informations en mains !
– L’initiative de répondre aux orthodoxes, d’une manière ferme et en faisant des révélations concernant le métropolite Calinic, est partie du seul Baud !
– À ce sujet Mgr l’archevêque est très certainement mal informé !
– Au contraire, je sais être très bien informé ! Votre Excellence ne connaît pas Baud ! Il est tout simplement tombé victime d’une petite vanité. Il a voulu se donner un peu d’importance en public, dans sa position d’intérimaire de l’archevêque. D’ailleurs il n’a même pas eu cette fonction car je ne lui ai transmis, comme à chaque fois que je me suis absenté, que des pouvoirs juridictionnels purement spirituels. Messieurs Theodorian et Vladimir Ghika, qui se sont vus par hasard chez Baud, se sont au départ opposés en général à une réponse dans un journal, car une telle attitude était contraire à mes usages. Baud les a ensuite incités à rédiger le document. Le chanoine a eu toute liberté pour modifier la lettre, pour ne pas la signer et surtout pour ne pas l’expédier. Baud a envoyé la lettre à Seara après le départ de ces deux messieurs !
– Cela ne correspond pas à la relation que j’ai pu entendre !
– Votre Excellence ! Monsieur Vladimir Ghika m’a écrit un rapport de huit pages sur cette rencontre chez le chanoine Baud[38] et sur la manière dont est née cette malheureuse lettre, et Vladimir ne ment pas ! Je suis profondément peiné pour le chanoine Baud, pour lequel je nourris une grande sympathie, qu’il ait écrit, signé et expédié cette néfaste lettre ; cependant sa deuxième lettre me paraît totalement incompréhensible !
– De quelle lettre parlez-vous ?
– Celle où il se rétracte ; elle est pitoyable, c’est une falsification !
– Mais c’était la seule solution[39] !
– Cette lettre n’est que mensonge de bout en bout ! Il est vrai que Baud a rendu un grand service au gouvernement et à l’Église Orthodoxe par son démenti, mais il a, à cette occasion, été très dommageable à sa propre Église. La manière dont il a procédé a été en général très bizarre ! Au début, l’on croit Baud concernant le document, et ensuite il doit signer une lettre dans laquelle il dit ne disposer d’aucune preuve ! Cela me paraît inconcevable !
– C’est comme ça, on ne pouvait faire autrement ! En ce qui concerne le document, c’est comme un secret de confession ; l’on ne doit rien en connaître !
– Ce document n’a rien à voir avec un secret de confession !
– Malheur à nous s’il était jamais publié ! Dans ce cas, Rome elle-même devrait fournir un démenti !
– Rome ne ferait jamais une chose pareille ! Le rapport de Palma est adressé à l’Œuvre de Propagation de la Foi, et celle-ci n’est pas dirigée par des clercs, mais par des laïcs. Le rapport lui-même ne peut être contesté. Jusqu’à présent personne n’a eu intérêt à le rendre public ; moi-même je n’ai aucun intérêt à le faire, mais je vous le dis : malheur si le harcèlement mené contre nous se poursuit ! L’on sait parfaitement où se trouve le rapport. L’original est à Paris, je m’en suis procuré une copie authentifiée, Votre Excellence possède la copie de Baud, et Baud en a fait faire une copie avant de vous la remettre.
– Mon exemplaire n’est pas authentifié ! Terminons ! Pour moi il n’existe aucun document sur la conversion au catholicisme du métropolite Calinic ! J’aimerais ensuite que la politique catholique en Roumanie soit menée par le seul archevêque, et, enfin, j’attends de votre part que vous gardiez sous contrôle messieurs Theodorian et Vladimir Ghika ![40]
La démarche de Mgr Netzhammer a très certainement fait son effet car, à la suite de cet entretien, Ionel Brătianu a bien senti, ce qu’il savait sans doute déjà, qu’il avait affaire à un homme au fort caractère, qui n’hésiterait pas, au contraire de son chanoine monégasque qui avait courbé l’échine et fui devant les menaces, à publier le document qui aurait prouvé la conversion du métropolite primat Calinic, dont le souvenir était si respecté par les orthodoxes, alors que ses successeurs étaient si décriés tant au point de vue de leurs mœurs que du point de vue dogmatique[41]. La conversion de Calinic Miclescu est un clou dans le pied de l’Église Orthodoxe. C’est ce qu’exprimera le grand homme politique que fut Take Ionescu à Mgr Netzhammer quelques années plus tard : « C’est justement parce que ces faits sont vrais et si douloureux pour les Roumains qu’il a été effroyablement stupide d’en parler publiquement.[42] »
Cependant les esprits restent encore agités. Et une manifestation anticatholique est prévue pour le lundi 20 juin 1910. Pour la désamorcer, Mgr Netzhammer demande à s’entretenir avec le ministre des Affaires Étrangères, Alexandru Djuvara[43].
Lundi, 20 juin 1910[44]
Vendredi passé j’ai fait une démarche auprès de M. Djuvara, ministre des Affaires Étrangères, contre les festivités annoncées. (…) J’ai exprimé mon étonnement que le gouvernement n’a pas empêché, en son temps, le soi-disant Te Deum pour « repousser le danger catholique », alors que l’on connaissait déjà les révélations du chanoine Baud. Le gouvernement aurait dû se souvenir que le roi et ses héritiers au trône sont eux aussi catholiques. C’est du passé, mais pour ce qui est de la semaine prochaine, il est envisagé une nouvelle manifestation contre nous, accompagnée même par une procession dans les rues de la capitale. Vu qu’un tel événement ne calmera pas les esprits, mais aura plutôt pour conséquence le réveil des passions, il faut l’empêcher. Au bout du compte, les provocations continues contre nous pourraient nous déterminer à prendre nous aussi des mesures, qui ne plairaient pas au gouvernement lui-même ! Aussitôt le ministre s’est mis à dire du mal de messieurs Marius Theodorian et Vladimir Ghika et, comme son chef de gouvernement, il s’est mis à parler d’une politique catholique à deux visages. J’ai énergiquement protesté contre l’idée que les actes et les écrits de Theodorian doivent être vues comme étant l’émanation des organes catholiques et j’ai déclaré que, en ce qui concerne la lutte personnelle menée par Theodorian contre le métropolite Athanasie, je n’acceptais pas que me soit attribuée à toute force quelque responsabilité en la matière. À la fin de la conversation, le ministre m’a assuré qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour contribuer à calmer les esprits et a exprimé l’espoir que moi-même, de mon côté, je fasse de même.
Le Te Deum et la procession ont cependant eu lieu aujourd’hui. Le P. Lucius a regardé la procession. Elle était exclusivement composée de clercs orthodoxes et elle n’a pas excellé par son ampleur ni par son caractère imposant. Aucune personnalité officielle laïque n’y a participé. Selon le journal Seara, le métropolite, dans son allocution, a nommé les catholiques « papistes manquant de foi », et l’archimandrite Humulescu a parlé de « l’orgueil papiste ». – J’informerai officiellement le Saint-Siège de cette nouvelle manifestation des orthodoxes à l’encontre des catholiques.
Mais il s’agit-là de la dernière grande manifestation anticatholique. Le gouvernement tient parole. Il a compris qu’il est dans son intérêt de calmer les choses. D’ailleurs le fait qu’aucune personnalité politique n’ait participé à cette dernière manifestation est un signe que les choses changent.
Maintenant c’est à Mgr Netzhammer de calmer les choses de son côté. Et, pour cela, il faut à tout prix empêcher le retour de Mgr Baud en Roumanie. Or, ce dernier n’a pas compris qu’il est devenu indésirable sur le territoire roumain. Il s’est senti si apprécié par tout le monde en Roumanie, qu’il a d’abord cru qu’il pourrait sans scandale envoyer la lettre relative au métropolite Miclescu au journal Seara, mais aussi qu’il pourrait, maintenant, revenir à son poste à la cathédrale sans encombres, pensant peut-être profiter de l’été pour passer inaperçu, les nantis bucarestois ayant quitté la capitale pour leurs diverses villégiatures.
Samedi, 9 juillet 1910[45]
De Monaco, Mgr Baud, avec qui j’ai entretenu une correspondance assez consistante[46], m’a écrit le 18 juin qu’il rentrera à Bucarest vers la fin du mois. Vu qu’il n’a demandé aucun détail, je ne lui ai pas répondu de mon côté. Les deux options auraient été des erreurs, que je lui dise de venir ou l’inverse ! Il connaît lui-même la situation. Les jours ont passé. (…) Il nous fallait être prêts concernant l’annonce du retour de Baud. Il n’est pas venu.
Au lieu de pouvoir de nouveau saluer Baud à son poste à la cathédrale, j’ai reçu de lui hier une carte postale m’informant qu’il était arrivé à Predeal, mais que l’on ne lui permettait pas de franchir la frontière. Au début, les autorités de Predeal ne lui ont fait aucune difficulté. On a même permis à Monsieur le chanoine de monter dans une voiture à destination de Bucarest. Mais le train n’est pas parti. Entre-temps, les douaniers ont parlé par téléphone avec Bucarest. Puis Baud a été prié de descendre avec son bagage à main et le train est parti avec une demie heure de retard. L’ordre était venu du gouvernement de faire repasser le chanoine Baud de l’autre côté de la frontière. – Je reçois aujourd’hui une lettre de Baud, de Brașov, où il me demande ce qu’il doit faire. Comme j’ai voulu éviter une réponse écrite[47] et que j’ai appris que son frère, Jean, qui tient depuis peu un magasin de ouate à Bucarest, doit partir pour Brașov, j’ai convoqué ce dernier. Je l’ai chargé de dire à son frère que mon intervention auprès du gouvernement serait impossible et sans aucune chance de réussite. J’ai essayé de faire comprendre à M. Jean Baud quelques aspects de la question relative à son frère, mais celui-ci reste ferme dans son opinion selon laquelle Ghika et Theodorian auraient tendu un piège à son frère.
Mardi, 19 juillet 1910[48]
Le journal Adevărul répand la nouvelle qu’hier le chanoine Baud aurait encore une fois essayé de passer la frontière. C’est visiblement une fausse nouvelle. Il est probable que Baud ait attendu sa femme de ménage, Madame Grivel, qui a voulu hier lui rendre visite à Brașov. – Le 16 juillet, Baud m’a écrit de Brașov que M. Stavri Brătianu aurait dû lui rendre visite, chargé en cela par le Président du Conseil des ministres, mais qu’à la place il lui aurait envoyé un télégramme, lui annonçant le report de sa venue. Baud interprète ce message comme étant de l’entêtement à ne pas le laisser passer la frontière. – Cet homme torturé a en perspective une invitation à Timișu de Jos, de la part de l’ancienne supérieure des dames de Sion de Galați, Mère Claire, pour y occuper le poste d’aumônier de son nouveau pensionnat.
Si le gouvernement a bien compris les tenants et aboutissants de l’affaire Baud, ce n’est pas le cas du Roi Carol Ier, qui, quoique resté catholique, ne désire pas prendre ouvertement parti pour son Église par crainte d’incommoder les Orthodoxes et donc d’affaiblir son autorité propre. Cependant il désire être informé. Comme il connaît bien Mgr Joseph Baud, qui est son confesseur, il pense tout naturellement que celui-ci a subi la mauvaise influence de ses deux « amis », Vladimir Ghika et Marius Theodorian-Carada, qui ont déjà défrayé la chronique en se convertissant au catholicisme quelques années auparavant.
Sinaia, vendredi, 12 août 1910[49]
[Le Roi :] – (…) et maintenant j’espère moi aussi que l’autre affaire va s’aplanir. Nous nous sommes déjà par deux fois adressé à Rome, via la Nonciature de Vienne, car ces deux hommes (le roi ne prononce pas leur nom[50]), que nous ne pouvons expulser, vu qu’ils sont Roumains, doivent absolument être rappelés à l’ordre. Ils ont complètement poussé le Père Baud dans le malheur !
– Il semble bien que ces deux hommes ne soient pas aussi coupables que peut le dire le Père Baud. J’ai étudié la question, la manière dont la lettre est parvenue au journal Seara.
– Bon ! Allez, dites ! Je vous dirai ensuite ce que m’a écrit Baud.
Je lui ai raconté l’affaire et j’ai cité le rapport fait par M. Ghika. J’ai notamment souligné le fait que ces deux hommes, tenant compte de mon absence, étaient contre une lettre officielle de Baud adressée à l’opinion publique et qu’il aurait été préférable qu’ils parent eux-mêmes l’attaque des orthodoxes, mais que Baud aurait insisté pour que lui-même donne la réponse, et qu’elle soit énergique. Dans le cours de la discussion, Baud aurait ensuite raconté à ces messieurs, avec beaucoup de détails, la conversion de Calinic au catholicisme, en faisant référence aux documents qu’il détenait, sans cependant les montrer. Quand j’ai dit la manière dont on en était arrivé au passage de la lettre sur la conversion de Calinic et les preuves la concernant, comment Baud a partiellement dicté puis ensuite corrigé le texte, le roi m’a interrompu et a dit :
– À moi, Baud m’a écrit qu’il était d’accord avec la première partie de la lettre, mais qu’il n’aurait pas donné son accord pour la seconde partie. De plus, il aurait été malade et en proie à un triste état nerveux.
– Il me semble qu’ici le chanoine Baud ne fait pas tout à fait preuve d’honnêteté. Il était tout à fait libre d’effacer la phrase indésirable ! Ces messieurs ne lui ont pas présenté à la signature une lettre toute faite. M. Theodorian lui a tout simplement composé la lettre conformément à sa volonté. Puis les deux hommes sont partis et sont rentrés chez eux. Baud cependant a recopié le brouillon de sa main et a signé la lettre. Il l’a lue à son vicaire et, plus tard, le même soir – on était samedi, – a envoyé celui-ci la porter à la rédaction du journal Seara. Dimanche matin il regrettait déjà ce qu’il avait écrit et il a dit à un prêtre qu’il aurait fait une bêtise en l’écrivant. Il n’a cependant pas retiré sa lettre. Lundi matin, il a fait la même confession à la Mère Pucci ; celle-ci lui a demandé d’annuler la publication, mais il ne l’a pas fait. Lundi soir la malheureuse lettre est parue dans le journal. Dès que la catastrophe a commencé à faire sentir ses effets, Baud a accusé Vladimir Ghika et Marius Theodorian d’être les coupables, eux qui déjà jouissaient de l’antipathie du gouvernement ! Majesté ! Ce sont les faits, tels que je les connais d’après le long rapport écrit de Ghika, selon ce que m’en a dit Theodorian et d’après les dires du vicaire de la cathédrale.
– Je ne voudrais rien dire contre Ghika, mais Theodorian n’est pas digne de confiance. Ça doit être un homme bizarre. (…) Le Père Baud m’a donc envoyé une requête demandant de le laisser entrer dans le pays afin de résoudre la situation ! C’est avec grand plaisir que j’ai indiqué sur la requête qu’on lui permette de partir pour huit jours à Bucarest, mais incognito, dans le sens le plus strict du mot ! Ce qui est bizarre c’est que cette lettre de Baud, qui m’était adressée, a été connue, est parue dans le journal et il n’a donc pas été possible cette fois-ci de le laisser entrer.
– À moi il a écrit une carte postale de Predeal et une lettre de Brașov.
– Je lui ai ensuite envoyé M. Stavri Brătianu, pour qu’il le convainque de partir, et j’ai fait en sorte de lui faire parvenir 1000 lei. On ne lui permettra jamais de venir en Roumanie. Je regrette cette malchance car j’ai toujours eu une très bonne opinion de Baud (…).
– Il est certain que Baud a beaucoup de côtés sympathiques, et moi personnellement je n’ai jamais eu de conflits avec lui pendant ces cinq ans. Mais maintenant, surtout à cause de sa rétractation, il a perdu l’estime et le prestige dont il jouissait !
– La lettre de Baud à Seara a provoqué dans le pays un mouvement d’une telle ampleur comme je n’en avais jamais vu ! Si l’on n’était pas intervenu énergiquement, le mouvement aurait pu faire sauter le ministère ! Il semblait que ces dames étaient devenues folles et furieuses. L’on a vu encore une fois où cela pouvait mener de laisser les bonnes femmes se mêler de problèmes religieux ! – Le métropolite Calinic est mort, bien entendu, dans la foi orthodoxe ! M. Sturdza a été le voir quand il a communié avant de mourir. Concernant Calinic, je sais moi-même qu’il a dit à Mgr Palma qu’il mourrait catholique ! Le métropolite Calinic a été un homme de caractère. Ce qui s’est dit entre Calinic et Palma ce fut comme une sorte de confession, le secret de la confession s’imposait. C’est pourquoi Baud n’aurait pas dû publier la chose.
– Si Sa Majesté veut bien me permettre de lui faire remarquer que l’on peut difficilement dire que Mgr Palma a compris la situation comme étant celle d’une confession, d’ailleurs il n’en aurait pas parlé dans un rapport envoyé aux laïcs de l’Œuvre de Propagation de la Foi.
– J’ai toutefois une prière à vous faire, et j’y insiste, Monseigneur, veuillez expliquer à Theodorian que, à partir du moment où il est devenu catholique, il n’a pas à se mêler des affaires de l’Église Orthodoxe !
– Je le lui dit souvent, mais il me répond à chaque fois que l’Église Orthodoxe étant une Église d’État, tout citoyen a le droit de manifester sa propre opinion la concernant ![51]
– Ces interventions portent préjudice aux intérêts catholiques !
– Bien entendu Majesté ! Après l’apparition du troisième numéro du Vestitorul, j’ai expliqué à M. Theodorian que je ne le recevrai plus chez moi si le Vestitorul n’adoptait pas un ton plus décent.
– Vestitorul est un véritable pamphlet !
– Ce fut ! C’est mieux maintenant ! Les deux jeunes Frollo[52], très capables, écrivent eux aussi dans ce journal[53].
– J’ai connu le vieux professeur Frollo[54] ! Ce fut un homme tranquille et savant ! Le combat mené contre le métropolite Athanasie est vraiment dégoûtant. Il a de très bonnes intentions. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises ces derniers temps. Theodorian est son implacable ennemi !
– C’est facile à comprendre, Majesté !
– Comment ça ?
– Il vous faut juste savoir comment Athanasie Mironescu est devenu métropolite ! Au début, Theodorian a choisi Nifon[55] ou Pimen. Je lui ai demandé de soutenir Athanasie, car je savais qu’il avait une attitude qui nous était favorable. Athanasie lui-même s’est adressé à Theodorian pour lui demander son aide. Celui-ci a accepté après quelque hésitation et s’est mis à faire la promotion d’Athanasie auprès du chef de l’Occulte (le roi fait un geste de mécontentement), son oncle Carada[56] ! Celui-ci a été convaincu et l’élection d’Athanasie était dans la poche ! Athanasie a dû promettre à Theodorian qu’il soutiendrait le vote d’une loi sur le synode qui soit absolument canonique, dont Theodorian devait lui-même rédiger le projet. Quelques semaines après l’élection, le métropolite a soutenu la loi non canonique du synode (le consistoire) et dans Amvonul a lancé l’attaque contre Theodorian. C’est ainsi qu’est né le règlement de compte personnel.
– Comment Theodorian en arrive-t-il à proposer au métropolite un projet de loi sur le synode ? Ça ne fait pas vraiment partie des attributions d’un avocat !
– Tant à Bucarest que dans l’ensemble de la Roumanie, Theodorian est probablement le meilleur spécialiste en droit canon oriental. Il a même publié trois volumes de droit canon oriental !
– Ah aaah ! Je ne le savais pas ! Comment en est-il arrivé à faire ces études ?
– Par passion, il a pratiqué le droit canon en tant que spécialité. Et puis Theodorian est aussi un esprit porté sur la religion. Beaucoup de laïcs, de clercs et de prélats s’adressent à lui pour toutes sortes de problèmes de droit canon. (…) C’est un rageux qui s’est notamment acharné contre les Brătianu. Moi-même je n’arrive pas à comprendre comment ils en sont arrivés à lui faire perdre sa fonction de jurisconsulte auprès de l’Institut de Crédit. C’était un poste bien payé. Mais maintenant plus aucune obligation ne pèse sur lui et il peut crier à cœur joie !
– Malgré l’aversion que je ressens à son égard, je me suis opposé à la suppression de ce poste.
– Il me semble qu’entre les Brătianu et les hommes de Theodorian il existe une sorte de vendetta familiale.
– On m’a dit qu’un temps, la porte de la maison de l’oncle Carada lui avait été fermée.
– J’ai entendu la même chose de la bouche du Président du Conseil des ministres. Mais cela s’explique très aisément ! Theodorian a été le meilleur ami de feu le ministre Vasile Lascăr[57].
– Ah ! Maintenant je fais le lien ! Cet excellent homme a voulu écarter l’influence de la soi-disant Occulte, il était donc contre [Eugen] Carada !
– C’est cela même ! Theodorian a préféré sacrifier la complaisance dont il bénéficiait auprès de son influent oncle, plutôt que son amitié pour M. Vasile Lascăr, dont on dit qu’il le voyait presque chaque jour. Le fait est que Lascăr a déjà un beau monument à son effigie à Bucarest, et c’est dû à l’initiative de Theodorian[58].
– Cela plaide vraiment en sa faveur le fait qu’il a été l’ami de Vasile Lascăr !
(…)
Quand le roi m’a conduit dans la salle aux peintures à l’huile pas encore finies, la reine s’est tournée vers nous. Le roi lui a dit : « L’histoire avec le Père Baud ça ne s’est pas vraiment passé comme on nous l’a dit, et en ce qui concerne Theodorian les choses sont différentes ; car il a été l’un des amis du ministre Lascăr. »
Pour garder tous ses as en main, Mgr Raymond Netzhammer n’a pas remplacé le Père Baud au poste de curé de la cathédrale, gardant toujours la possibilité de le rappeler et donc de relancer le scandale Miclescu si le besoin s’en faisait sentir. De plus, le démettre, cela aurait été comme lui dire de ne pas revenir et donc affaiblir sa position comme on l’a vu.
Cette fois, c’est Mgr Baud qui finit par prendre la décision qui s’imposait : il finit par démissionner. Mais presque deux ans se sont déjà écoulés depuis le début du scandale.
Mardi, 20 février 1912[59]
J’ai pu lui [à Vladimir Ghika] donner de bonnes nouvelles, plus exactement que Mgr Baud avait donné sa démission de la fonction de chanoine et de prêtre de la cathédrale, que je l’avais nommé chanoine honorifique et que je lui enverrai une petite pension (..).
C’est quelques mois plus tard que l’archevêque de Bucarest obtient des nouvelles plus précises de l’ancien chanoine de la cathédrale. Elles ne sont pas très encourageantes pour lui, désormais plongé dans une grande amertume.
Vienne, mercredi, 11 septembre 1912[60]
À notre table du soir à l’hôtel, j’ai invité Mgr de Curel[61], évêque de Monaco, et son compagnon, l’abbé Delatenna de Friburg, qui avait été autrefois mon élève en mathématiques à Einsiedeln. La discussion tombe très vite sur Mgr Baud, sur qui se jette l’évêque, le nommant un homme très sensible et irascible, un homme insupportable et même « un garçon mal élevé[62] ». « Ce n’est pas ainsi que j’ai connu Baud, » interrompis-je l’évêque, mettant en relief les bons et sympathiques côtés qui le caractérisaient. Mgr de Curel ne réussit en aucune façon à lui trouver quelque bon côté, regrettant d’avoir trouvé à Baud un poste de professeur de religion dans un collège, avec un salaire annuel de 3000 francs, parce qu’il n’y faisait pratiquement rien. Même le prince de Monaco[63], dit-on, est totalement contre Baud et qu’il ne peut le souffrir. L’évêque est d’avis qu’un aussi mauvais client devrait plutôt être renvoyé en Roumanie ! C’est impossible, car le gouvernement s’y oppose.
Mgr Baud mourra oublié de tous quelques années plus tard, dans sa ville natale. Se souvenant cependant de ce prélat dont il n’avait jamais eu vraiment à se plaindre jusqu’à la maudite lettre au journal Seara, Mgr Netzhammer tint à lui rendre hommage dans sa cathédrale. Notons cependant que cette cérémonie eut lieu plus d’un an après la mort de l’ancien chanoine, l’archevêque de Bucarest voulant être bien certain, en ces temps de guerre, que la nouvelle de la mort de Joseph Baud était réelle et non une rumeur. Et notons encore que la cérémonie eut lieu alors que les troupes allemandes occupaient encore la capitale de la Roumanie, donc alors que l’Église catholique était en position de force dans le pays. Il n’est pas certain que Mgr Netzhammer eût osé organisé cette cérémonie quelques mois plus tard, après le retour du gouvernement roumain, accompagné de ses troupes, dans sa capitale.
Mardi, 3 septembre 1918
Ce n’est que récemment que j’ai appris de source sûre que l’ancien chanoine et curé de la cathédrale, le protonotaire Joseph Baud, était mort le 27 juin 1917 dans sa ville natale de Monaco. Nous avons célébré aujourd’hui un requiem solennel à sa mémoire et pour le repos de son âme ; plusieurs de ses amis sont venus.
Vladimir Ghika n’y a pas participé, se trouvant alors en France et dans l’impossibilité de rentrer en Roumanie, faute de moyens.
Avec la mort de son principal protagoniste se termine ce que l’on peut appeler l’Affaire Baud ou que l’on devrait plutôt appeler l’Affaire Calinic Miclescu, mais tenons-nous en au parti du grand diplomate que fut Mgr Raymond Netzhammer, n’agitons pas les esprits. D’ailleurs les temps ne s’y prêtent plus. Entre-temps bien de l’eau a passé sous les ponts, les catholiques et gréco-catholiques de Transylvanie et d’ailleurs se sont joints aux rares catholiques du Vieux-Royaume, prouvant par-là que l’on pouvait être Roumain et catholique, l’Archevêché de Bucarest s’est en grande partie roumanisé, Orthodoxes et Catholiques ont levé leurs anathèmes en 1965 et, en Roumanie et ailleurs, ont souffert côte à côte la persécution du régime communiste. L’affaire Baud semble être d’un autre temps que les hommes d’aujourd’hui ont sans doute bien du mal à comprendre. C’est justement pour cela que son histoire est si intéressante, parce qu’elle nous fait pénétrer un monde inconnu, difficilement pénétrable. C’est là finalement tout l’intérêt de l’Histoire avec un grand H.
Annexe n° 1
Lettre de Bucarest[64]
Histoire d’un grave scandale – Situation inexplicable – C’est l’union avec Rome qui manque
Ces derniers mois ont été particulièrement agités au point de vue religieux en Roumanie. La crise qui, depuis deux ans, désole l’Église roumaine, est entrée dans une phase aiguë de la plus haute gravité.
Voici, brièvement conté, le récit des faits qui ont amené ce paroxysme. Il touche de trop près aux intérêts catholiques pour ne pas intéresser les lecteurs de la Croix.
En mars, un prêtre de province du nom de Vasilesco, lançait devant le « Saint-Synode », autorité supérieure de l’Église autocéphale roumaine, contre le métropolitain primat de Roumanie, une accusation en règle, pour faits de mœurs[65] (difficiles à raconter ici – à noter seulement un adultère en des conditions odieusement sacrilèges) et profession d’hérésie (le métropolitain Athanase a, en effet, acheté le trône métropolitain devenu vacant, en accédant, lui, l’opposant jadis le plus justement irréductible des tendances protestantes, au projet de loi organique du ministre des Cultes, M. [Spiru] Haret, athée militant, projet qui établissait tranquillement le presbytérianisme[66] dans l’Église roumaine).
Les accusations de mœurs étaient murmurées depuis longtemps partout ; elles avaient été confirmées maladroitement par le coupable lui-même, inconscient et cynique.
L’accusation d’hérésie avait trouvé déjà, l’an passé dans l’évêque de Roman (Moldavie)[67], lors de la discussion de la loi presbytérienne au Sénat, un organe qui lui avait donné un retentissement terrible. Reprises en due forme, discutées devant une instance régulière, ces imputations étaient de nature à couler notre homme. Il fallait qu’il n’y eût pas procès, même avec des complices pour juges. Il fallait aussi que le scandale ne pût s’élargir par la voie de la presse et qu’il ne vînt pas à ressortir de cet autre tribunal, très périlleux en l’espèce : l’opinion publique.
Que faire ? Le métropolitain Athanase eut recours, comme à chacun des innombrables scandales, qui déshonorent depuis plusieurs années l’Église schismatique[68] de Roumanie, à un procédé simple et pratique, employé avec succès partout où peut fleurir la haine de Rome. Il fit traiter les propos du prêtre Vasilesco d’infâmes calomnies inventées par les Jésuites, et le prêtre lui-même d’agent officiel à la solde du Pape. Pour donner plus de solennité et de poids à ce système de défense, le métropolitain mobilisa les prêtres de la capitale et leur fit signer, à la suite d’une démonstration publique à grand fracas, une adresse souverainement injurieuse pour le clergé catholique, accusé de tous les crimes, de toutes les conspirations. L’émotion fut considérable. Le métropolitain l’entretenait de son mieux ; traducteur d’une longue, médiocre et venimeuse Histoire de l’Église écrite en allemand, il semblait appliquer les connaissances ainsi gagnées à reproduire l’histoire de Titus Oates[69], et à faire bénéficier son cas des expériences protestantes devenues chères à son cœur. Au lieu d’une justification, une diversion ; au lieu d’une défense difficile, une attaque calomnieuse aussi aisée que lâche, opérée contre une minorité persécutée qui n’avait aucun moyen de se défendre. Telle fut sa trouvaille.
Malgré tout, le truc n’aurait pas pleinement réussi si les événements étaient venu apporter une diversion plus solide et détourner l’attention du fond du débat. Pris de court pour étayer sa calomnie, le métropolitain se faisait interviewer à jet continu et contait, à qui voulait l’entendre, sur le « grand complot catholique », les récits tout à la fois les plus invraisemblables et les plus incohérents. C’était, en général, fort mal imaginé, et cela n’eût pas mené loin notre sire. Mais, parmi ces propos, une assertion venait mettre en cause un prêtre catholique, justement estimé à Bucarest, même des schismatiques, Mgr Baud, monégasque d’origine, établi depuis trente ans dans le pays et curé de la cathédrale. Le métropolitain dépeignant l’audace (sic) des propagandistes catholiques, mentionnait que « leur impudence allait jusqu’à se prévaloir de la simple politesse des métropolitains à leur égard, pour faire croire à de prétendues conversions : l’un d’eux, membre du clergé papiste, qui fréquentait parfois la métropole, avait été ainsi jusqu’à narrer l’abjuration in extremis du métropolitain Joseph Gheorghian[70]. »
Mgr Baud avait, en effet, parlé à plusieurs notabilités d’un événement historique secret, mais prouvé par d’authentiques documents : la conversion non du métropolitain Joseph, mais bien du métropolitain primat Callinique Miclesco (+ en 1886). Celui-ci avait abjuré le schisme entre les mains de Mgr Palma, archevêque catholique de Bucarest, quelques jours avant sa mort. Pour de hautes raisons de prudence politique, semble-t-il, le plus grand silence avait été gardé sur le fait. (C’était au lendemain de la constitution de la hiérarchie catholique dans le pays, constitution qui avait amené une émotion analogue à celle du rétablissement de la hiérarchie en Angleterre, et violemment surexcité les passions religieuses). C’était moins d’un an après la concession de l’autocéphalie roumaine, effectuée de très mauvaise grâce et à prix coûtant, par le patriarcat de Constantinople, qui la refusait depuis trente ans. On eût volontiers, au Phanar, pris prétexte de cette conversion pour reprendre le privilège accordé si à contre-cœur. De plus, la Russie n’aurait pas manqué de voir dans l’abjuration du métropolitain la main du roi catholique, aurait créé aussitôt au souverain de graves ennuis dynastiques et se serait empressée d’user des moyens violents dont elle a le secret, pour reconquérir, en Roumanie, une influence politico-religieuse ainsi compromise.
Directement visé par l’assertion inexacte du métropolitain Athanase, partisan d’une politique moins effacée, moins prudente à l’égard de l’Église « orthodoxe », possesseur de deux documents inédits qui rétablissaient la vérité historique et révélaient une nouvelle sensationnelle tout à l’honneur de sa foi, Mgr Baud entra en lice. Il donna aux journaux colporteurs des inexactitudes intéressées du prélat aux abois, une lettre très courte et très digne où, après avoir affirmé sa réelle amitié pour le métropolitain Joseph, qui n’était nullement catholique, et dont aucun prêtre catholique n’avait conté la conversion, il déclarait que le seul propos tenu avait été relatif au métropolitain Callinique, dont la conversion se pouvait prouver par documents. Il terminait en repoussant avec dédain l’imputation faite aux catholiques de comploter la ruine de l’Église d’État, l’Église catholique n’ayant pas à se mêler des « dissensions intestines » dont souffrait actuellement celle-ci.
L’acte était hardi, il pouvait se défendre. Il aurait appelé peut-être plus de réflexion avant de s’avérer : il n’avait, en tout cas, rien que de très honorable pour son auteur. Dans un pareil débat, il eût mieux valu s’abstenir, laisser tomber d’elle-même l’imputation calomnieuse et assister en spectateur à la lutte entre « orthodoxes » experts à se déchirer mutuellement. Mais le principe douteux de l’intervention admis, c’était bien paré et solidement tapé. Le pauvre métropolitain Athanase et l’orthodoxie roumaine tout entière se trouvèrent un moment étourdis du coup, encore aggravé par une interview explicative, où, incidemment, il était question d’un énorme plagiat dudit métropolitain.
Ce farouche ennemi des catholiques n’avait rien trouvé de mieux que de traduire mot pour mot un livre du célèbre Père Jésuite Cathrein[71], et de le donner pour sien, ce qui lui avait valu la mitre d’évêque et une décoration : à la veille de son élection à la métropole, menacé par ses compétiteurs orthodoxes d’un procès scandaleux pour ce fait, il n’avait été sauvé que par l’intervention des catholiques de Bucarest, trop prompts à croire ses protestations de sympathie (démenties aussitôt après son élection). L’interview de Mgr Baud faisait discrètement allusion à ce comble d’ingratitude[72].
Après l’étourdissement momentané, la réaction fut terrible. Le métropolitain se ressaisit et vit qu’il tenait la diversion cherchée. Il ne fut plus question ni de vilains péchés, ni d’adultère sacrilège, ni d’hérésie, ni de crise religieuse entre orthodoxes : le fait d’histoire rétrospective mis en avant par Mgr Baud allait rompre merveilleusement les chiens. Voici l’aveu des menées papistes, voici l’arme jésuitique du mensonge maniée par des mains exercées, frappant la mémoire sacrée d’un mort incapable de protester. Le Pape, voilà le coupable, voilà l’ennemi. Tous les intéressés se soulevèrent, ameutant en particulier les « dames de Bucarest » (expression élastique, qui ne se confond ni avec l’aristocratie de la naissance, ni avec celle du talent), troupeau crédule et bruyant, toujours prêt à sauver le Capitole… pardon, la métropole. Les journaux déversèrent des torrents d’injures, les dames organisèrent des processions, des meetings, pérorèrent en public dans un style qui rappelait trop qu’à Bucarest voisinent la métropole et la halle aux poissons. On réclama l’expulsion du curé catholique avec fureur. Celui-ci, peu préparé à l’événement, ne démêlant pas le côté factice du tumulte, affaibli par une récente maladie, terrorisé par des émissaires du gouvernement qui lui représentaient la situation comme désespérée, perdit la tête.
Au lieu de publier les pièces qu’il possédait et qui eussent assommé ses adversaires, il se contenta de les montrer au gouvernement, de façon à assurer celui-ci de sa bonne foi et à le convaincre de la vérité du fait, et prit ensuite précipitamment le train, après avoir, par une regrettable faiblesse, consenti à signer une lettre imposée par les autorités roumaines. Sans rétracter ce qu’il avait dit, il y essayait de détruire la portée pratique de sa première lettre et déclarait inexactement n’avoir pas les pièces probantes à sa disposition. Il rejetait, à la fin, la responsabilité de son acte sur deux amis[73] avec lesquels il avait établi le texte de la lettre incriminée : ceux-ci étaient heureusement citoyens roumains, ce qui les laissait moins découverts devant les fureurs orthodoxes ; mais leur désignation, quelque jugement qu’on pût porter sur elle par ailleurs, avait le grave inconvénient, au point de vue catholique, de remettre sur pied l’accusation de complot et de continuer à faire du papisme l’objectif de la haine, le dérivatif des justes frayeurs de la métropole.
Le métropolitain se crut sauvé : et le sens des proportions fut tellement perdu qu’il se fit délivrer, par les inévitables « dames roumaines », des certificats de vertu (!!!) en des adresses d’une teneur ébouriffante ; on chanta un Te Deum solennel avec assistance de tous les corps constitués, en l’honneur de l’effroyable péril auquel venait d’échapper l’Église roumaine et de la grande victoire remportée par l’orthodoxie sur le papisme. Après quoi on fit, sur sommation des dames et des prêtres de la capitale, quelques coupes sombres dans le personnel catholique des différents ministères ou institutions d’État.
Il était seulement naïf de croire que le coup, parti des rangs orthodoxes contre le métropolitain, serait paré à jamais de la sorte. La diversion tentée et réussie exaspéra ses adversaires domestiques, compromis en outre par le caractère « papiste » qu’on avait voulu donner au mouvement. Ils se mirent aussitôt à la besogne pour empêcher la diversion de porter tous ses fruits, pour se disculper eux-mêmes de toute accointance avec le papisme, et pour jeter enfin à bas le métropolitain détesté. Ils commencèrent à mettre sous les yeux du public quelques-unes des pièces établissant la culpabilité du sire. Le scandale reprit et fleurit de plus belle. Le prêtre accusateur réclama plus fort que jamais le procès canonique. Outre l’action portée devant le « Saint-Synode », il intenta un procès civil en calomnie contre ceux qui l’avaient traité de calomniateur et d’agent papiste.
La lutte devint furieuse. Après la publication de certaines pièces et la divulgation de certains faits indéniables, la position du métropolitain devenait plus que critique. Les moyens violents furent employés. Par ordre supérieur, on opéra un étranglement radical de la justice ecclésiastique et civile, de façon aussi brutale que maladroite. Avant de juger le bien fondé de ses accusations, le prêtre accusateur fut traduit devant le propre consistoire du métropolitain accusé et défroqué… parce qu’il portait des chapeaux différents du type reçu, s’était absenté de sa paroisse sans l’autorisation du métropolitain (pour venir le traduire devant les tribunaux !!… on voit combien celui-ci aurait accordé cette permission…), etc. Une pareille sentence émeut l’opinion publique. Deux prêtres successivement, d’entre les meilleurs et les plus qualifiés du pays, s’associent, pour l’honneur de l’Église, à l’accusation de leur confrère inconnu, estimant que ce n’est pas ainsi qu’un métropolitain se doit justifier et demandant que lumière soit faite.
L’émotion croît. Le « Saint-Synode », juge de tous ces conflits, va s’ouvrir en session de printemps. Nouveau coup de théâtre. Une des personnalités les plus curieuses de l’Église roumaine, l’évêque de Roman (Moldavie), ascète intransigeant, orthodoxe de vieille roche, se dresse, à la première séance synodale et reprend, en son nom, contre le métropolitain Athanase, les accusations d’immoralité, de plagiat et d’hérésie. Cette dernière accusation était, du reste, son fait ; elle n’avait été que répétée par le prêtre Vasilesco : énergique et unique défenseur de la doctrine orthodoxe contre le presbytérianisme imposé par le ministre – athée – des cultes, il avait lutté au Sénat et au Synode, pied à pied, pour empêcher la loi hérétique de passer, avait anathématisé les tenants de cette loi et ne s’était calmé que sur promesse formelle de modifications organiques à introduire dans celle-ci. Une fois l’anathème retiré et la pacification obtenue, le tout-puissant ministre et ses acolytes ecclésiastiques (les deux métropolitains, acheteurs, à ce prix, de leur trône), s’étaient empressés de revenir sur leur promesse avec une désinvolture étonnante[74].
L’évêque de Roman avait donc la partie belle, après ceci. Il cita le métropolitain primat devant le Synode pour les trois chefs énoncés plus haut. Sa pétition, jointe aux précédentes, imposait le procès canonique. Pour sauver l’indéfendable métropolitain, il fallait qu’il n’eût pas lieu. Le gouvernement aurait volontiers sacrifié le métropolitain, s’il n’avait lié sa cause à la loi du gouvernement comme à la personne des ministres, et si sa chute, par un juste retour des choses d’ici-bas, n’eût été forcément interprétée, après l’invention du complot papiste, comme la victoire éclatante des catholiques. On assista alors à ce spectacle édifiant : le gouvernement, auteur d’une loi qui protestantise l’Église roumaine, imposant à cette même Église un métropolitain taré, incapable de repousser les accusations formulées contre lui, détruisant toute la procédure canonique des conflits religieux et, coup sur coup, avec une inconscience comique, un risible affolement, décrétant nulles et non avenues les plaintes en règle qui ne cessaient de pleuvoir comme grêle, les unes plus infamantes et plus catégoriques que les autres. Le Synode fut clos par l’autorité civile sans qu’aucune solution nette fût intervenue. Le métropolitain restait, mais déshonoré ; le gouvernement demeurait, mais ridicule et compromis. La Providence avait mis dans les choses une justice immanente qui constituait pour les catholiques une première revanche. Il y en a comme cela jusqu’à l’automne.
Entre temps, les deux prêtres co-accusateurs ont été enlevés par les gendarmes, puis défroqués, sans aucune imputation autre que leur absence de leur paroisse (l’absence provoquée par leur enlèvement forcé !!!). On n’a pas osé toucher à l’évêque de Roman, à qui l’on a fait simplement parvenir une « Encyclique » venimeuse ; il a répondu du tac au tac par une lettre pastorale terrible.
Les deux prêtres défroqués ont fait appel au patriarcat de Constantinople : la procédure est tout à fait orthodoxe et canonique ; mais cet appel à l’ennemi national, au bourreau des Roumains de Macédoine[75], a compliqué encore une situation déjà très embrouillée. La nécessité de ce recours a seulement montré une fois de plus les vices de la doctrine dite orthodoxe, l’absence d’un centre de l’Église mis au-dessus des nations et des passions par une volonté expresse, une désignation formelle de Notre-Seigneur.
Quoi qu’il en soit, l’Église roumaine, malade depuis longtemps, est maintenant dans un amphithéâtre public, exposée sur une table d’opération. Tout le monde voit ses plaies ; mais point de chirurgien expert ou de médecin entendu, qui viennent la ramener à la santé. Avec cela, un mal assez grave, assez essentiel pour qu’elle y passe.
Si l’on récapitule l’histoire de ces trois dernières années, on voit, en 1907, l’effroyable révolution paysanne menée par les prêtres et les instituteurs de village ; les scandales des couvents en 1908, surtout celui de Nàmàeski[76] ; la chute retentissante du métropolitain de Moldavie, accusé de monstruosités morales inouïes[77] ; la levée de boucliers du clergé séculier contre l’épiscopat et le clergé régulier ; la naissance de deux revues batailleuses, révélant, avec un retentissement colossal, les abîmes de corruption du haut clergé, les hontes du clergé inférieur ; deux hérésies professées au Synode par décret (relatives aux enfants sans baptême et aux suicidés), puis retirées un an après ; une loi presbytérienne imposée par d’autorité civile ; l’anathème prononcé contre les deux métropolitains du pays par un évêque et un évêque titulaire ; un métropolitain déshonoré, maintenu de force à la tête de cette église en détresse, contre toutes les règles de la justice civile et ecclésiastique, après une tentative de persécution religieuse contre les catholiques ; le malaise, prolongé et accru par la remise d’une solution à la prochaine session du Synode (novembre [1910]).
Le spectacle est d’autant plus éloquent, que depuis un an se dresse fière et coquette, dans un faubourg de Bucarest, la première église-unie de Bucarest[78] ; vers elle se portent de plus en plus les regards des âmes croyantes pour y voir s’incarner l’avenir de régénération de la Roumanie. La Transylvanie roumaine a retrouvé à Rome la foi et la vie nationale. La Roumanie serait-elle à la veille de la suivre ?
Annexe n° 2
Marius Theodorian-Carada, Efimeridele – Însemnări & Amintiri 1908-1928 (Éphémérides – Notes & Souvenirs 1908-1928), Tipografia „Serafica”, Săbăoani, 1937 (extraits choisis, traduits et présentés par Luc Verly)
[Suite à des abus apparus au monastère Nămăești, dont Theodorian-Carada est le fondateur et le bienfaiteur, et qu’il ne parvient pas à redresser, malgré ses démarches auprès des prélats orthodoxes, celui-ci décide de passer au catholicisme, seule l’Union à Rome lui paraissant être le moyen de sauver l’Église Orthodoxe Roumaine de la décadence[79].]
J’ai compris ce qu’il me restait à faire. Je ne connaissais aucun prêtre catholique.
Seul le chanoine Baud était venu me voir il y a quelques années, pour me prier de rectifier une erreur apparue dans une de mes brochures où j’avais parlé d’un incident survenu à l’église catholique de Severin il y a déjà longtemps. Il voulait que je sache que le curé d’alors de Severin était un vieillard pieux et vénérable qui n’avait commis aucune faute.
Je ne l’avais plus vu depuis lors, ce qui fait que je ne peux pas dire que je le connaissais. Par contre je connaissais le prince Vladimir Ghica. C’est à lui que j’ai dit que j’étais décidé à m’unir à l’Église Catholique, à condition de construire au plus vite une église gréco-catholique à Bucarest. Obtenant l’assurance demandée, le 14 mai 1908, je suis devenu Orthodoxe-Uni. En même temps que moi ont fait profession de foi catholique ma femme et les trois nonnes, qui avaient quitté Nămăești suite aux injustices dont j’ai parlé. Nous les hébergions chez nous à la maison. Sachant leur formation, je désirais leur trouver une occupation en accord avec leur mentalité.[80]
Alors que je publiais le Droit Canon Oriental j’ai demandé à Cornoi de me recommander quelqu’un pour faire l’index alphabétique. C’est ainsi qu’en 1906 j’ai connu Constantin Cernăianu, alors étudiant en théologie et correcteur à la Typographie des Livres Ecclésiastiques. Il est ensuite resté à mes côtés en tant que secrétaire. Il me poussait sans cesse à publier une gazette dans laquelle je parlerais des affaires de l’Église. J’ai longtemps hésité. Ce n’est que le samedi 8 novembre 1908 que je me suis décidé et le 13 du même mois est sorti le premier numéro du Vestitorul.[81]
[Suite à l’élection d’Atanasie Mironescu en tant que métropolite primat de Bucarest :]
C’est cependant sur les membres du synode et sur les séminaristes que l’élection de Mironescu est tombée comme la foudre. Ils se sont tous rués chez moi et m’ont félicité d’avoir ainsi imposé mon candidat. Cornoi, avec qui je ne parlais plus depuis des années, m’a donné une accolade et m’a prié d’oublier ce qui s’était passé entre nous et d’en revenir à notre vieille amitié. Si le métropolite Atanasie m’avait écouté et avait conservé Cornoi comme directeur de la Métropolie, il n’aurait pas eu les problèmes qu’il a eu plus tard. Car Cornoi, qui s’était douloureusement heurté au linteau voyait maintenant bien nettement le seuil de la porte. Il était intelligent et n’était, au fond, pas méchant du tout. Et assez habile.[82]
[Theodorian-Carada finit par se mêler à la lutte menée pour faire tomber le métropolite Primat qu’il avait pourtant aidé à introniser.]
Les Catholiques ne se sont absolument pas mêlés de ce conflit. Mgr Netzhammer, à plusieurs reprises, m’a conseillé de me retirer du combat. De même Vladimir Ghica. Pour me convaincre de renoncer à soutenir les adversaires du Métropolite, Ghica a essayé de me prouver que je m’efforçais en vain de renverser le Métropolite Primat. Je lui ai répondu que, pour ce qui est de le renverser, je le renverserai pour sûr.
– Je ne crois pas, mais, si tu le renverses, on en arrive à l’Union, m’a-t-il dit. Et c’est non !
– Mais si, c’est aussi ce que dit le général Manu[83] ! il se trompe. Mironescu tombe, je te le dis, moi, mais l’Union, c’est tout autre chose !
Dans la Roumanie de 1911 on ne savait même pas ce que c’était que l’Union. Cependant en plein procès synodal, lors d’une séance houleuse, l’Évêque du Bas-Danube s’est levé pour dire que, si, pour que de telles choses n’arrivent, il fallait faire l’Union, alors que l’Union se fasse. Les exclamations de Mgr Nifon auraient eu quelque écho, si le ministre des Cultes n’était intervenu alors pour déclarer que le gouvernement ne voulait pas de l’« Union ». Cet incident montre que l’Union ou la Non-Union ne dépend pas du Synode, mais du gouvernement et des politiciens. À eux, il faut leur démontrer que l’Union est utile à la Roumanie.[84]
Le chanoine Baud était un noble monégasque, un prêtre à longue barbe jusqu’à la taille, tête ronde comme un ballon, dents rares et longues, oreilles tombantes. Venu en Roumanie au temps de Mgr Ignație Paoli, il avait réussi à se faire beaucoup d’amis parmi les Roumains. Par deux fois le gouvernement était intervenu auprès du Vatican pour le faire nommer Archevêque Latin de Bucarest. Le roi Carol avait même envoyé [le premier ministre Dimitrie] Sturdza dans ce but au Vatican, mais Sturdza ne put obtenir pour Baud que la dignité de Protonotaire Apostolique. Ces échecs avaient quelque peu aigri Baud, mais il savait caché son amertume. Beau parleur, il narrait des anecdotes avec esprit. La politique roumaine l’intéressait aussi. Il racontait que, s’il avait été nommé archevêque, il aurait fait passer toute sa hiérarchie au rite byzantin et que le plus beau moment de sa vie aurait été celui où il aurait reçu ordre du Pape de transformer la cathédrale Saint-Joseph en église roumaine de rite byzantin.
Je ne comprends donc pas pourquoi il n’a jamais mis les pieds dans l’église [gréco-catholique] Saint-Basile de la rue Polonă.
En mars 1910 Baud était à la tête de l’éparchie latine, Mgr Netzhammer étant parti en excursion en Asie Mineure. À cette époque, Vladimir Ghica m’a dit que Baud voulait intervenir pour démentir dans la presse la rumeur comme quoi il serait la main des Catholiques dans le conflit synodal, ce qu’il lui aurait déconseillé de faire. Comme j’approuvais Ghica, celui-ci me dit que je ferais bien de passer chez Baud pour lui parler, parce qu’il avait eu l’impression que Baud tenait beaucoup à intervenir et qu’il fallait à tout prix l’en empêcher. Je lui ai promis d’y aller.
Le 20 mars j’ai trouvé Baud avec le journal Seara en main. Il était furieux quand il m’a lu une information parue dans cette gazette comme quoi les Catholiques répandaient la rumeur que Iosif Gheorghian était catholique.
– Ce n’est pas Gheorghian qui est mort catholique, mais Miclescu. J’ai le document là-haut ! C’est public maintenant, criait-il à toute force.
Alors qu’il criait ainsi, Ghica est arrivé. Ensemble nous avons essayé de le calmer. Je lui ai rappelé que c’était le Métropolite Ghenadie qui avait dit ça sur Ghiorghian. J’ai ajouté qu’il n’était pas besoin de publier le document dont il nous parlait. Tout ce qu’il savait, lui, c’est qu’il fallait écrire quelque chose au journal Seara. Pour en finir, je lui ai dit alors, s’il tenait absolument à écrire quelque chose, de juste dire que ce n’est pas Gheorghian mais Miclescu qui s’est fait catholique. Il m’a prié de lui concevoir un texte dans ce sens. Ce que j’ai fait. J’avais déjà entendu Baud parler de Miclescu, mais comme il avait la vive imagination des Méridionaux, je ne croyais pas vraiment ce qu’il racontait. C’est pourquoi, en sortant de chez lui, j’ai dit à Ghica que l’on verrait bien maintenant ce qu’il en était de cette histoire avec Calinic. S’il nous racontait des histoires, il couperait la phrase où il est question de Miclescu, ou même il pourrait bien se raviser et ne plus rien écrire du tout. Cependant, le lundi 22 mars, j’ai trouvé la lettre de Baud dans le journal Seara. Par l’un de ses vicaires, il l’avait envoyée au quotidien dès après notre départ. Il était si impatient de la voir paraître rapidement que, le dimanche, ne la trouvant pas dans le journal, il a envoyé quelqu’un d’autre chez Bogdan Pitești, pour s’assurer qu’elle paraîtrait bien, au moins le lendemain. La lettre serait passée inaperçue, mais les amis du Métropolite Atanasie ont pensé qu’en l’exploitant ils pourraient déplacer l’attention du public dirigée jusque-là sur le conflit synodal. Des manifestations et des processions ont été organisées. Quelques dames « émues par les scandales périodiques qui secouaient l’Église Roumaine » ont formé un mur autour du Métropolite Primat. Mur pour lequel le Métropolite les a chaleureusement remerciées, même si ce mur n’a pas pu le défendre.
Pour ce qui est de Baud, le résultat imprévu de sa lettre l’a mis sens dessus dessous. Le jour où je suis retourné le voir, je l’ai trouvé habillé en laïc prêt à partir pour la gare. Il m’a demandé si j’avais lu sa lettre.
– Laquelle ?
– Celle que Brătianu a lue à la Chambre !
Alors je lui ai demandé ce que contenait cette lettre.
– Je ne sais pas, ils m’ont dit de signer ça. Maintenant je pars à l’étranger pour quelques mois.
Je ne comprenais plus rien. Chez moi, je trouvai des reporters de toutes les gazettes. Brătianu n’avait rien lu à la Chambre, mais on leur avait remis des copies d’une lettre de Baud dans laquelle il regrettait ce qu’il avait écrit dans le journal Seara et affirmait que, malade, il n’avait fait que la signer, forcé en cela par deux de ses amis. Ils me demandaient des explications. Je leur ai dit que je n’étais pas un ami de Baud et que je ne l’avais jamais forcé à signer quoi que ce soit, que, par conséquent, je ne me sentais en rien visé par cette lettre et que je ne voulais pas me mêler d’une affaire qui ne me concernait pas. Plus tard j’ai appris que, dans l’original de la lettre remise à Ionel Brătianu, Vladimir Ghica et moi-même étions désignés en toutes lettres comme étant ceux qui l’avaient forcé à signer la lettre, que lui-même avait copiée mot à mot selon le brouillon qu’il m’avait demandé de rédiger…
Je ne sais toujours pas aujourd’hui ce qui a bien pu pousser le pauvre Baud, Dieu lui pardonne, à faire ce qu’il a fait. Alors qu’il était en procès contre Mgr Hornstein, Baud a demandé à un bénédictin, ce qu’il pensait de lui et celui-ci lui a répondu qu’il le pensait ambitieux et intrigant…
– Ambitieux, plus ou moins, fit observer Baud, comme tout le monde. Mais intrigant vraiment non : Je suis trop bête pour ça !
Malheureusement le manque d’intelligence n’implique pas automatiquement l’absence d’esprit d’intrigue. C’est pourquoi Baud s’est emmêlé dans ses propres ficelles, ce qui fait qu’il n’a jamais plus pu rentrer en Roumanie et est mort oublié à Monaco.[85]
Annexe n° 3
Article de la Roumanie du 25.03.1910[86]
Dans la séance d’hier à la Chambre, M. Dém. Morouzzi a interrogé le président du Conseil pour lui demander, « s’il a connaissance de la lettre du protonotaire apostolique, Mgr Baud, d’après laquelle feu le Métropolite Calinic Miclesco aurait fait, avant sa mort, une confession de foi catholique. Il faut savoir si Mgr Baud est un calomniateur ou non. »
- le président du Conseil a fait textuellement la déclaration suivante :
« Messieurs les députés, je suis convaincu de la vérité des faits relatés par M. Morouzzi en ce qui concerne le regretté Métropolite Calinic et je ne puis considérer les affirmations du journal cité par lui que comme de pures fables.
Je crois que ces affirmations fantaisistes n’auraient même pu être faites si – comme le dit le même journal – l’archevêque catholique n’avait été absent du pays en ce moment, car Mgr Netzhammer [qui] est un homme très sérieux, les aurait empêchées.
En ce qui concerne la déclaration que l’Église Catholique n’a pas à s’immiscer dans les affaires de l’Église orthodoxe, cela est très vrai. Si cette vérité n’est pas comprise par ceux qui ne font pas partie de l’Église orthodoxe, nous saurons le leur faire comprendre.
Voilà ce que j’avais à répondre aux questions qu’a posées M. Morouzzi. »
Annexe n° 4
Déclarations des témoins des derniers jours du métropolite Callinique Miclesco[87]
Déclarations des témoins des derniers moments du Métropolite Calinic.
Parmi les hommes qui ont assisté aux derniers moments du Métropolite Calinic Miclesco et l’ont veillé jusqu’à sa mort, pendant les journées du 13-14 août 1886, se trouvent encore en vie, entre autres, les Archimandrites Valerian Kiritza, Théodose Cherculesco et Justin Savulesco.
Déclaration publiée dans le journal Seara, n° 72, 1er avril.
… la vérité pure est que le 13.08.1886, étant de service à la Sainte Métropole, nous avons officié, les deux premiers comme prêtres, le dernier comme diacre dans la chapelle du palais métropolitain, selon la sainte liturgie, pour le rétablissement du défunt Métropolite S.S. Calinic Miclesco, et tous ensuite, passant dans l’appartement de Sa Sainteté, nous lui avons donné la Communion des Saints Mystères après laquelle, le 14 août 1886, il a cessé de vivre…
Lettre du professeur à la Faculté de Théologie, directeur de la Sainte Métropole, au journal Seara
… le Métropolite Calinic Miclesco a terminé une vie pénétrée de la foi la plus pure en l’orthodoxie et remplie d’actions chrétiennes. Luttant avec succès pour faire de l’Église roumaine une Église autocéphale… pour la consécration du Saint Chrême dans notre pays pour la première fois
Signé : Dr Cornoiu
La protestation du clergé de la capitale
« … monstruosité lancée contre la mémoire du grand hiérarque, et que les prétendus documents auxquels se réfère ledit chanoine ne peuvent être que des falsifications, dans un but de prosélytisme, habitude fréquente dans l’Église Catholique, comme le sont, par exemple : les Pseudoclémentines, la Donation de Constantin, l’Acte de l’Union avec Rome des Roumains de Transylvanie en 1698, et autres… »
Annexe n° 5
Derniers jours de Callinique Miclesco selon le Moniteur Officiel n° 109 du 17.08.1886, reproduit dans la Roumanie du 25.03.1910[88]
Le 14 août à 6 h ½ de l’après-midi, S.S. Métropolite primat Calinic Miclesco est décédé. Ses derniers moments et sa mort ont été dignes d’un véritable archipasteur et bon chrétien.
Le mercredi 13 août, bien que l’état du Vénérable prélat inspirât de grandes inquiétudes, cependant S.S. était en possession de toutes ses facultés intellectuelles. À la suite de la consultation des docteurs, ayant compris que l’heure du dénouement était proche, S.S. se décida à recevoir la Communion.
Elle demanda d’abord qu’on lui donna lecture de son testament. Cette lecture ayant été terminée vers 3 h, le Haut Prélat demanda à le signer aidé de trois personnes : MM. Épaminondas Francudi, professeur et doyen de la Faculté des lettres, D. Telemac et Miclesco, ses neveux, S.S. fut assise sur le bord du lit et commença à écrire sur le bord supérieur de la première page, à gauche. Au moment où elle écrivait : « Par la grâce de Dieu », la porte de la chambre s’ouvrit et l’on annonça l’entré de Sa Majesté le Roi.
La présence de S.M. impressionna à tel point le Haut Prélat que la plume lui tomba des mains. S.M. le Roi, s’informant pourquoi S.S. était mise au bord du lit au lieu d’être couchée, insista avec affabilité pour que S.S. finisse d’écrire. Cédant aux instances de S.M., le Métropolite ajouta à la droite de la page et sur la même ligne, son nom : Calinic Miclesco.
S’étant de nouveau couché et tenant la main droite de S.M. qui lui adressait des paroles de consolation pour calmer son émotion, le Haut Prélat recommanda à M. Francudi de bien veiller sur son testament et, quand il ne serait plus de ce monde, de le remettre à S.M. le Roi.
Après ces recommandations, il s’entretint avec S.M. le Roi.
Ses dernières paroles ont été les suivantes : « Je remercie Dieu de m’avoir accordé encore une fois et pour la dernière fois [de voir] l’Auguste et bien aimé Souverain de mon pays. Nous avons eu, sur terre, Sire, trois choses sacrées auxquelles nous avons tenu de toutes nos forces : le Trône de V.M., la Patrie et la Religion. C’est fini, je m’en vais vers Dieu qui m’appelle et je laisse Votre Majesté sous la garde du Seigneur. »
En disant ces mots, la voix du Haut Prélat avait un accent solennel qui produisit une profonde émotion sur Sa Majesté.
L’entretien avec notre Auguste Souverain dura environ trois quarts d’heure, pendant lesquels, entre beaucoup d’autres choses, le Haut Prélat communiqua à Sa Majesté le désir d’être inhumé au monastère de Neamtz.
Après le départ de Sa Majesté, le Saint Prélat a demandé la Sainte Communion et il la reçut en présence de M. le ministre D. Stourdza, de M. Morouzi, préfet de police de la capitale, de M. le Colonel Odedeano, préfet du district d’Ilfov, de ses parents et amis intimes.
Tous les prêtres et les moines de la Sainte Métropole, ainsi que L.L.S.S. le vicaire de la Métropole et l’évêque in partibus Parthenie, formaient cercle autour de son lit.
La scène était émouvante… S.S., à la vue du prêtre lui présentant la Sainte Communion, éleva les mains vers le ciel et fit le signe de la Croix, en disant : « Mon Dieu, que votre volonté soit faite. » Après les prières habituelles et la Communion, S.S. remercia Dieu de lui avoir permis d’accomplir son dernier devoir de chrétien. Il donna la bénédiction à chacun des prêtres qui s’étaient agenouillés l’un après l’autre devant son lit et il adressa à chacun soit une parole d’amitié et de paix, soit une recommandation au sujet de leur haute mission ; il demanda à voir tous ses parents et tous ses amis, avec une lucidité de mémoire qui a surpris les assistants, et il appela tous les gens de service pour leur dire adieu.
Vers 7 h, on lui demanda s’il désirait une cuillérée de bouillon, sa seule nourriture depuis quelques jours, il refusa en disant « Non » ; ce Non fut la dernière parole de S.S., à partir de ce moment, elle tomba dans une somnolence dont elle ne sortit plus. Cet état dura toute la nuit du 13-14 août. Le jeudi, 16, au matin, les signes précurseurs de la mort se manifestèrent, sueur froide, respiration embarrassée.
Vers midi, ses pieds étaient glacés, ensuite, toute la partie droite du corps se refroidit et les doigts de la main droite commencèrent à prendre une teinte violette ; vers 6 ½ du soir, le vénérable Prélat entra dans la vie éternelle.
Chose extraordinaire et digne d’être remarquée, quelques minutes avant sa mort, la main droite de S.S., qui jusqu’alors était glacée et immobile se releva un peu et les doigts prirent la position pour faire le signe de la Croix, mais ils n’arrivèrent pas plus haut que la barbe et s’arrêtèrent sur la poitrine au moment où S.S. rendit le dernier soupir.
Son testament, remis à S.M. le Roi, conformément à l’ordre du Haut Prélat, est un trésor de conseils émanant d’un archipasteur qui a compris sa haute situation ; c’est un monument qui immortalisera sa mémoire, et qui mérite d’être gravé dans le cœur de tous les Roumains qui aiment leur pays et leur religion.
Annexe n° 6
Extraits de l’interview du chanoine Baud parue dans l’Adeverul[89]
– Pourriez-vous nous dire ce qu’il y a de vrai au sujet de cette immixtion de l’Église Catholique dans notre crise métropolitaine ?
– Je l’ai déjà dit, puisque j’ai donné à ce bruit le démenti le plus catégorique. Personne ne pourra rapporter un seul fait, si petit soit-il, qui prouve notre immixtion directe ou indirecte. C’est une malheureuse tentative pour produire une diversion dans les esprits. Cette tentative n’a pas réussi et ne pourra réussir, car elle est contraire à la vérité.
– On dit pourtant que les catholiques sont les ennemis du Métropolite Primat…
– Dieu nous en garde ! Nous ne sommes les ennemis de personne. En l’espèce, nous avons toujours eu la plus grande considération pour Mgr Atanasie. Je puis vous dire, sans crainte d’être démenti, qu’au mois de janvier dernier, lorsque le siège du Métropolite Primat était vacant, les adversaires de l’évêque de Râmnic avaient organisé un procès de plagiat pour le rendre inéligible. Sur la demande d’un ami, nous sommes intervenus près du Père Cathrein pour qu’il ne donne pas la procuration que lui demandait un certain Chifu Cioroianu.
– Mais que dites-vous de la propagande catholique ?
– C’est encore une chose inexacte et peu sérieuse, qui ne mérite pas d’être discutée.
– Qu’y a-t-il de vrai dans la question du Métropolite Calinic ?
– Je sais qu’il y a 25 ans, sur son lit de mort, le Métropolite Calinic a confessé la foi catholique, a demandé et a obtenu l’absolution de l’archevêque catholique Palma. Personne, parmi nous, n’a entendu faire de cela une arme de propagande. La preuve en est que nous nous sommes tus jusqu’à ce jour. Nous aurions gardé le silence plus longtemps encore, si, pour faire croire qu’il s’agissait d’une conversion d’il y a un an, un haut prélat, très anonymement, n’avait dénaturé la vérité, en affirmant dans un journal que le Métropolite Iosif a fait profession de foi catholique. Il a fallu alors que je dise la vérité et que je montre combien nous sommes loin de faire de la propagande.
– Quelle est votre opinion sur la crise métropolitaine ?
– Je n’en dis rien, car ceci ne me regarde pas. J’ai eu l’honneur de présenter mes respects à Mgr Atanasie à plusieurs reprises, et je lui accorde toute la considération qu’il mérite. Je serais très heureux si, de toutes parts, l’on suivait avec une grande constance le précepte évangélique que je lis sur le portrait donné par le Métropolite Calinic à Mgr Palma. Ce vénérable défunt écrivait cette belle parole du Sauveur : In hoc cognascent omnes quod discipuli mei estis si dilectionem habueritis ad invicem. Traduction : « C’est à cela que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous vous aimez les uns les autres. »
Annexe n° 7
Lettre du chanoine Baud parue dans la Roumanie du 23 mars/16 avril 1910[90]
Le R.P. Baud a quitté hier Bucarest pour se rendre dans le Midi de la France. Avant de partir il a adressé à une personne amie la lettre suivante qui remet les choses au point :
« Très honoré monsieur,
Merci pour votre bienveillance. Malade depuis huit jours, j’ai été influencé pour ce que je ne voulais pas dans cette malheureuse lettre. Je ne voulais absolument pas parler du défunt Métropolite Calinic, n’ayant pas de preuves en main. – Croyez bien que ce n’est que la maladie qui m’a rendu victime de si grande erreur, qui ne me cause que de graves ennuis et du bien à personne.
Après trente années passées honnêtement ici, je ne me serais pas permis de faire quoi que ce soit qui put déplaire. Le mal qui m’a terrassé est seul cause de cette absence de volonté et d’intelligence.
Veuillez agréer…
Ch[anoine] Joseph Baud »
Le R. Baud aurait pu en dire davantage. Mais puisqu’il s’est tu, il ne nous appartient pas de parler pour le R.P. Baud. Mgr Netzhammer, archevêque catholique de Bucarest, qui voyageait en Asie Mineure, rentrera dimanche dans la Capitale. Il est bien qu’il n’y retrouve pas le R.P. Baud. L’incident est clos.
[1] Dinu Bãlan, « Națiune și confesiune la începutul secolului al XX-lea în Regatul României: „Afacerea Baud” » [Nation et confession au début du XXe siècle dans le Royaume de Roumanie : « l’Affaire Baud »]. Anuarul Institutului de Istorie « A.D. Xenopol », Iași 55:169-185. https://www.ceeol.com/search/article-detail?id=777211. Sauf mention contraire, toutes les notes sont de Luc Verly.
[2] Raymund Netzhammer, Episcop în România [Évêque en Roumanie], 2 vol., éd. Nikolaus Netzhammer, traduit de l’allemand en roumain par George Guţu, Editura Academiei Române, Bucureşti, 2005.
[3][3] Marius Theodorian-Carada, Efimeridele – Însemnări & Amintiri 1908-1928, Tipografia „Serafica”, Săbăoani, 1937. Voir Annexe n° 2.
[4] Episcop…, op. cit., p. 268.
[5] François-Xavier Lobry, Lazariste, préfet apostolique à la Maison Saint-Benoît de Constantinople (1886-1914).
[6] Calinic Miclescu (1822-1886) Métropolite de Moldavie (1865-1875) puis Métropolite Primat de Valachie (1875-1886).
[7] Père Lucius Fetz (1870-1931) O.S.B., secrétaire archiépiscopal (1905-1924).
[8] Episcop…, op. cit., pp. 268-274.
[9] Lettre de Mgr Netzhammer au Père Lobry, avril 1910 : « (…) Ici tout est triste à cause des événements. On voit beaucoup de larmes. » (Archives Vladimir Ghika Dossier XXX.4 f. 35.)
[10] Je n’ai pas ici traduit le texte roumain de George Guțu, traduit de l’allemand, mais j’ai traduit le texte original tiré de Dinu Bălan, Națiune și confesiune…, op. cit. note 40, p. 176.
[11] Pimen (Petru) Georgescu (1853-1934) Métropolite de Moldavie de 1909 à 1934.
[12] Dimitrie Moruzi « Cneazul » (1847-1916), préfet de police de la capitale entre 1885 et 1888. Connu pour les grandes fêtes qu’il donnait d’où n’étaient jamais absentes les dames de petite vertu.
[13] Ioan Cornoiu (1861-1913), professeur à la faculté de théologie.
[14] Voir ces témoignages en Annexe n° 4.
[15] Evghenie (Dimitrie) Humulescu (1870-1931). Prédicateur à la métropolie, élu par le Synode (1910) vicaire général de l’Éparchie d’Argeş sous le nom de Piteşteanu.
[16] Voir la traduction française de cet extrait du Moniteur Officiel en Annexe n° 5.
[17] Atanasie (Alexandru) Mironescu (1856-1931) Métropolite Primat de l’Église Orthodoxe Roumaine. Le 5 février 1909, il est élu Métropolite Primat de Roumanie (avec l’aide de Marius Theodorian-Carada – voir Annexe n° 2). Il le reste jusqu’au 28 juin 1911, quand il doit se retirer (sur les accusations portées contre lui voir notamment le texte de Vladimir Ghika en Annexe n° 1). Mgr Atanasie a passé la fin de sa vie au monastère de Cernica.
[18] Voir des extraits de cet entretien en Annexe n° 6.
[19] Pseudonyme du journaliste Miloş Lugomirski (roumanisé en Milone Lugomirescu). Rappelons que c’est le même Baba Novac qui a invectivé Vladimir Ghika quand celui-ci est devenu catholique en 1902. Voir Narcis Ispas, « Catolic, român, prinț Ghika », in Pro Memoria, n° 17-18, 2018-2019, pp. 205-275.
[20] Constantin Erbiceanu (1838-1913), écrivain, helléniste et théologien roumain, membre titulaire de l’Académie Roumaine (depuis 1899).
[21] L’Indépendance roumaine, des 1-6 avril 1910 rappelle cependant que des nièces du primat défunt ont eu une autre attitude : « Nous croyons intéressant de rappeler que deux nièces de feu le Métropolite Calinic Miclesco, Melles Lucie Septilici et Nadejde Soutzo, de Jassy, ont été converties au catholicisme. Ces deux femmes fort croyantes ont subi l’influence des propagandistes catholiques, précisément grâce à l’argument invoqué à nouveau aujourd’hui par le R.P. Baud que le Métropolite Calinic avait abdiqué la foi orthodoxe dans un testament fait avant de mourir. Melle Lucie Septilici, aujourd’hui décédée, ne s’est laissée convertir qu’au dernier moment, à son lit de mort, et elle passa au catholicisme en même temps que sa cousine Nadejde Soutzo. Lorsque ces deux femmes demandaient à Mgr Jacquet, l’évêque catholique de Jassy à cette époque, de leur montrer le testament de leur oncle, le prélat propagandiste leur répondait que, selon la volonté du défunt, cet acte ne devait être révélé que 100 ans après la mort du Métropolitain. » (Texte cité dans Archives Vladimir Ghika, Dossier des Lazaristes XXX.4, ff. 154-160.)
[22] Victor Râmniceanu (1856-1933), juriste roumain, membre d’honneur de l’Académie Roumaine.
[23] Plus tard, le 7 mars 1915, Mgr Netzhammer expliquera au roi Ferdinand, qui est Marius Theodorian-Carada : « Sa Majesté s’intéressait à cet homme étrange, qui lui paraissait quelque peu énigmatique. Vu que Monsieur Theodorian a ouvertement reconnu le Pape comme chef de l’Église voici neuf ans, suite à un examen approfondi et par conviction, tout en conservant sa foi orientale, devenant ainsi non pas catholique mais – comme il dit – juste uni, et qu’il me rendait pour ainsi dire visite une fois par semaine, j’ai été en mesure d’évoquer sa personne. Theodorian avait étudié le droit à Bucarest et était devenu avocat. Avocat à la Banque des Pays, il avait été membre du Parti Libéral jusqu’à la mort de son ami et bienfaiteur Lascăr, aux côtés de son ami d’enfance Brătianu, et il s’est occupé de droit canon oriental, sur lequel il a écrit trois volumes intéressants, ce qui lui a ouvert toutes les portes des cercles ecclésiastiques. Vu que sa tante, Sultana Carada, sœur du puissant gouverneur de la Banque Nationale, Eugeniu Carada, tante dont il avait pris soin pendant des années, en la gardant chez lui, lui avait laissé un héritage, il gagna son indépendance financière. Le roi était heureux d’apprendre ces détails, car ils répondaient à quelques-unes des questions qu’il se posait. » Episcop…, op. cit., p. 566.
[24] Sœur Élisabeth (Marianne) Pucci (1848-1918), Supérieure des Filles de la Charité de Bucarest.
[25] Démètre, frère cadet de Vladimir Ghika, était alors en poste diplomatique à Vienne.
[26] Le Père Kuczka Augustin (1865-1936), prélat papal et inspecteur scolaire de l’archevêché de Bucarest.
[27] Alexandru Bogdan-Pitești (1870-1922), homme de culture, directeur du journal Seara. Le propriétaire du journal étant Gheorghe Gr. Cantacuzino, dit le « Nabab ».
[28] Ion Stavri Brătianu (né en 1855), homme politique libéral.
[29] Episcop…, op. cit., p. 275.
[30] Mgr Netzhammer est né en Allemagne et dispose d’un passeport helvétique, car son abbaye bénédictine d’origine se trouve à Einsiedeln, en Suisse.
[31] L’église gréco-catholique Saint-Basile-le-Grand, située rue Polonă à Bucarest, construite un an plus tôt, en 1909, est la première église unie élevée dans le Vieux Royaume.
[32] Le prêtre gréco-catholique Ioan Bălan (1880-1959), alors curé de l’église Saint-Basile-le-Grand, devenu plus tard évêque de Lugoj. Il est l’un des sept évêques martyrs béatifiés par l’Église catholique en 2019.
[33] Lettre de M. Germond, Lazariste, du 24.04.1910 : « De Bucarest Sœur Pucci garde le silence : affaire Baud… (…) protestations dames roumaines de Bucarest de Jassy dont Mmes Rosetti et Septilici – non Palladi. Les deux religieuses ex-converties au catholicisme ont demandé pardon du scandale et prié le métropolite de les recevoir de nouveau dans l’Église orthodoxe et leur ancien monastère. Le métropolite agrée avec des pénitences.
- Théodorian est probablement en dessous de tout cela. Quel rôle joue-t-il ? Le premier numéro de sa revue agrandie a paru. Il défend le catholicisme – et au sujet du Père Baud, il fait remarquer que le Père Baud n’a pas dit qu’il n’avait pas de documents, mais pas de documents sous la main. Il attaque l’Église roumaine, fait ressortir sa faiblesse. Un nouveau journal vient de paraître, rédigé par un prêtre orthodoxe roumain. Il ne contient qu’attaques contre le Métropolite de Bucarest – l’accusant d’être concubinaire, adultère, de toutes les choses les plus horribles. » (Archives Vladimir Ghika Dossier XXX.4 f. 40-41.)
[34] Episcop…, op. cit., p. 277.
[35] Alexandre Guasco (1853-1922), avocat, secrétaire général du Conseil parisien de l’Œuvre de la propagation de la foi (de 1883 à 1922).
[36] Note du Père Schorung dans le Dossier XXX.4 ff. 154-160 des Archives Vladimir Ghika : « Le R.P. Tocanel m’a dit, hier, 16 juillet 1965, qu’il avait eu la pièce en main à Rome. »
[37] Episcop…, op. cit., pp. 283-284.
[38] Nous ne savons pas où se trouve aujourd’hui ce rapport. Il aurait toute sa place ici.
[39] Ionel Brătianu avoue là, en quelque sorte, que c’est bien lui qui a rédigé ou du moins fortement inspiré cette fameuse deuxième lettre. Marius Theodorian-Carada confirme cette idée en laissant entendre que Mgr Baud a signé la lettre sans la lire : « Il m’a demandé si j’avais lu sa lettre. “Laquelle ? – Celle que Brătianu a lue à la Chambre !” Alors je lui ai demandé ce que contenait cette lettre. “Je ne sais pas, ils m’ont dit de signer ça.” (Théodorian-Carada, Efimeridele, cf. Annexe n° 2). Mais cela peut aussi être une manière pour Joseph Baud de rejeter toute responsabilité dans la rédaction de cette honteuse lettre, en disant qu’il ne l’a pas rédigée, ni même lue.
[40] Comme le fait remarquer Dinu Bălan (Națiune și confesiune…, op. cit., p. 175), il faut un peu se méfier des propos rapportés par Mgr Netzhammer, qui a tendance, dans son journal, a toujours avoir le beau rôle. Cependant nous n’avons pas de raison de croire que l’entrevue ne s’est pas passée à peu près comme il la rapporte.
[41] Pour le contexte général au sein de l’Église Orthodoxe, voir en Annexe n° 1 l’article signé Romanus (en fait Vladimir Ghika lui-même) et publié dans le journal catholique français la Croix.
[42] Episcop…, op. cit., p. 561, Mardi, 2 février 1915.
[43] Alexandru G. Djuvara (1858-1913), homme politique et ministre roumain des Affaires Étrangères. Il est l’oncle de l’historien Neagu Djuvara.
[44] Episcop…, op. cit., p. 285.
[45] Episcop…, op. cit., pp. 286-287.
[46] Il serait très intéressant de retrouver cette correspondance.
[47] Mgr Netzhammer est fin diplomate. Il sait que toute instruction de sa part pourrait se retourner contre lui. Dire officiellement à Mgr Joseph Baud de ne pas revenir, ce serait se montrer faible par rapport à son bras de fer avec le gouvernement et les autorités ecclésiastiques orthodoxes, et donc être la proie de nouvelles attaques ; mais dire à Mgr Baud de revenir, ce serait attiser de nouveau les tensions et risquer gros dans un combat dont il n’est pas sûr de sortir vainqueur.
[48] Episcop…, op. cit., p. 288.
[49] Episcop…, op. cit., pp. 291-295.
[50] Il s’agit évidemment de Marius Theodorian-Carada et de Vladimir Ghika.
[51] Selon la Constitution de 1866, art. 21, « La religion orthodoxe orientale est la religion dominante de l’État roumain ».
[52] Les fils de Gian Luigi Frollo (voir ci-dessous), les professeurs universitaires Iosif Frollo (1886-1966) et Hildebrand Frollo (1878-1923).
[53] Mgr Netzhammer décidera finalement de supprimer cette revue et de publier une revue diocésaine de haute tenue, Revista catholică, dans laquelle écriront tout aussi bien Marius Theodorian-Carada, Vladimir Ghika et les frères Frollo que lui-même et bien d’autres intellectuels catholiques.
[54] Gian Luigi Frollo (1832-1899). Originaire de Vénétie. Entre 1878 et 1899 il a été titulaire de la chaire d’Histoire des Littératures Néolatines au sein de l’Université de Bucarest.
[55] Nifon (Nicolae) Niculescu (1858-1923), évêque de Galați.
[56] Eugeniu Carada (1836-1910) fondateur et directeur de la Banque Nationale et haut dignitaire franc-maçon. Ami de I. C. Brătianu, il a été un soutien constant au fils de celui-ci, Ionel Brătianu, devenu, grâce à son aide, chef du Parti Libéral.
[57] Vasile Lascăr (1853-1907) ministre (intérimaire) roumain des Finances en 1897 et ministre de l’Intérieur à deux reprises.
[58] La statue de Vasile Lascăr, œuvre du sculpteur roumain Gheorghe Horvath, dévoilée le 1er juin 1908 est installée rue Vasile Lascăr, à l’intersection avec la rue Thomas Masaryk, devant la maison où a vécu Vasile Lascăr. La statue représente Vasile Lascăr en pied, à taille réelle.
[59] Episcop…, op. cit., p. 357.
[60] Episcop…, op. cit., pp. 398-399.
[61] Jean Charles Arnal du Curel, évêque de Monaco de 1903 à 1915.
[62] En français dans le texte.
[63] Louis II de Monaco (1870-1949) à qui succéda son petit-fils Rainier III (1923-2005).
[64] La Croix des 28.08.1910 et 01.09.1910. Ces articles donnent le contexte général de l’affaire Baud. Ils sont signés « Romanus », pseudonyme utilisé par Vladimir Ghika.
[65] Le Métropolite aurait eu une relation de longue durée avec la femme du prêtre Vasilescu du monastère de Govora.
[66] « (…) la loi en question crée une nouvelle assemblée religieuse appelée Consistoire supérieur de l’Église et dont font partie les membres du saint synode, des représentants du clergé des villes et des villages, deux supérieurs de monastère, un professeur de théologie et un professeur de Séminaire. Cette assemblée a le droit – droit enlevé au saint synode – de prendre, au sujet de certaines questions de discipline et d’administration, des décisions qui ne sont plus, par la suite, soumises à l’approbation du saint synode, mais deviennent exécutoires par le seul fait de l’approbation ministérielle. » Jean Marie, « la Crise religieuse en Roumanie », in Échos d’Orient, tome 13, n° 82, 1910, p. 183, https://www.persee.fr/doc/rebyz_1146-9447_1910_num_13_82_3854. C’était introduire un pouvoir laïc au sein même de l’Église.
[67] Gherasim (Gheorghe) Safirin (1849-1922), évêque de Roman.
[68] C’est-à-dire orthodoxe. Schismatique du point de vue catholique d’alors.
[69] Titus Oates (1649-1705), ecclésiastique anglican qui inventa de toutes pièces un faux complot catholique visant à tuer le roi Charles II d’Angleterre.
[70] Le Métropolite (Ioan) Iosif (1829-1909), Métropolite Primat de l’Église Orthodoxe Roumaine (1886-1893, 1896-1909).
[71] Victor Cathrein (1845-1931).
[72] Mgr Baud, dans son interview à Adevărul indique qu’il a contacté le Père Victor Cathrein pour qu’il n’agisse pas contre son plagiaire. Voir Annexe n° 6.
[73] « Plus tard j’ai appris que, dans l’original de la lettre remise à Ionel Brătianu, Vladimir Ghica et moi-même étions désignés en toutes lettres comme étant ceux qui l’avaient forcé à signer la lettre, que lui-même avait copiée mot à mot selon le brouillon qu’il m’avait demandé de rédiger… » (Marius Theodorian Carada, Efimeridele, cf. Annexe n° 2.)
[74] Voir sur tous les détails de ces événements les derniers numéros parus des Échos d’Orient. (ndla) Sous le pseudonyme de Jean Marie, un correspondant de la revue (qui ne semble pas être Vladimir Ghika) fait un tableau assez complet de la crise que connaît alors l’Église Orthodoxe Roumaine. Comme ces quatre articles n’abordent pas le problème de l’affaire Joseph Baud, nous n’avons pas cru bon de les reproduire ici. On peut trouver ces articles des numéros 80, 82, 83 et 86 des Échos d’Orient sur le site www.persee.fr.
[75] La Macédoine est alors troublée par des luttes nationales sanglantes entre Grecs et Bulgaro-Macédoniens (autrefois on les appelait Bulgares, aujourd’hui Macédoniens), les Aroumains en faisant souvent les frais. Comme les autorités ottomanes ne reconnaissaient ni la nationalité grecque proprement-dite, ni la nationalité bulgare, mais ne considérait que la religion, en l’occurrence « grecque », c’est-à-dire orthodoxe, les Bulgares se réclamaient de l’exarchat bulgare et les Grecs du patriarcat de Constantinople, les Aroumains étant sommés de choisir entre l’un et l’autre.
[76] Lire « Nămăeşti ». Marius Theodorian-Carada a été directement impliqué dans cette affaire qu’il raconte dans ses mémoires (Efimeridele, pp. 8-11).
[77] Le même Marius Theodorian-Carada raconte la chute de ce prélat dans ses mémoires (Efimeridele, pp. 12-14), affaire dans laquelle il a été impliqué.
[78] Saint-Basile-le-grand, rue Polonă à Bucarest.
[79] Dans son article intitulé « l’Âme roumaine » paru dans Irenikon, tome V, janvier 1928, n° 1 et tome VI nov.-déc. 1929, n° 5-6, Marius Theodorian-Carada écrit : « L’orthodoxie roumaine ressemble, je l’ai souvent dit, à l’installation électrique d’une maison qui a des candélabres superbes, les lampes qu’il lui faut et les fils électriques en bon état, mais qui malheureusement ne serait pas reliée à l’usine qui donne la chaleur et la lumière, et resterait plongée dans les ténèbres. Pendant l’été, cela va encore, mais pendant l’hiver et durant la nuit, c’est bien triste. »
[80] Marius Theodorian-Carada, Efimeridele, p. 9.
[81] Marius Theodorian-Carada, op. cit., p. 12.
[82] Marius Theodorian-Carada, op. cit., p. 17.
[83] Gheorghe Manu (1833-16 mai 1911), général et homme d’État roumain, ministre de la Guerre à plusieurs reprises et Président du Conseil des ministres entre 1889 et 1891.
[84] Marius Theodorian-Carada, op. cit., pp. 22-23.
[85] Marius Theodorian-Carada, op. cit., pp. 25-27.
[86] Archives Vladimir Ghika, Dossier des Lazaristes XXX.4, ff. 154-160.
[87] Archives Vladimir Ghika, Dossier des Lazaristes XXX.4, ff. 154-160.
[88] Archives Vladimir Ghika, Dossier des Lazaristes XXX.4, ff. 154-160.
[89] Alex Mavrodi, « Convorbire cu canonicul Baud », în Adevărul, 23, n° 7379, 24 mars 1910, p.3.
[90] Archives Vladimir Ghika, Dossier des Lazaristes XXX.4, ff. 154-160.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, în revista Pro Memoria, nr. 19 / 2020, p. 207-263.