C’est le hasard, lui dirait plutôt la Providence, qui amène le jeune Vladimir Ghika – il a 31 ans – en Macédoine au printemps 1904, car son frère Démètre, diplomate de carrière, vient d’être nommé, en mars, consul général de Roumanie à Salonique. Car, alors, Salonique (que l’on nomme plutôt Thessalonique aujourd’hui, par un retour au nom antique), est considérée comme la principale ville et le débouché maritime de la Macédoine, région qui fait partie du vaste Empire Ottoman, pour peu de temps encore – mais alors personne ne le sait même si l’on s’en doute un peu, – vu la situation de « l’homme malade de l’Europe ».
Le port égéen n’a absolument rien de la ville actuelle, de par sa démographie entre autres, puisqu’elle compte alors dans les 100.000 habitants (contre dix fois plus aujourd’hui), et surtout de par la composition de celle-ci. Si aujourd’hui la ville est massivement grecque, des Grecs pour la plupart issus de familles réfugiées d’Asie Mineure après la Première Guerre mondiale, la population hellénophone ne formait qu’un peu plus de 10 % de ses habitants vers 1900, la masse principale de la population étant formée de la communauté juive, qui parlait le judesmo, c’est-à-dire l’espagnol que les Juifs expulsés d’Espagne en 1492 avaient emporté avec eux, souvent comme seul bagage[1]. Les Turcs y sont aussi assez nombreux, autant que les Grecs. Parmi eux, un jeune officier turc ambitieux y est né en 1881, le dénommé Mustapha Kemal, qui n’est pas encore Atatürk.
Les campagnes de l’intérieur et la banlieue, elles, sont surtout peuplées de paysans Bulgares (on dirait Macédoniens aujourd’hui, mais à l’époque ce dernier terme regroupe l’ensemble des habitants de la région, le terme Bulgare recouvrant les populations de langue slave méridionale, apparentée au bulgare).
À tous ces groupes il faut ajouter les Albanais, souvent confondus avec les Turcs dans les statistiques, les Arméniens et, ceux qui nous intéressent ici plus particulièrement, les Aroumains (Koutzo-Valaques ou simplement Valaques), souvent assimilés aux Grecs dans les statistiques, comme nous le verront plus loin.
Bref la région abrite une population très hétérogène, ce qui, par métaphore, a donné son nom à un célèbre plat français de légumes variés découpés en petits morceaux et bien mélangés…
Avec la montée des nationalismes linguistiques en Europe, ce mélange devient explosif, et c’est le mot. Lorsque Vladimir Ghika débarque à Salonique avec son frère en 1904, tout le monde dans la ville se souvient des attentats spectaculaires à la bombe du groupe d’anarchistes bulgares, dénommé les Bateliers, l’année précédente, de la répression qui s’en est suivie et de l’insurrection dite d’Ilinden–Préobrajénié qui a ensuite touché l’ensemble de la Macédoine[2].
Dans cette étude, nous allons essayer de démêler, au moins dans ses grands fils, cette situation ethnique enchevêtrée et de voir quelles solutions a proposé Vladimir Ghika pour protéger la communauté aroumaine locale, forte, tout de même, de quelques centaines de milliers de personnes sur l’ensemble de la Turquie d’Europe[3].
Un conflit ethnico-religieux
Dans cette affaire, comme souvent dans les Balkans même encore aujourd’hui, l’ethnique se mêle au religieux. Souvenons-nous du récent conflit qui a opposé Croates catholiques, Bosniaques musulmans et Serbes orthodoxes, qui parlent à peu près la même langue, mais adorent différemment un même Dieu. Disons, pour commencer que, dans l’Empire Ottoman, c’est la religion qui importe. Les habitants voient leur statut différer en fonction de leur obédience religieuse et, tout naturellement, c’est elle que les recensements enregistrent. Chez les musulmans, il y a les sunnites, mais aussi les chiites, musulmans en quelque sorte de seconde zone. Chez les chrétiens il y a les catholiques, souvent protégés par de grandes puissances étrangères, comme la France, et les orthodoxes, eux-mêmes subdivisés en fonction de leur Église et protégés, eux, par la grande Russie voisine, qui a aussi des visées panslavistes. Pour la région qui nous intéresse, tous les orthodoxes (ou presque) relèvent jusqu’en 1870 du Patriarche de Constantinople et sont donc considérés comme Grecs orthodoxes et ont certains droits, et surtout certains devoirs, au sein de l’Empire Ottoman.
Mais la montée des nationalismes linguistiques au XIXe siècle change la donne. La Grèce voit son indépendance reconnue par le Sultan en 1830, quant à son Église, elle devient autonome en 1833, les éparchies grecques de l’Empire ottoman restant sous l’obédience du Patriarche de Constantinople, comme elles le sont encore aujourd’hui, même si leurs territoires ont été intégrés à l’État hellénique après les guerres Balkaniques de 1912-1913. La Serbie, qui elle aussi obtient son autonomie au sein de l’Empire Ottoman en 1830, voit son Église devenir autocéphale dès 1832, avec la bénédiction du Patriarche de Constantinople.
Les Bulgares ont la même ambition, mais, pour eux, l’indépendance religieuse précède l’indépendance politique. C’est ainsi que, le 3 avril 1860, lors du service solennel de Pâques en l’église bulgare d’Istanbul, l’évêque Ilarion Makariopolski ne mentionne plus le nom du patriarche Cyrille VII de Constantinople, mais celui du sultan Abdulmedjid Ier. Pourquoi ? C’est que depuis longtemps déjà le Patriarche de Constantinople refuse de faire droit aux revendications du clergé bulgare : permettre la tenue de liturgies en langue bulgare et donc, par voie de conséquence, la formation d’un clergé propre maîtrisant cette langue. Excédé, le clergé bulgare a décidé de faire dissidence.
Le Patriarcat grec proteste vivement auprès de la Sublime Porte contre cet acte d’indépendance religieuse. Les Bulgares décident alors de se rapprocher de Rome et de voir s’ils ne pourraient pas s’unir à l’Église Catholique. Des pourparlers sont entamés. Devant ce danger, la Russie, puissance tutélaire de l’orthodoxie slave balkanique depuis déjà longtemps, appuie les revendications bulgares auprès des autorités politiques et religieuses de Constantinople. Si elle n’obtient rien du Patriarche grec, Grégoire VI, par contre, elle obtient que le sultan Abdulaziz publie, le 28 octobre 1870, un décret reconnaissant un exarchat bulgare indépendant. L’historien Bernard Lory remarque : « Le firman est une “monstruosité” dans une logique orthodoxe, car le pouvoir musulman crée une juridiction religieuse orthodoxe de façon autoritaire. Il subordonne la nomination de l’exarque (art. 4) et des évêques (art. 5) à la décision du pouvoir musulman.[4] » Le Patriarcat œcuménique de Constantinople déclare en conséquence que l’Église bulgare est non canonique. Les fidèles de l’exarchat bulgare sont excommuniés.
C’est le début d’un conflit qui durera longtemps[5] et qui n’est pas seulement religieux. Vu que la Bulgarie n’existe pas encore et n’a pas encore de frontières, le problème qui se pose est : quels sont les fidèles qui relèvent du Patriarcat œcuménique et quels sont ceux qui relèvent de l’exarchat des Bulgares, tous deux ayant résidence à Constantinople. L’article 10 du firman prévoit la possibilité, au niveau d’une éparchie, d’opter pour une obédience ou l’autre, selon le principe de la majorité des deux tiers. Si le problème de l’obédience ne se pose bientôt plus pour les habitants de la Bulgarie indépendante et de la Roumélie orientale semi-indépendante d’après 1878, elle se pose dans les autres territoires peuplés de Bulgares, et c’est notamment le cas en Roumélie occidentale (la Macédoine) restée sous administration directe ottomane.
En fait, plus que de l’opinion des populations, c’est le pouvoir central musulman qui décide, le plus souvent, de l’orientation des éparchies macédoniennes. En fonction de l’attitude des Bulgares vis à vis de la Russie, des conflits turco-grecs, le pouvoir central peut décider de faire changer de main et d’obédience les éparchies macédoniennes. Nous n’insisterons pas ici sur ces événements, mais il faut les avoir en tête pour bien comprendre ce qui suit. « Lorsqu’une église change de camp, les inscriptions des fresques et des icônes sont fréquemment grattées pour faire disparaître la langue de l’adversaire. Certaines images de saints, auxquels le nationalisme confère une importance particulière (par exemple saints Cyrille et Méthode), sont parfois détruites.[6] »
Il faut aussi noter le côté financier de l’affaire, car plus nombreux sont les fidèles qui passent à l’exarchat bulgare, plus les revenus du patriarcat grec s’amenuisent (et inversement), surtout que cet argent sert beaucoup à financer les écoles… qui enseignent en bulgare pour celles financées par l’exarchat ou en grec, pour celles financées par le patriarcat. L’enjeu national est donc énorme. « En 1912, l’exarchat gère 1 373 écoles, dont 13 lycées, 2 266 enseignants et 78 854 élèves.[7] »
Dans ces écoles, comme dans toutes les écoles européennes de cette époque, ne nous le cachons pas, la fibre nationaliste des élèves est particulièrement cultivée. Le corps enseignant est corps et âme dédié à la cause. « Les cadres de l’Organisation Révolutionnaire Intérieure Macédono-Andrinopolitaine[8] fondée en 1893 sont pour les trois quarts des enseignants rétribués par l’exarchat.[9] » Il est donc essentiel, pour les nationalistes, que les enfants aillent dans telle école et non dans telle autre.
Très vite des pressions s’exercent sur les populations macédoniennes pour qu’elles se rallient soit à l’exarchat bulgare soit au patriarcat grec. Ces pressions sont morales et spirituelles, bien entendu, mais aussi de plus en plus physiques. Des bandes de Grecs et de Bulgares font bientôt régner la terreur dans toute la région. Les premières victimes en sont d’abord les Bulgares, car il paraît évident d’emblée que les populations grecques ne choisiront pas de passer à l’exarchat bulgare. Les nationalistes bulgares veulent forcer leurs conationaux à choisir l’exarchat, tandis que les grecs veulent les faire rester fidèles au patriarche. Les menaces se concrétisent vite en actes, parfois en assassinat tout simplement, la plupart du temps de manière démonstrative, exemplaire. Les notables, les maires, les instituteurs, les prêtres sont les premiers visés. Plus le meurtre est impressionnant, horrible, plus l’effet est garanti sur leurs concitoyens.
Dimitrie Ghika, le frère de Vladimir, dans ses souvenirs, en donne un exemple qu’il a vu de ses propres yeux :
« Le hasard, tout de même, permit au corps consulaire d’aller voir sur place ce qui restait d’un village après le passage des Comitadji lorsqu’une de ces bandes au service de la propagande bulgare massacra les habitants de Gradobor[10]. Considérant la proximité relative de cette bourgade et pour marquer, aussi, la nouvelle ère des Réformes, – peut être avec un fond d’ironie pince-sans-rire, – Hilmi Pacha[11] nous fit conduire sur le lieu des « atrocités bulgares » (pour reprendre l’expression de Gladstone, mais, cette fois, en sens inverse[12]…) l’horreur du spectacle était totale et opprimant : maisons aux murs calcinés par l’incendie allumé à grand renfort de pétrole, cadavres épars tailladés et carbonisés – pauvres êtres brûlés vivants par les mêmes arrosages. Mais dans le tragique de cette vision s’inséra une note d’intermède comique, à notre arrivée : le village avait été aux 3/4 détruit par les Bulgares parce que « grec ». Notre collègue Coromilas[13], très excité en tête de la colonne, ne cessait durant le trajet d’exposer le sort affreux des pauvres Hellènes assassinés sans répit par les Bulgares. Sur la place centrale de Gradobor attendait ce qui restait des habitants, à genoux, les bras au ciel, avec des clameurs et des sanglots. Du haut de sa monture, Coromilas adresse d’éloquentes paroles de condoléance et de réconfort en langue grecque, à ce troupeau humain qui l’entoure en lui baisant les mains et en le remerciant… en langue bulgare ! Stupeur générale : le fonctionnaire turc qui accompagne les Consuls explique alors que le village est entièrement bulgare ; mais une partie – la plus nombreuse – est restée fidèle au rite orthodoxe du Patriarcat grec de Constantinople lorsque l’autre partie a passé à la religion schismatique créée en 1871 avec l’Exarchat bulgare reconnu par la Russie (précisément pour obtenir, dans des actes officiels turcs la mention « bulgare » à la place de l’indicatif de religion : « grec ») Ainsi après l’incursion « punitive », dans les foyers de Gradobor, les pleureuses, hurlant, suivant la coutume, veillaient des morts qui s’étaient entretués sauvagement dans la même demeure et la même famille : le père, pope orthodoxe grec tué par le frère ou le fils schismatique – ennemis jurés au nom de religions devenues des instruments de politiques rivales, et tout ce monde – assassins et victimes – appartenant à la même race bulgare… Illustration parfaite de cette Macédoine, champ de bataille permanent d’irrédentismes opposés, casse-tête des diplomates devant un puzzle dont les difficultés de mise en place sont telles que la Turquie avait le droit de plaider, à tout le moins, les circonstances les plus atténuantes.[14] »
L’historiographie grecque « assimile de façon rapide “patriarchistes” à “Grecs”, négligeant le fait que les plus ardents défenseurs du patriarcat en Macédoine étaient aroumains, mais aussi serbes et parfois slaves-macédoniens[15] », confirme Bernard Lory.
L’autre population la plus touchée par les exactions des bandes nationalistes ce sont donc les Aroumains, car, vu le poids démographique de cette communauté, ils sont susceptibles de faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre. C’est d’eux dont nous allons parler maintenant.
Le sort des Aroumains
Dans son rapport sur la Macédoine[16], Vladimir Ghika explique :
« L’élément Roumain[17] de Macédoine avait deux choses qui faisaient la force du Patriarcat, le nombre et l’argent. Jusqu’au “réveil” roumain, tout cela n’existait qu’au profit des Grecs. Le nombre des Roumains, classés “Grecs” en qualité de patriarchistes, et éduqués à la grecque, – autorisait les prétentions des Grecs sur la Macédoine, à l’encontre de l’élément slave si abondant dans la région ; l’argent alimentait le patriarcat besogneux : les richards Roumains étaient dévots et généreux. Perdre ceci c’était perdre tout, pour une institution dans le style du Phanar. La douceur eût pu concilier bien des choses à son profit. »
Mais la douceur ne semble pas le fort du patriarcat grec, Vladimir Ghika précise :
« L’élément Roumain, rappelé à la vie a voulu l’indépendance religieuse, la langue liturgique nationale, un clergé national, le tout, encore, par une entente amiable avec le Patriarche Grec de Constantinople. Celui-ci a tout refusé avec constance – et se sentant en présence d’un mouvement dangereux pour l’avenir de sa domination au sein de l’Empire Turc, a fait ce qu’il a pu pour l’étouffer[18]. Dans cette tâche d’écrasement, il s’est trouvé avoir à côté de lui pour l’aider, son ennemi traditionnel lui-même l’Exarque Bulgare. Une ère de persécution commença. Elle ne fit qu’exaspérer et fortifier le sentiment national. »
La diplomatie roumaine tente de faire comprendre aux Grecs qu’il serait plus efficace de faire front commun contre les Bulgares, comme le rapporte l’ambassadeur de Roumanie, Alexandru Emanuel Lahovary, dans ses mémoires :
« Politica Atenei față de aspirațiile atât de modeste ale Românilor e și astăzi greu de înțeles. Adevărații ei vrășmași în Macedonia erau Bulgarii, și singura primejdie care amenința elenismul era aceea de a vedea pe Bulgari anexând, într-o bună zi, Macedonia. Față cu această primejdie, politica greacă ar fi fost de bună seamă mult mai bine inspirată dacă ar fi cruțat pe Aromâni, pentru a face front comun împotriva Bulgarilor. Această atitudine o sugerase din capul locului România, la Atena; din păcate însă, toate sforțările de a îndruma Grecia spre o mai limpede înțelegere a adevăratelor ei interese, au rămas fără folos.[19] »
Pour illustrer le sort des populations aroumaines, Vladimir Ghika publiera, plus tard, en 1909, un inventaires des violences faites aux Aroumains par les Grecs dans la période 1904-1908, sous la forme d’une sorte de calendrier ironiquement dédié à la « gloire de la “grande idée[20]” par sa complète Sainteté-au-Maximum[21], Ioachim III, Patriarche Orthodoxe de Constantinople, avec le concours des Bienheureux Seigneurs Métropolitains de Macédoine (…).[22] » La brochure se présente sous la forme d’un Calendrier œcuménique, et à chaque jour de l’année, est fêté un acte de bravoure (en fait un horrible attentat) commis par les Grecs contre les Aroumains. Une brève analyse de cet inventaire laisse entrevoir quelques traits principaux : la pression sur les populations se fait surtout par les menaces sur leurs biens, sur les troupeaux notamment, les Aroumains étant, souvent, des éleveurs. Des moutons sont tués, des granges voire des habitations brûlées ; ce sont les notables qui sont d’abord visés, notamment par des assassinats ciblés : chefs de communauté (maires, présidents d’associations culturelles, etc.), les prêtres (plus rarement car, éduqués dans l’hellénisme, ils semblent plutôt fidèles au patriarcat et moins sensibles aux sirènes du nationalisme linguistique), les instituteurs, surtout ceux des établissements d’enseignement en langue roumaine, fer de lance du nationalisme, comme on l’a vu plus haut.
Alexandru Emanuel Lahovary estime que « mai bine de 400 fruntași Aromâni, din Macedonia și Epir, au plătit devotamentul pentru cauza noastră[23] ».
Vladimir Ghika a édité cette brochure sous un pseudonyme : Iani Papaiani, présenté comme « Thessaliote Vlachophone[24], ancien instituteur ». C’est bien évidemment un artifice par lequel il veut montrer l’importance de l’éducation, puisque voilà un Aroumain, probablement éduqué dans une école grecque, qui se fait le grand propagandiste de la cause nationaliste grecque. Vladimir Ghika souligne par là l’importance des écoles et de leurs cadres. La lecture de la préface ne laisse pas douter du but réel de cette brochure qui est de dénoncer les violences faites aux Aroumains de Macédoine. Il est intéressant de constater que l’imprimeur est l’imprimerie Viitorul, celle du journal roumain qui est l’organe officieux du Parti Libéral.
Car les deux principaux partis roumains de cette époque, le Parti Libéral et le Parti Conservateurs ne sont pas indifférents au sort de leurs frères roumains des Balkans. C’est ainsi que les gouvernements tentent de répondre aux attentes des Aroumains qui veulent des liturgies en langue roumaine et des écoles où l’on enseigne cette langue.
L’ambassadeur roumain auprès de la Porte, Alexandru Emanuel Lahovary, explică originea școlilor în limba română destinate aromânilor după războiul de îndependență a României în 1878 :
« guvernul român a luat hotărârea să-și emancipeze conaționalii din Turcia, creând pentru ei câteva școale în Macedonia și în Epir. Până atunci, Aromânii trăiseră în mijlocul Grecilor în cea mai bună înțelegere cu ei. Din acestă clipă însă, România nu putea decât să-i încurajeze în purtarea lor leală față de Poartă și, în același timp, să depună toată stăruința pentru a obține din partea Sultanului recunoașterea lor ca naționalitate distinctă de Greci, pentru a-i sustrage arbitrariului Patriarhiei.[25] »
Le gouvernement roumain finance la construction et le fonctionnement d’églises et d’écoles utilisant le roumain comme langue liturgique et éducative[26]. Mais cela en essayant de ne pas fâcher le Patriarcat grec. Mais voilà, comme pour les Bulgares, le Patriarche de Constantinople refuse tout, soutenu en cela par son Synode, mais aussi par son ennemi, l’exarque bulgare.
La reconnaissance de la nationalité valaque par le gouvernement ottoman
Pour le gouvernement roumain, il n’y a plus qu’une solution pour protéger les populations aroumaines : obtenir la reconnaissance de la nationalité « valaque » par la Sublime Porte pour ses sujets aroumains, ce qui impliquerait des écoles en langue roumaine, des églises où l’on officierait en roumain et des communautés séparées par rapport aux populations grecques et bulgares, tout en restant sous l’obédience du Patriarcat grec de Constantinople. L’idéal serait de convaincre d’abord le Patriarche de Constantinople lui-même du bien-fondé de la chose.
Vladimir Ghika témoigne à l’époque :
« Une dernière tentative du gouvernement Roumain pour régler les choses à “l’amiable” eut lieu auprès du Patriarche. On lui remit 200.000 francs “pour les besoins du Phanar”, à cet effet. L’aventure eut un résultat opposé à l’attente. Joachim III prit l’argent et sous le couvert d’un non-possumus du Synode non seulement se reprit à ne rien accorder à ses ouailles Roumaines, mais se mit à les persécuter de plus belle.[27] »
D’une certaine manière, l’attitude du Patriarche peut se comprendre. Le grec étant la langue des Évangiles, il est tout naturel qu’elle soit aussi la langue liturgique dans des régions où, historiquement, la culture hellénique est dominante depuis des siècles. Comme le latin est alors la langue liturgique exclusive en Occident catholique, même dans les pays germaniques par exemple, pourquoi le grec ne serait-il pas la langue liturgique exclusive en Orient, même dans les pays slaves ? Le problème, ici, c’est que le grec n’est pas seulement une langue liturgique, c’est aussi une langue porteuse de revendications nationalistes, de revendications irrédentistes, ce que n’est pas le latin. Les Patriarches de Constantinople ne pouvaient l’ignorer. Ils se montrèrent cependant obtus à ce sujet.
Les démarches auprès du Patriarcat de Constantinople ayant complètement échoué, il ne reste à l’ambassadeur roumain à Constantinople, Alexandru Emanuel Lahovary, qui a été nommé par le gouvernement roumain pour régler la question, d’aborder le problème sous son seul aspect civil et donc d’obtenir du Sultan un acte de reconnaissance de la nationalité roumaine :
« ajutat de Primul Dragoman al legației, pregătisem o scurtă notiță asupra acestei chestiuni, notă pe care am înmânat-o Marelui Vizir. Ea avea de scop să atragă atențiunea Porții asupra oportunității de a se folosi de apropiatul recensământ ce avea să se facă, pentru a evidenția populațiunile române în toate localitățile unde se aflau așezate și pentru a li se ordona să-și aleagă „muhtari[28]” din neamul lor în sfaturile de bătrâni, care existau în toate orașele și satele Turciei europene.[29] »
Les autorités ottomanes sont plutôt favorables à cette idée qui pourrait calmer le jeu en Macédoine en mettant du côté de l’ordre civil et religieux une communauté importante, fidèle tant au sultan qu’au patriarche, sujets ottomans ne revendiquant pas leur indépendance ni leur rattachement à une Roumanie qui n’est plus voisine de l’Empire depuis la création de la Bulgarie, en 1878. Mais le poids de la communauté aroumaine est moindre au sein de l’Empire que celui de la communauté grecque, bien plus nombreuse et influente, ce qui fait que les autorités ottomanes hésitent à faire droit aux revendications roumaines. « Într-un mediu unde banul domnea, nu trebue să ne mire trecerea de care se bucurau Grecii pe lângă Poartă și chiar în palatul Sultanului.[30] »
Le Sultan, Abdul Hamid II, pourtant surnommé le « Sultan rouge » à cause des réactions violentes qu’il eut contre ses propres populations, notamment les massacres organisés contre les Arméniens en 1894-1896, se montre être, de fait, un homme faible. En fait, ses réactions disproportionnées laissent voir, non un caractère fort, mais plutôt un homme craintif. En l’occurrence, pour ce qui est du statut des Aroumains, il a peur de la réaction des populations grecques, du Phanar, mais aussi d’Athènes.
Pourtant, dès le départ, tous les représentants diplomatiques présents à Constantinople soutiennent les revendications roumaines, sauf ceux de la Grèce, bien entendu, mais aussi ceux de l’Autriche-Hongrie. « Indiferența, ca să nu zic ostilitatea deghizată a Austro-Ungariei pentru
aromâni, se explică, de bună seamă, prin temerea de a vedea slăbirea elementului
grec în Macedonia în folosul bulgarilor, care atunci erau clienți ai Rusiei.[31] » Mais l’ambassadeur roumain réussit, lors d’un court séjour à Vienne, à convaincre le ministre des Affaires Étrangères austro-hongrois, le comte Goluchowski, que la reconnaissance de la nationalité aroumaine ne va en rien à l’encontre des intérêts austro-hongrois. Ce qui fait que, après bien des tergiversations, le Sultan finit par émettre l’iradé du 9/22 mai 1905.
Voici le contenu de ce décret impérial :
« Maestatea Sa Imperială Sultanul, care în sentimentele Sale de înaltă justiţie şi îngrijire părintească pentru popoarele sale, Îşi întinde binefacerile şi favorurile Sale asupra tuturor supuşilor Sěi credincioşi, fără deosebire de rasă nici de religiune, luând în consideraţiune suplicele supuse, în timpul din urmă, la picioarele Tronului Imperial de către supuşii Sěi Valahi, a bine-voit să ordone ca, în virtutea drepturilor civile, de cari dânşii se bucură cu acelaşi titlu ca şi ceilalţi supuşi nemusulmani, comunităţile lor să desemneze pe Muhtari conform cu regulamentele în vigoare; ca, după cum se practică pentru celelalte comunităţi, membrii Valahi să fie de o potrivă admişi, după regulă, în consiliile administrative, şi ca înlesniri să fie acordate de către autorităţile Imperiale profesorilor numiţi de către zisele comunităţi pentru inspectarea şcoalelor lor şi îndeplinirea formalităţilor edictate de legile Imperiului pentru deschiderea nouilor stabilimente şcolare. Această ordonanţă Imperială a fost comunicată Departamentelor Imperiale respective pentru respectarea ei. ABDUL HAMID II – 9/22 Mai 1905[32], Istanbul.[33] »
L’iradé ottoman calme-t-il les choses sur le terrain ? Pas du tout, au contraire, le Patriarche décuple les persécutions contre les Aroumains qui ne se déclarent pas Grecs. Et, bien entendu, il en est de même du gouvernement grec.
Vladimir Ghika écrit alors à Sœur Pucci, Supérieure des Filles de la Charité de Salonique :
« La question religieuse va maintenant devenir plus aiguë que jamais, après le très grand succès diplomatique que la Roumanie vient de remporter (reconnaissance de la nationalité valaque dans l’Empire au point de vue civil). Leur position ecclésiastique devient de plus en plus fausse. Il faudra prendre un parti, nécessairement, et ce sera pour nous, alors, le moment d’agir avec le plus de force. Les Grecs, de nouveau, nous faciliteront peut-être la tâche par leurs maladresses : ils sont hors d’eux pour le moment ; le succès roumain de notre diplomatie les atteint profondément, ils vont se livrer à leurs violences coutumières qui les desserviront une fois de plus.[34] »
De son côté, l’ambassadeur Lahovary fait le même constat :
« Dacă Grecia ar fi știut să profite de lecția care a însemnat falimentul politicii ei intransigente față de românii macedoneni, ea ar fi putut și ar fi trebuit să înțeleagă, mai ales după iradeaua din 9 mai 1905, că sosise momentul când ar fi trebuit să-și schimbe politica și să pună capăt isprăvilor bandelor grecești. Dimpotrivă, ea nu făcu decât să arunce untdelemn peste foc, incitând bandele ei la masacre fără nici un rost și la unele devastări, care sfârșiseră prin a trezi revolta opiniei publice în România. Guvernul român aduse la cunoștința cancelariilor europene aceste sălbăticii înspăimântătoare și se văzu, în sfârșit, obligat, în lipsa oricărei sancțiuni, să rupă relațiile diplomatice cu Grecia.
La Atena nu s-a dat mare importanță nici acestei rupturi, nici represaliilor firești de pe urma cărora supușii greci, stabiliți în România, aveau să sufere: închiderea școalelor și a bisericilor grecești, decrete de expulsare împotriva supușilor greci notabili, bancheri, misiți etc.
Teroarea exercitată de bandele grecești a avut ca efect descurajarea unui mare număr de români din Macedonia și din Epir, în urma cărui fapt s-au văzut siliți să părăsească cauza românească, pentru a pune viața și avutul lor la adăpostul isprăvilor acestor bande.[35] »
Pour protéger les Aroumains, d’aucuns, en Roumanie notamment, préconisent la création d’un exarchat roumain autonome, à l’image de l’exarchat bulgare. Mais, d’une part, cela ne ferait que renforcer les tensions et, d’autre part, un simple exarchat ne pourrait guère attirer les Aroumains, d’abord parce qu’un exarque n’a pas le prestige d’un patriarche et qu’ensuite ils deviendraient la cible de violences encore plus fortes de la part des Grecs et des Bulgares, qui se mettraient sans doute eux aussi à les persécuter à leur tour.
L’iradé n’a donc pas résolu les problèmes des Aroumains, qui ont commencé bien avant sa publication, comme le mentionne Vladimir Ghika dans son rapport et dans sa correspondance :
« Vivement appuyées par le Gouvernement Roumain, des communautés religieuses et civiles roumaines se constituèrent dans l’Empire Ottoman. Elles furent excommuniées. L’excommunication, en 1904[36], s’est généralisée à tous les Roumains qui se déclarent tels et ne se résolvent pas à faire une profession de foi (?!) hellénique. La sépulture chrétienne, après les sacrements, s’est vue refusée depuis le mois d’août de cette année. On se trouve en présence d’un peuple sans Église. C’est une situation qui ne peut pas durer.[37] »
« Les populations (je ne parle pas des agents de propagande – ils ne sont pas dans le même pétrin) sont pressées – et c’est ce qui les fait aller dès maintenant, sans attendre les impulsions du gouvernement roumain, à la solution que je préconise, en certaines régions plus éprouvées. Il ne faut pas oublier qu’elles ont été ruinées et incendiées par les Bulgares, l’an passé, qu’elles sont actuellement assommées par les Grecs, dénoncées par les mêmes Grecs comme complices des Bulgares (!!!), emprisonnées et maltraitées pour ce fait par les Turcs, qu’elles n’ont pas de nationalité reconnue, pas de protection efficace, qu’elles ne peuvent envoyer leurs enfants librement à leurs écoles sous peine d’excommunication, qu’elles n’ont pas avec cela d’église constituée, qu’elles n’ont plus ni où ni comment enterrer leurs morts – et que cette situation ne peut ni attendre ni durer.[38] »
Que faire ? Quelle solution préconise donc Vladimir Ghika ?
L’union des Aroumains à Rome ?
Dans sa lettre à la Sœur Pucci citée plus haut, Vladimir Ghika dit que « ce sera pour nous, alors, le moment d’agir avec le plus de force ». Mais de quelle action est-il ici question ?
Dans sa lettre datée de Salonique du 18 août 1904, Vladimir Ghika précise :
« Un exarque ne représenterait presque rien ici pour les Roumains. Un Patriarche (que Rome seule rend possible) aurait seul le pouvoir d’établir une concurrence suffisante avec le Phanar. L’exarchisme roumain ne séduit ici guère les masses : je citerai à ce sujet le mot d’un des plus gros notables d’ici : “le Patr[iarche] de C[onstantino]ple ou le Pape, pas de milieu pour nous”.[39] »
Le Pape ?… Eh oui, l’union à Rome ne serait-elle pas la solution ?
Plutôt que d’opter pour le Patriarche grec ou l’exarque bulgare de la deuxième Rome, pourquoi ne pas se soumettre à l’évêque de la première Rome, la Rome latine, n’est-ce pas la solution idéale pour des Aroumains eux-mêmes latins ? Il est bien évident que c’est cette solution que Vladimir Ghika préconise, lui qui s’est converti au catholicisme seulement deux ans plus tôt. Il écrit ainsi dans cette même lettre du 18 août 1904 :
« si j’avais ici seulement dix prêtres transylvains [gréco-catholiques] jeunes et actifs, je me chargerais, au point où en sont les choses, de constituer du jour au lendemain pour ainsi dire, la nationalité Macédo-Roumaine, grâce à la solution catholique du problème Macédonien. Il y a pour l’heure d’incroyables facilités : les persécutions les plus révoltantes de la part des Grecs – la Russie occupée ailleurs[40] – un peuple qui ira là où “on” lui dira d’aller, un mouvement déjà commencé sur lequel je pourrai vous raconter de curieuses choses – Rome attentive etc.[41] »
Les Aroumains ont pu constater déjà depuis longtemps que les seules institutions ecclésiastiques qui leur veulent du bien sont des institutions catholiques. Les Lazaristes ont des missions dans la région, les Filles de la Charité aussi, menées par la dynamique Sœur Pucci, sans oublier les Sœurs Eucharistines, de rite gréco-catholique. Ces œuvres catholiques ne s’adressent évidemment pas seulement aux Aroumains, mais à l’ensemble des populations locales, surtout aux Bulgares, cependant elles font du bien, matériel et spirituel.
Voici un tableau des œuvres catholiques dans les Balkans ottomans à la veille de la Première Guerre balkanique :
« I. Évêque et vicaire apostolique, S. G. Mgr Épiphane Scianow[42].
- Séminaire de Zeitenlik[43]. Missionnaires, 6 ; frères coadjuteurs, 5 ; prêtres bulgares, 2 ; professeurs laïques, 2 ; élèves, 58.
III. Résidence de Koukouch[44]. Missionnaire, 1 ; prêtre bulgare, 1 ; orphelins, 15 ; école de garçons à Koukouch, 180 élèves.
- Résidence de Yénidjé[45]. Missionnaire, 1 ; prêtre bulgare, 1 ; école de garçons, 150 élèves.
- Filles de la Charité à Koukouch. Sœurs, 8 ; orphelines, 30 ; école externe de filles, 180 élèves ; dispensaire, 50 malades par jour ; visite des pauvres et des malades.
- Filles de la Charité à Yénidjé. Sœurs, 6 ; école de filles, 120 élèves ; dispensaire, 25 malades par jour ; visite des pauvres et des malades.
VII. Filles de la Charité à Zeitenlik. Sœurs, 10 ; orphelines, 45 ; enfants trouvés, 12.
VIII. Filles de la Charité à Salonique. Tout en n’appartenant pas à la mission bulgare, elles ont, dans cette ville, deux classes gratuites pour les Bulgares catholiques, avec 50 élèves.
- Sœurs Eucharistines à Paliortsi[46] (maison-mère). Religieuses, 7 ; novices, 8 ; orphelines, 30 ; école de village, 25 élèves.
- Sœurs Eucharistines à Ghévghéli[47]. Religieuses, 3 ; élèves, 40.
- Sœurs Eucharistines à Bogdantsi[48]. Religieuses, 3 ; élèves, 30.
XII. Sœurs Eucharistines à Stoyakovo[49]. Religieuses, 3 ; élèves, 40.
XIII. Sœurs Eucharistines à Pirava[50]. Religieuses, 3 ; élèves, 80.[51] »
L’on peut remarquer que ces institutions s’adressent d’abord aux populations bulgares, mais les Aroumains ont aussi pu en profiter.
« À Monastir[52], les Missionnaires [Lazaristes] font la classe aux enfants albanais et valaques. Un Lazariste, M. Faveyrial, fut même prié de donner des leçons de philosophie dans un lycée grec, ce qu’il accepta. À la mort de ce prêtre distingué, le chef du mouvement valaque [aroumain], en demandant un successeur à la Communauté, disait que cette perte était un deuil national (1894).[53] »
Vladimir Ghika évoque lui aussi ce père lazariste :
« le P. Faveyrial : il mourut à la besogne le 25 nov. 1893 après plus de 30 ans de travail acharné, et une vie toute d’œuvres. La cause roumaine, même au point de vue purement national, lui doit tout[54]. Grâce à lui, avec le concours d’un Macédo-Roumain conquis à ses idées (mais malheureusement ambitieux et personnel, et qui se servit de la cause autant qu’il la servit) <Apostol Margarit> – on vit se réveiller l’élément roumain de son long sommeil. Il le révéla à lui-même, l’instruisit, le fit connaître, fonda des écoles, puis un lycée, auquel le gouvernement Roumain concourut (et que celui-ci garda) etc. etc. il essaya d’un séminaire pour former un clergé indigène… Abandonné par le gouvernement roumain, peu suivi par le reste de la Mission, encore point assez écouté par une population où il avait réussi à faire renaître la vie nationale mais où la foi catholique rencontrait des préjugés séculaires longs à détruire, il mourut à la peine après avoir accompli l’œuvre la plus obscure, la plus difficile et la plus méritoire : la pose des fondations d’une grande Œuvre.[55] »
Selon Vladimir Ghika les temps sont donc venus d’une renaissance de l’idée de l’Union à Rome :
« L’année passée [1904] avaient lieu dans la région d’Ochrida[56] les premières demandes d’union qui eussent eu lieu depuis la mort de M. Faveyrial (de son temps il s’était formé déjà un petit noyau uniate dans deux ou trois localités). Cette année le mouvement a pris une organisation, un développement et une ampleur très grandes. Dieu m’a envoyé là-bas, au bon moment, pour y travailler. Aujourd’hui les choses sont arrivées à maturité. Toute une région, la Kaza de Ghevghéli a fait la démarche, plus que compromettante pour elle, en cette terre des massacres, d’une demande formelle d’Union au Supérieur de la Mission Bulgare-Unie de Salonique, Mr Cazot[57]. Son exemple sera sans doute rapidement suivi, si l’on voit surtout que le gouvernement roumain ne combat pas à toute force l’”Union” Macédonienne. »
Car l’attitude du gouvernement paraît essentielle. Les Aroumains suivront en masse le mouvement s’ils se sentent soutenus par la Roumanie. C’est pourquoi Vladimir Ghika intervient en Roumanie auprès des autorités, son frère Démètre, ne pouvant évidemment pas faire de démarche officielle allant dans le sens d’une union à Rome des Aroumains, lui qui représente, comme diplomate, un pays qui est alors – nous sommes avant l’unification de 1918 – presqu’exclusivement orthodoxe.
Les démarches de Vladimir Ghika en Roumanie et à Rome
Vladimir Ghika s’engage donc à soutenir les Aroumains de Macédoine auprès des autorités roumaines et vaticanes. À l’été 1904, il rédige un rapport[58] à destination du premier ministre d’alors, le vieux libéral Dimitrie A. Sturdza. Ce dernier, quoique orthodoxe sincère, se montre intéressé[59].
Il en parle aussi à l’un des leaders de l’opposition, Nicu Filipescu, membre influent du Parti Conservateur, qu’il connaît bien puisqu’il est marié à Maria (Mitza) Moret de Blaramberg, sa cousine germaine. Vladimir Ghika rend compte ainsi de sa démarche :
« Votre crainte de ne pas voir Nicu Philippesco bien disposé n’est heureusement pas justifiée. Je viens de recevoir une lettre de lui, qui confirme et consolide les « impressions » du passé. Il serait prêt à marcher : je lui ai expédié un rapport analogue au vôtre ; après lecture, il me dit qu’il partage mes vues ; il me pose seulement quelques questions et me suggère quelques objections auxquelles je viens de répondre. Il serait indispensable si on marche dans cette voie, de s’entendre avec lui – et je crois qu’il se prêtera, par patriotisme, très-volontiers à cette entente.[60] »
Vers cette époque, il écrit à Sœur Pucci, qui est encore alors Supérieure des Filles de la Charité de Salonique :
« J’ai aussi à parler d’Église consolée en ce qui concerne mes entrevues avec le Ministre des Aff[aires] Étr[angères][61] et le Roi. J’ai trouvé le Ministre naturellement peu porté à seconder l’action uniate en Macédoine, mais il m’a fait la précieuse déclaration qu’il ne ferait aucune distinction entre les Valaques Catholiques et les non Catholiques. Ce qui fait que nous sommes sûrs de voir les Uniates soutenus de deux côtés par Rome et par Bucarest. Sans compter l’appui de la France et des puissances Centrales, ce qui leur donnera une indépendance et une supériorité très grandes par rapport à leurs congénères non Catholiques.
Chez le Roi j’ai trouvé une sympathie peu dissimulée pour la cause Uniate, mais mêlée à sa peur coutumière de se compromettre. Il serait enchanté que cela se fit pourvu qu’il n’ait l’air d’y être pour rien : je lui ai promis de lui remettre un petit récit de ce qu’il y a de fait jusqu’à présent. Je compte faire ce court résumé avec beaucoup de prudence, et pas trop de détails ; car je me défie toujours un peu de ses craintes, et s’il peut être d’un immense secours pour nous (et cela même presque sans rien faire) il peut paralyser aussi notre action par ses appréhensions ou ses calculs politiques.[62] »
Bien entendu, il faut aussi convaincre le Vatican. Vladimir Ghika est reçu en audience particulière par le Pape Pie X, le 27 janvier 1905. C’est sans doute au cours de cette audience qu’il parle au Pape de son rapport sur la Macédoine, qu’il lui remettra une semaine plus tard[63]. Par la même occasion, il demande également à ce que les Lazaristes de Macédoine soient autorisés, en cas de nécessité, de célébrer la messe dans le rite oriental, ce que le Souverain Pontife lui accorde[64]. Mais son séjour à Rome et son entrevue avec le Pape a aussi un autre but :
« Je vais à Rome, en profitant de la présence de la Reine Nathalie [de Serbie] qui m’appelle à l’y rejoindre – 1° passer mes derniers examens si Dieu le veut, – 2° établir les dernières modalités pratiques (traitement des prêtres, choix des candidats épiscopables etc.) de l’« Union » à laquelle fort heureusement beaucoup de Macédoniens sont décidés, que Bucarest les soutienne ou non dans l’entreprise.[65] »
De partout les signaux sont positifs : au Vatican, à Bucarest, parmi les Aroumains.
« Je viens d’avoir une longue entrevue avec le jeune et très-vivant champion de l’Union en Macédoine ; les choses s’organisent bien en ce moment. La base me paraît assez sûre et assez forte pour porter un magnifique édifice national, si nos hommes politiques ont l’intelligence et le courage de le vouloir.[66] »
Et pourtant, non, rien ne se fera. Les démarches de Vladimir Ghika vont en rester là. Essayons pour conclure de voir pourquoi.
Conclusion – L’échec de l’Union à Rome
Vladimir Ghika va d’abord perdre le soutien qu’il a sur place en la personne de son frère, Démètre. En effet ce dernier a été nommé consul général de Roumanie à Salonique probablement à la demande de l’ambassadeur Alexandru Emanuel Lahovary, qui avait su apprécier ses qualités lorsqu’il était son subordonné à Rome. Une fois l’iradé en faveur de la nationalité valaque obtenu de la part des autorités ottomanes, il n’y a plus intérêt à garder Démètre Ghika en poste à Salonique. C’est ainsi qu’il est rappelé par Bucarest au printemps 1905.
Mais, au-delà de la personne de son frère, c’est aussi le soutien éventuel du gouvernement roumain en faveur de l’Union à Rome que perd Vladimir Ghika. Le principal a été obtenu : la reconnaissance de la nationalité aroumaine par les autorités ottomanes, la victoire politique a été obtenue, le sort même effectif des populations aroumaines importe désormais beaucoup moins…
Et celles-ci hésitent à prendre un parti qui ferait d’elles l’objet de représailles tant de la part des Grecs que des Bulgares, comme le montre bien Vladimir Ghika, sous le nom de Ioanis Papaiani, dans la brochure qu’il publie quelques années plus tard, en 1909, et qui prouve par ailleurs que, lui, au contraire de beaucoup d’autres, n’a pas oublié ses frères Aroumains… De plus, les Aroumains sont très attachés à la tradition et donc à l’orthodoxie et ont quelque réticence vis à vis de Rome, comme on l’a vu plus haut.
L’on peut également penser que des réticences sont apparues au sein même du Vatican, mais de cela nous n’avons aucune preuve. Ce qui a pu bloquer, c’est l’une des conditions mises par les Aroumains pour passer à l’union :
« Parmi les conditions mises en avant pour leur retour à l’unité catholique, les paysans de ces villages en ont inscrit une qui touche plus particulièrement au ressort de la Propagande : c’est la constitution pour eux d’une église nationale sur le modèle des autres églises uniates (notamment de celle de Transylvanie, roumaine elle aussi).
C’est-à-dire la constitution d’une église avec un évêque et un personnel roumains.
Cette condition exprime un rêve caressé de longue date par les Macédo-Roumains – et la cause première de leur brouille avec le Patriarcat Grec – qui a toujours refusé toute satisfaction à ceux-ci sur ce terrain : ni liturgie en langue roumaine, ni prêtres de race roumaine, ni hiérarchie à part pour les Roumains &c. &c… C’est aussi un des avantages de l’Union qu’on a le plus fait valoir à leurs yeux ; opposant la conduite étroitement « hellénique » du patriarche, à l’esprit vraiment catholique et universel de Rome ; montrant la paternelle sollicitude du St Siège pour les plus petites communautés uniates, pourvues par lui d’une hiérarchie complète ; mettant sous les yeux des Macédoniens les nombreux exemples d’églises analogues à celle qu’ils désirent, constituées au sein de l’Église Catholique.
C’est donc un point auquel ils tiennent fortement et auquel ceux qui les poussent à l’Union les ont le plus habitué. »
Nommer un prélat à rang d’évêque, de plus autonome, pour une aussi petite communauté, plus potentielle que réelle, a dû poser problème au Vatican.
Les autorités roumaines penseront avoir réglé définitivement le sort des Aroumains au moment de la signature de la paix de Bucarest, en 1913, qui donna des droits étendus aux populations aroumaines des Balkans. En fait ces accords resteront lettre mort de par la survenue de la Première Guerre mondiale et de ses conséquences immédiates et postérieures. Depuis lors les communautés aroumaines disparaissent petit à petit sous l’effet de l’homogénéisation des populations des Balkans.
Anexa 1 – Lettre de Ia sœur Pucci, Fille de la Charité, à la très honorée Mère Kieffer, à Paris.[67]
Salonique, le 28 avril 1903.
À midi, un bateau des Messageries est en flammes à une heure de distance de Salonique. La ville entière est en émoi. Tout le monde attribue l’accident à une explosion de la chaudière. On nous amène à l’hôpital les blessés, qui ne sont pas nombreux, et, chose étrange, aucun ne porte les marques d’une brûlure causée par la vapeur. Le consul de France nous prie de recevoir tout le reste de l’équipage qui nous arrive dans le plus pitoyable état. Nous avons reçu en tout quarante-quatre hommes. La soirée se passe à leur procurer du linge, des habits et à préparer des lits. Par un vrai miracle, pas une victime. Tout le monde se couche et passe une bonne nuit. Seul le chef mécanicien, le plus gravement blessé, ne peut fermer l’œil. Il cherche la cause de cette explosion et finit par s’arrêter à la triste pensée d’un attentat criminel.
29 avril
De grand matin, le commandant du Guadalquivir arrive à l’hôpital ; il a les mêmes soupçons que le chef mécanicien. On se consulte ; on se rappelle alors un drôle d’individu qui a rôdé autour des machines, qui a posé des questions, etc. On avertit la police, on s’informe pour savoir où a passé cet individu qui s’était sauvé du bateau avec le reste des passagers, et on finit par apprendre que c’est un Bulgare qui a pris le matin le train pour Uskub[68]. Des ordres sont donnés pour qu’il soit arrêté à cette station. À l’hôpital, la journée se passe à s’occuper de l’équipage, à fournir aux matelots le strict nécessaire. Le soir, à peu près vers huit heures, une bombe éclate à côté de chez nous, puis une deuxième, puis une troisième… on ne les compte plus… La fusillade des soldats turcs se mêle au fracas des bombes. Toutes les vitres de l’hôpital se brisent. En un instant un grand incendie éclate à la Banque ottomane, les flammes illuminent la cour de l’hôpital ; nous sentons une chaleur intense.
Heureusement, les marins français, chez nous depuis la veille, s’emparent des tuyaux tenus toujours en réserve. Grâce à une bouche d’incendie qui se trouve dans la cour de l’église, ils manœuvrent si bien qu’ils sauvent nos maisons. Nous avons été en danger jusqu’à deux heures.
Pendant ce temps, la ville de Salonique était dans un déplorable état. Les bombes éclataient de tous les côtés ; plusieurs autres établissements furent attaqués. Dès le début, on avait coupé la conduite du gaz ; la ville était plongée dans l’obscurité la plus complète. La famille du directeur de la Banque, avec d’autres employés, se sauvent par miracle et se réfugient chez nous. Les malades de l’hôpital, saisis de frayeur, descendent ; les blessés même se font transporter dans notre habitation, qui est séparée de l’hôpital par une cour ; ils passent la nuit par terre dans le rez-de-chaussée. On entend de tous côtés des fusillades. Notre maison est cernée par les militaires turcs qui gardent en même temps la Banque. Inutile de décrire l’émotion, l’angoisse de nos cœurs. La prière était sur toutes les bouches et nous jetions des médailles de tous côtés avec la plus grande confiance en Marie immaculée.
30 avril.
On assiste à la sainte messe en action de grâces ; on admire que l’on ait pu être sauvé, surtout lorsqu’on apprend que tout, autour de nous, était préparé pour une explosion. La police turque exerce une vigilance rigoureuse ; au bout de toutes les rues, des soldats sont apostés avec leurs fusils chargés. Dans la nuit, plus de deux cents Bulgares, portant de la dynamite, ont été tués; il y en avait travestis même en popes.
À une heure de l’après-midi, pendant que nous tâchions de nous reposer un peu en prévision de la nuit à venir, nous sommes surpris par l’éclat de plusieurs bombes, derrière notre habitation, suivi d’une terrible fusillade. La panique se répand dans tous les cœurs. Cette fois-ci, nous croyons vraiment que c’est notre maison que l’on attaque ; mais, un instant après, nous apprenons qu’un Bulgare. qui
avait pris logement dans une maison tout près de notre école en se donnant pour Serbe, rentrait dans ce moment chez lui chargé de onze bombes. La police l’avait poursuivi, il était monté sur une petite terrasse, et, après avoir lancé les bombes, il prit un revolver et dit aux soldats: « Voilà comment un brave doit mourir ! » Puis ce malheureux se tua.
Ce même jour, on découvrit l’embouchure d’un tunnel que les Bulgares avaient pratiqué pour miner la Banque ottomane. Cette embouchure était située dans la petite cave d’un épicier peu éloigné de notre établissement. Pour se défaire de la terre et des pierres de cette excavation, cet homme vendait tous les jours aux Bulgares, qui étaient de connivence avec lui, du sucre et du café, qui n’étaient autres que des pierres enveloppées dans du papier blanc. Heureusement que toute la dynamite préparée dans ce souterrain n’a pas éclaté, car autrement nous sautions avec la Banque.
1er mai.
Les faits se succèdent. On continue à trouver des bombes partout. Les agitateurs se travestissent sous tous les costumes, même en officiers turcs. La police est faite avec une extrême rigueur et une grande ponctualité. Les Turcs se comportent très bien envers les Européens[69]. Le soir, à partir de six heures, tout le monde doit être rentré. Nous continuons à garder l’équipage du Guadalquivir.
L’individu suspect est arrêté : plus de doute sur l’attentat criminel qui avait pour but d’attirer la population et les autorités du côté de la mer. L’incendie de la Banque devait avoir lieu pendant ce temps-là, le même soir du 28 ; mais cet attentat avait échoué.
4 mai.
On continue à trouver de la dynamite sous toutes les formes. Hier, un jeune homme portait une dépêche au bureau du télégraphe. Il fut arrêté au milieu des escaliers ; il était chargé de dynamite.
Notre maison est très bien gardée par les Turcs le jour et la nuit. Nous commençons à être un peu plus tranquilles ; mais notre école, etc., tout est fermé.
5 mai.
Nous avons passé une nuit très tranquille. La ville a été déserte, car à partir du coucher du soleil âme vivante n’a droit de circuler. On a trouvé dans le souterrain pratiqué pour faire sauter la Banque des documents qui donnent les renseignements les plus précis sur le plan qu’on avait formé pour la destruction de la ville. On a découvert aussi plusieurs copies de ce plan avec l’indication très exacte des divers endroits d’où devaient partir les explosions.
Voici à présent le moyen dont la divine Providence s’est servie pour nous sauver.
Le tunnel pratiqué pour aller à la Banque traversait le jardin de l’hôtel Colombo, qui est à côté de notre maison. En faisant les excavations, les travailleurs avaient rencontré les égouts de cet hôtel. Cet incident, gênant leur marche souterraine, ils avaient coupé le conduit et l’avaient bouché des deux côtés. Les égouts, n’ayant plus d’issue, le propriétaire de l’hôtel dut faire opérer un nettoyage dont il ne soupçonnait certes pas la véritable cause. Les Bulgares, s’apercevant qu’on mettait la main à l’œuvre, se sont vus perdus et ont anticipé l’exécution de leurs sinistres projets, risquant beaucoup la réussite à cause de leur[s] préparatifs inachevés. En effet, ce qui est arrivé le prouve.
Les perquisitions continuent, mais la ville est calme.
Demain, notre équipage prendra la route du Pirée pour rejoindre un bateau des Messageries qui ramènera tout le monde à Marseille.
Sœur Pucci
Anexa 2 – Rapport de Vladimir Ghika sur la Macédoine à l’attention du Vatican[70]
La Macédoine, en y comprenant l’Épire et l’Albanie, renferme un mélange de 5 races principales.
Des Bulgares, des Turcs, des Roumains, des Grecs et des Albanais.
Tous ces éléments ethniques sont en guerre avec les autres.
Au point de vue religieux, toujours étroitement lié, en Orient, à la question nationale, ils se divisaient, jusqu’à hier, en deux grands groupements.
- Les Exarchistes, ressortissant de l’Exarque Bulgare, considéré comme schismatique et même hérétique par le Siège, (Schismatique lui-même), de Constantinople.
- Les Patriarchistes fidèles au Patriarche soi-disant Œcuménique de Byzance.
Les Roumains de Macédoine ont été jusqu’à présent confondus avec les Grecs patriarchistes, grâce à leur religion et à leur culture longtemps hellénique.
Leur race et leur langue, dialecte latin, les différencie profondément – cependant – de leurs voisins hellènes. Leur conscience nationale jusqu’au milieu du XIXe siècle n’exista guère. Depuis cette époque le gouvernement roumain se prit à vouloir les revendiquer pour frères : il trouva à cette tâche un auxiliaire inattendu, un secours étonnamment efficace dans l’action des missions catholiques, qui l’avaient déjà devancé sur ce terrain.
J’ai retrouvé une lettre de 1848, dans laquelle Mr Eugène Boré[71], l’orientaliste et missionnaire bien connu, mort Supérieur Général des Miss[ions] de St Vincent de Paul (1879) signalait déjà, pour le monde catholique, l’intérêt de la question roumaine ; appuyée sur le réveil de la nationalité latine de Macédoine, elle devait trouver un fondement solide et sûr. – Q[uel]ques années après, amené sur les lieux par les débuts du Mouvement Bulgare, Mr Boré et ses confrères Lazaristes initiaient là-bas les premières missions au milieu des Roumains. Mais le mouvement Bulgare occupait et préoccupait tous les esprits à ce moment que malgré l’intérêt bien plus certain et la base bien plus forte qu’ils présentaient à l’action catholiques, les Valaques de Macédoine furent un peu laissés de côté ; on alla d’abord aux Bulgares qui s’offraient (il est vrai que ce fut sans grande franchise) on remit à plus tard le soin de populations qu’il fallait conquérir. C’était pourtant, pour bien des missionnaires, un champ d’activité fort tentant que ces populations latines d’origine et de langue, dépourvues d’un centre d’attraction schismatique bien caractérisé, nullement entraînées dans l’orbite russe, destinées à rompre un jour ou l’autre avec l’hellénisme agressif de Constantinople –, assez isolées, d’autre part, et incapables de trouver en elles-mêmes une formation nationale susceptible de constituer une église indépendante.
Alors que tout le monde se tournait vers les Bulgares, parmi les Missionnaires, un seul s’obstina à la tâche, pour les Roumains, malgré les railleries de ses confrères, avec la conscience de travailler pour l’avenir de la foi – et sans espoir de voir lui-même tous ses efforts payés de succès. Il se nommait le P[ère] Faveyrial : il mourut à la besogne le 25 nov[embre] 1893 après plus de 30 ans de travail acharné, et une vie toute d’œuvres. La cause roumaine, même au point de vue purement national, lui doit tout. Grâce à lui, avec le concours d’un Macédo-Roumain conquis à ses idées (mais malheureusement ambitieux et personnel, et qui se servit de la cause autant qu’il la servit) <Apostol Margarit> – on vit se réveiller l’élément roumain de son long sommeil. Il le révéla à lui-même, l’instruisit, le fit connaître, fonda des écoles, puis un lycée, auquel le gouvernement Roumain concourut (et que celui-ci garda) etc. etc. il essaya d’un séminaire pour former un clergé indigène… Abandonné par le gouvernement roumain, peu suivi par le reste de la Mission, encore point assez écouté par une population où il avait réussi à faire renaître la vie nationale mais où la foi catholique rencontrait des préjugés séculaires longs à détruire, il mourut à la peine après avoir accompli l’œuvre la plus obscure, la plus difficile et la plus méritoire : la pose des fondations d’une grande Œuvre.
Dix ans s’écoulèrent après sa mort, dix ans qui furent comme une éclipse de la cause catholique parmi les Roumains. Les railleurs eurent beau jeu. – En attendant la cause roumaine, qu’il avait lancée pour servir l’autre, avançait à pas de géant, soutenue avec énergie par le Gouvernement de Bucarest.
Or voici que par une de ces logiques profondes qui sont les Siennes, la Providence à l’heure présente, semble préparer une sainte revanche à son laborieux serviteur, en faisant de cette cause roumaine, si avancée maintenant et si forte, le grand ouvrier du retour à l’Unité Catholique.
Voici en effet comment la situation se présente aujourd’hui.
L’élément Roumain, rappelé à la vie a voulu l’indépendance religieuse, la langue liturgique nationale, un clergé national, le tout, encore, par une entente amiable avec le Patriarche Grec de Constantinople. Celui-ci a tout refusé avec constance – et se sentant en présence d’un mouvement dangereux pour l’avenir de sa domination au sein de l’Empire Turc, a fait ce qu’il a pu pour l’étouffer. Dans cette tâche d’écrasement, il s’est trouvé avoir à côté de lui pour l’aider, son ennemi traditionnel lui-même l’Exarque Bulgare. Une ère de persécution commença. Elle ne fit qu’exaspérer et fortifier le sentiment national. Maintenant il y a une Macédoine-Roumaine de 600.000 à 1.000.000 d’âmes[72], dont un tiers environ est prêt à échapper à la domination de Constantinople. Si l’enjeu eut été moins gros, le Patriarche après la première et cruelle expérience eût pu céder quelque peu et moyennant certaines concessions apparentes, redevenir maître de la situation. La crainte, l’affolement, la constance maladroite d’un aveuglement haineux, l’esprit de lutte et de division qui a toujours distingué Byzance, ont poussé au contraire le Patriarcat à outrer encore les violences du début, l’ont mené aux dernières extrémités et l’ont conduit à ne trouver moralement de remède à la situation que dans la victoire ou la mort. L’élément Roumain de Macédoine avait deux choses qui faisaient la force du Patriarcat, le nombre et l’argent.
Jusqu’au « réveil » roumain, tout cela n’existait qu’au profit des Grecs. Le nombre des Roumains, classés « Grecs » en qualité de patriarchistes, et éduqués à la grecque, – autorisait les prétentions des Grecs sur la Macédoine, à l’encontre de l’élément slave si abondant dans la région ; l’argent alimentait le patriarcat besogneux : les richards Roumains étaient dévots et généreux. Perdre ceci c’était perdre tout, pour une institution dans le style du Phanar. La douceur eût pu concilier bien des choses à son profit. Ses violences effrayées am[en]èrent une situation sans issue.
Depuis deux ans la crise a atteint son paroxysme d’acuité. Une dernière tentative du gouvernement Roumain pour régler les choses à « l’amiable » eut lieu auprès du Patriarche. On lui remit 200.000 fr[an]cs « pour les besoins du Phanar », à cet effet. L’aventure eut un résultat opposé à l’attente. Joachim III[73] prit l’argent et sous le couvert d’un « non-possumus » du Synode non seulement se reprit à ne rien accorder à ses ouailles Roumaines, mais se mit à les persécuter de plus belle.
Le conflit s’aggrava après ce mécompte. Vivement appuyées par le Gouv[ernemen]t Roumain, des communautés religieuses et civiles roumaines se constituèrent dans l’Empire Ottoman. Elles furent excommuniées. L’excommunication, en 1904, s’est généralisée à tous les Roumains qui se déclarent tels et ne se résolvent pas à faire une profession de foi (?!) hellénique. La sépulture chrétienne, après les sacrements, s’est vue refusée depuis le mois d’août de cette année. On se trouve en présence d’un peuple sans Église. C’est une situation qui ne peut pas durer.
Elle pouvait au lendemain de la rupture avec le Patriarche avoir 3 issues : – l’idée d’un accommodement avec celui-ci étant désormais exclue.
1° La mise des Macédo-Roumains sous la juridiction de l’Exarchat Bulgare, très-impopulaire, et anti-roumain par excellence. Ce serait un suicide national et le Gouv[ernemen]t Roumain n’y pousse guère, malgré les avances subites que l’Exarchat a fait succéder aux violences hier encore exercées (massacres et incendies) à l’égard des Roumains de Macédoine. Cette solution doit donc être écartée comme fort improbable et trop dangereuse pour être jamais adoptée.
2° La constitution d’une église Roumaine exarchale indépendante. Cette solution ne déplairait pas en principe au Gouv[ernemen]t Roumain. Par bonheur je la crois absolument impraticable et l’expérience de cette impraticabilité oriente déjà les esprits politiques eux-mêmes vers l’Union. Elle n’est pas possible parce qu’elle dépend de la bonne volonté du Sultan qui n’a pas envie de se mettre de son plein gré une pareille affaire sur les bras ; en l’admettant arrachée à Abdul-Hamid, on ne pourrait l’obtenir qu’après de longues années : elle ne porterait donc pas remède à la situation intenable du moment ; en l’admettant constituée, enfin, elle disparaîtrait par faiblesse intrinsèque, car elle ne pourrait être reconnue par la Roumanie, son seul appui, sans entraîner celle-ci dans un schisme à l’égard de Constantinople, schisme qui aurait pour conséquence l’intervention immédiate de la Russie et de graves conséquences internationales. Enfin toutes ces hypothèses d’une Église Exarchale reposent sur une autre impossibilité de fait, née de sa position d’église excommuniée en Orient : point de prélats consécrateurs pour former un épiscopat, j’ajouterais aussi point de sujets, même, capables d’être consacrés évêques. Mille autres raisons rendent encore, aux yeux des populations macédoniennes, cette solution une chimère périlleuse. Elle n’a pas, – de plus, – de prestige aux yeux des Macédoniens. Enfin on ne la voit pas se réaliser, et c’est le plus grand argument pour les foules – malgré toutes les promesses.
3° L’Union reste seule issue de la situation. Ceux qui n’en auraient pas voulu par préjugé religieux y vont maintenant par politique. Le peuple, lui, s’y trouve largement préparé par les missions de naguère. La solution que les circonstances semblent imposer est celle qui le fait retourner à ses grands bienfaiteurs d’hier, à ceux qui l’ont fait revenir à la vie. Mieux instruit, il comprend davantage ce qu’est l’Église : à l’école il a vu dans son pays une action constante des Papes, jadis (l’ancien Illyricum[74] était même si directement uni au Pape qu’il faisait partie de son Patriarcat d’Occident) plus tard les Assanides[75], dynastie Macédo-Roumaine recevaient la couronne impériale d’Innocent III[76] etc… (toutes choses bien remises en lumière par les propagandistes catholiques & roumains), – partout aujourd’hui la bienfaisance, la charité représentées dans la région par les catholiques – la protection des persécutés représentée par eux, la vie religieuse presque éteinte autour de leurs foyers, représentée encore par eux etc. etc… Le latinisme, réveillé, de la race voit volontiers en Rome sa mère-patrie… &c. Enfin la Providence semble avoir fait converger toutes les circonstances vers ce but.
L’année passée avaient lieu dans la région d’Ochrida les premières demandes d’union qui eussent eu lieu depuis la mort de M. Faveyrial (de son temps il s’était formé déjà un petit noyau uniate dans deux ou trois localités). Cette année le mouvement a pris une organisation, un développement et une ampleur très grandes. Dieu m’a envoyé là-bas, au bon moment, pour y travailler. Aujourd’hui les choses sont arrivées à maturité. Toute une région, la Kaza de Ghevghéli a fait la démarche, plus que compromettante pour elle, en cette terre des massacres, d’une demande formelle d’Union au Supérieur de la Mission Bulgare-Unie de Salonique, Mr Cazot. Son exemple sera sans doute rapidement suivi, si l’on voit surtout que le gouvernement roumain ne combat pas à toute force l’« Union » Macédonienne.
L’élément Macédo-Roumain se divise en effet en 3 classes, par rapport au mouvement actuel :
1° la première décidée à s’unir coûte que coûte quoi que pense le Gouv[ernemen]t de Bucarest. On en a maintenant les prémices (région de Ghevghéli)
2° la seconde, la mieux composée et bien plus nombreuse, n’attend pour marcher qu’une non-désapprobation du gouv[ernemen]t Roumain. Si elle voit que celui-ci tolère l’initiative des autres, elle va de l’avant, elle aussi : parmi elle se trouvent des hommes de valeur et d’un sentiment religieux, convaincu, profond, – ce qui est rare en ce triste pays.
3° une catégorie qui n’irait à l’Union, (qu’elle apprécie pourtant), – qu’avec l’aveu formel du gouvernement roumain. Classe nombreuse, intelligente, peu croyante en général composée en majorité du personnel de propagande nationale, et de la population de quelques villes plus considérables.
La seconde catégorie suivrait promptement la première ; la 3° attend un mot d’ordre de Bucarest, mot d’ordre que j’ai travaillé tout cet été à obtenir & que j’étais en bonne voie de provoquer, quand la campagne anticatholique de cet automne, en Roumanie[77], est venue mettre, à tout le moins, un retard à mes beaux projets.
En ce moment, en Macédoine, c’est l’élément Roumain de la Kaza (district) de Ghevgheli qui demande à s’unir. Cette région, compacte, comprend en fait de villages roumains, les suivants : (statistique d’il y a 4 ou 5 ans ; aujourd’hui un peu plus de maisons et d’habitants probablement)
Berilavtsi |
52 maisons |
|
Koupa |
78 « |
|
x Livadia |
389 « |
|
x Loubnitza |
290 « |
|
Lougontzi |
98 « |
|
x Ochan |
169 « |
|
Houma |
67 « |
|
Mélangés de Turcs & de Bulgares |
Bogdantzi |
484 « |
Nouté |
511 « |
|
Bulgarisés |
Konsko |
73 « |
Sermenin |
77 « |
En tout plus de 2000 maisons. Si tous viennent à l’Union, c’est à une population de 10 à 11.000 âmes environ qu’on aura à faire dès le début.
Cette population est desservie au point de vue religieux et cultural par
24 prêtres
14 chantres catéchistes
13 instituteurs
7 institutrices
Des délégués des 3 villages marqués sur la liste précédente d’un astéri[s]que sont venus – récemment (lettre du Supérieur du Séminaire datée du 8 nov[embre]) trouver Mr Cazot, supérieur du Séminaire Bulgare-Uni des Lazaristes à Zeitenlik près Salonique – pour lui témoigner ouvertement de leur désir de s’unir, en leur nom et au nom des 9 principaux villages de la région.
Pour tous renseignements sur cette dernière démarche qui avait été précédée de plusieurs ouvertures, à moi faites, – s’adresser soit à Mr Cazot – déjà nommé – soit à la Sœur Pucci, Supérieure de l’Hôpital St Paul à Salonique, qui [est] établie depuis plus de 30 ans je crois dans le pays ; l’un et l’autre pourront donner des détails intéressants et documentés sur le passé et le présent du mouvement roumain.
Parmi les conditions mises en avant pour leur retour à l’unité catholique, les paysans de ces villages en ont inscrit une qui touche plus particulièrement au ressort de la Propagande : c’est la constitution pour eux d’une église nationale sur le modèle des autres églises uniates (notamment de celle de Transylvanie, roumaine elle aussi).
C’est-à-dire la constitution d’une église avec un évêque et un personnel roumains.
Cette condition exprime un rêve caressé de longue date par les Macédo-Roumains – et la cause première de leur brouille avec le Patriarcat Grec – qui a toujours refusé toute satisfaction à ceux-ci sur ce terrain : ni liturgie en langue roumaine, ni prêtres de race roumaine, ni hiérarchie à part pour les Roumains &c. &c… C’est aussi un des avantages de l’Union qu’on a le plus fait valoir à leurs yeux ; opposant la conduite étroitement « hellénique » du patriarche, à l’esprit vraiment catholique et universel de Rome ; montrant la paternelle sollicitude du St Siège pour les plus petites communautés uniates, pourvues par lui d’une hiérarchie complète ; mettant sous les yeux des Macédoniens les nombreux exemples d’églises analogues à celle qu’ils désirent, constituées au sein de l’Église Catholique.
C’est donc un point auquel ils tiennent fortement et auquel ceux qui les poussent à l’Union les ont le plus habitué. Ils ne tiennent pourtant pas à toute force à sa réalisation immédiate. Le principe assuré pour l’avenir leur suffit, je crois.
(La promptitude de cette réalisation serait pourtant une condition capitale du succès ; elle préviendrait à temps les intrigues de la Russie.)
Si la nomination d’un évêque autant que la création d’un vicariat apostolique à titre épiscopal, avait, même en principe, pour le moment, à souffrir quelque difficulté, on pourrait facilement mettre en attendant à la tête de ces gens un archimandrite (transylvain), c’est-à-dire un simple prêtre, mais d’un « grade » supérieur aux autres, chargé de guider la masse, de la discipliner et de la « perfectionner ».
Cet archimandrite, comme tout le personnel supérieur dont on pourrait avoir besoin devrait être recruté parmi les anciens étudiants de la Propagande, que la Transylvanie a toujours abondamment envoyé étudier à Rome. Il s’agirait de choisir un homme de valeur, docteur en théologie, sorti de ce Collège ; car la situation serait délicate et demanderait autant de prestige, de talent et d’énergie que de piété. Le choix est de grande importance quand on songe que ce noyau de 10.000 âmes est le fragment d’une masse de 600.000 à un million de Roumains animés de dispositions en général plutôt favorables à la cause de l’Union, et dégrossis par les missions des Lazaristes depuis 30 ans.
Comme les titulaires éventuels seraient sujets autrichiens (en leur qualité de Transylvains) je crois nécessaire de faire dès maintenant à ce sujet une observation. Au cas où il deviendrait sérieusement question d’eux, pour tout ce qui les regarde ou touche en général la question Macédonienne dans ses rapports avec l’Autriche, se servir de la Nonciature de Vienne ou de tout autre moyen direct, mais point de l’Ambassadeur d’Autriche-Hongrie à Rome – très hostile en sa qualité de Hongrois à tout ce qui est Roumain d’une part, politique purement autrichienne de l’autre. L’Autriche pousserait volontiers à l’Union Macédonienne et y travaille tant soit peu ; – la Hongrie ne peut lui être qu’opposée.
Au cas où des difficultés naîtraient de la sujétion autrichienne des dignitaires ecclésiastiques transylvains ; il y aurait un biais capable d’arranger toute chose. Les Transylvains, par une mesure de propagande nationale, sont naturalisés presque sans formalité citoyens du Royaume de Roumanie. Si donc on avait quelque ennui de ce côté on pourrait recourir à cet expédient préalable.
Je dois ajouter encore un détail qui m’est venu à l’esprit, en terminant : Je crois pouvoir répondre d’arriver à faire payer au Roi Charles le traitement de l’évêque éventuel des Macédo-Roumains. Je le sais (par une conversation que j’ai eue avec lui cet été) bien disposé pour l’Union. Il a seulement comme toujours une peur horrible de se compromettre. Je pourrai je crois l’induire à prendre à sa charge les frais du nouvel épiscopat, en employant le moyen suivant.
Il ferait chaque année sur sa cassette privée un don de 6000 fr[an]cs par exemple à une abbaye fondée par sa famille, comme celle d’Einsielden[78], par exemple. Cette abbaye, ou toute œuvre pie, par un arrangement préalable ne serait que le prête-nom du St Siège – qui disposerait de la somme pour subventionner l’évêque. Personne ne s’étonnerait de la donation et nulle trace que celle de l’abbaye de famille ou de l’œuvre pie ne resterait dans les papiers ou les comptes du Souverain au cas d’indiscrétion.
[1] Gilles Veinstein, Salonique, 1850-1918. La “ville des Juifs” et le réveil des Balkans, 1992, Éditions Autrement, Paris.
[2] Voir Annexe 1.
[3] Les statistiques varient beaucoup selon les sources utilisées et la nationalité des auteurs. Encore aujourd’hui le dénombrement des Aroumains est bien difficile, tant les autorités des pays des Balkans s’opposent à l’expression des particularités locales de leurs populations. On peut cependant penser que les Aroumains forment, au début du XXe siècle, un groupe d’environ 500.000 personnes. Voir Morgane Labbé, « les Nationalités dans les Balkans : de l’usage des recensements », in Espace géographique, tome 26, n°1, 1997, pp. 35-48 ; https://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1997_num_26_1_1029 ; Daniel Panzac, « la Population de la Macédoine au XIXe siècle (1820-1912) », in Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 66, 1992. Les Balkans à l’époque ottomane. pp. 113-134 –
https://www.persee.fr/doc/remmm_0997-1327_1992_num_66_1_1578 ; Nicolae Serban Tanasoca, « la Position du ministère des affaires étrangères de la Roumanie sur la „question aroumaine” à la veille de la conférence de la paix de Paris (1945) », https://www.academia.edu/23493304/LA_POSITION_DU_MINIST%C3%88RE_DES_AFFAIRES_%C3%89TRANG%C3%88RES_DE_LA_ROUMANIE_SUR_LA_QUESTION_AROUMAINE_%C3%80_LA_VEILLE_DE_LA_CONF%C3%89RENCE_DE_LA_PAIX_DE_PARIS_1945_; Ekaterina Kapranova, les Aroumains : leur situation linguistique, culturelle et politique, sous la direction d’Hélène Lenz, Université de Strasbourg II, E.N.S.S.I.B., 1995 ; Marcel Courthiade et Stella Karamagiola, « Attitudes comparées de deux minorités européennes sans territoire compact vis-à-vis de la langue maternelle : les Rroms et les Aroumains », in Gestion des minorités linguistiques dans l’Europe du XXIe siècle, 2013, pp. 193-215 ; et surtout H. R. Wilkinson, Maps and Politics: a Review of the Ethnographic Cartography of Macedonia, Liverpool University Press, 1951.
[4] Bernard Lory, « l’Exarchat bulgare en compétition avec le patriarcat de Constantinople (1870-1945) », in Autocéphalies : l’exercice de l’indépendance dans les églises slaves orientales (IXe-XXe siècle), Collection de l’École française de Rome, pp. 391-411.
[5] Il ne se terminera qu’en 1961 avec la reconnaissance officielle de l’Église Bulgare par le Patriarcat de Constantinople.
[6] Lory, op. cit.
[7] Lory, op. cit.
[8] Plus connue sous le nom d’ORIM, fer de lance du nationalisme – et donc du terrorisme – bulgare en Macédoine.
[9] Lory, op. cit.
[10] Aujourd’hui Pentalofos, près de Thessalonique.
[11] Hüseyin Hilmi Pasha (1855-1922), fondateur du Croissant-Rouge ottoman, est alors inspecteur général de Macédoine. (https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%BCseyin_Hilmi_Pacha).
[12] L’homme politique britannique William Ewart Gladstone (1809-1898) avait dénoncé les atrocités commises par les autorités ottomanes contre les Bulgares en 1876.
[13] Lambros Coromilas, Consul Général de Grèce à Salonique.
[14] Démètre Ghika, Souvenirs de carrière (1894-1940), Archives Vladimir Ghika. Traduit en roumain : Dimitrie Ghyka, Memorii – 1894-1940, trad. Vasile Savin, Institutul European, Iași, 2004.
[15] Lory, op. cit.
[16] Voir Annexe 2.
[17] De fait, Aroumains.
[18] G. Bartas, « À propos de la Macédoine », in Échos d’Orient, tome 9, n° 60, 1906. pp. 308-312 : « Étrangers à la politique humaine, ils [les prélats phanariotes] auraient dû laisser les diverses races chrétiennes de l’Orient se développer en toute liberté et user, à l’église comme à l’école, chacune de sa propre langue. Or, le Phanar ne l’a jamais entendu ainsi. Quel trésor d’intrigues n’a-t-il pas dépensé, durant le XIXe siècle, contre tous les mouvements ethniques du Balkan autres que l’hellénisme ! Aujourd’hui encore toutes ses machinations et toutes ses violences ne vont-elles pas à combattre l’Église indépendante que les Bulgares se sont donnée et l’Église autonome que les Aromans rêvent d’établir ? » https://www.persee.fr/doc/rebyz_1146-9447_1906_num_9_60_4901
[19] Lahovary, op. cit., p. 22.
[20] C’est le nom donné par les Grecs à l’idée de la reconstitution de l’empire byzantin sous une hégémonie purement hellénique. (Note de Vladimir Ghika)
[21] Traduction imparfaite et affaiblie du titre donné par les Grecs à leur patriarche « panaghiotatos », il veut dire « le maximum de la totalité de la sainteté ». C’est gentil pour un monsieur qui change si souvent. C’est le superlatif de ce que les mêmes Grecs accordent à la Sainte-Vierge-Mère de Dieu – elle n’est que « panaghia ». On a l’instinct de la hiérarchie ou on ne l’a pas. (Note de Vladimir Ghika)
[22] Iani Papaiani [Vladimir Ghika], le Nouveau Calendrier œcuménique, Bucarest, Imprimerie « Viitorul », 1909, p. 1.
[23] Lahovary, op. cit., p. 57
[24] Roumanophone. Rappelons qu’au Moyen Âge les textes occidentaux appellent la Thessalie, partie centre-orientale de la Grèce actuelle, Grande Valachie, du fait de la prédominance des populations aroumaines dans la région.
[25] Lahovary, op. cit., p. 21.
[26] En 1904, un subside de 600.000 lei est accordé par le gouvernement roumain pour soutenir les écoles roumaines de l’Empire ottoman. Lahovary, p. 42.
[27] Rapport sur la Macédoine, cf. Annexe 2.
[28] Muhtari: lideri formali ai aromânilor, grecilor etc (de regulă, nemusulmani ortodocși), desemnați de propria comunitate, cu rol de reprezentare în fața administrației otomane. (Note de Lahovary.)
[29] Lahovary, op. cit., p. 26.
[30] Lahovary, op. cit., pp. 22-23.
[31] Lahovary, op. cit., p. 12.
[32] 9 mai dans le calendrier julien (vieux style), 22 mai dans le calendrier grégorien (nouveau style).
[33] Cité par Nicolae Uszkai, « S-a întâmplat în 9 mai 1905 », in Jurnal spiritual, https://jurnalspiritual.eu/s-a-intamplat-in-9-mai-1905/ consulté le 15.11.2021.
[34] Lettre de Vladimir Ghika à Sœur Pucci, sans date, Archives Vladimir Ghika.
[35] Lahovary, op. cit., pp. 58-59.
[36] Donc avant même la publication de l’iradé.
[37] Cf. Annexe 2.
[38] Lettre de Vladimir Ghika à l’entête du Consulat Général de Roumanie à Salonique du 18 août 1904. Archives Vladimir Ghika.
[39] Archives Vladimir Ghika.
[40] Depuis janvier 1904 la Russie mène une guerre malheureuse contre le Japon en Extrême-Orient.
[41] Archives Vladimir Ghika.
[42] Epifan Šanov (1849-1940), vicar apostolic emerit de Macedonia (Salonique). Il démissionna en 1921. Vladimir Ghika n’a pas dû trouver grand soutien de son côté, car il soutenait les nationalistes bulgares de l’ORIM.
[43] Dans la banlieue de Salonique.
[44] Aujourd’hui Kilkís (en grec Κιλκίς ; en bulgare Кукуш : Koukouche ; en valaque Culcuş, en turc Kılkış) en Macédoine grecque, un peu au nord de Salonique.
[45] Aujourd’hui ville grecque de Giannitsá (en grec Γιαννιτσά) en Macédoine-Centrale, au nord-ouest de Salonique.
[46] Village qui semble être proche de Ghevgheli.
[47] Aujourd’hui en Macédoine du Nord (Гевгелија en macédonien, Gevgeli en turc, Гевгели -Guevgueli en bulgare, Đevđelia en serbe), à la frontière grecque.
[48] Ou Bogdanci (Богданци en macédonien), petite ville du sud-est de la Macédoine du Nord.
[49] Stoyakovo (en macédonien Стојаково), village du sud-est de la Macédoine du Nord.
[50] Pirava (en macédonien Пирава), village du sud-est de la Macédoine du Nord.
[51] Annales de la Mission, n° 79, 1914, pp. 236-237.
[52] Aujourd’hui Bitola (en macédonien : Битола ; en grec moderne : Μοναστήρι ; en turc : Manastır), municipalité et ville du sud-ouest de la Macédoine du Nord actuelle.
[53] Annales de la Mission, n° 78, 1913, p. 52. Notons également ce portrait paru dans les Annales de la Mission n° 104, 1939, p. 144 : « M. Jean Faveyrial (1817-1893), qui avait commencé le mouvement Bulgare en Macédoine, vint le poursuivre à Monastir en 1867. Mais les Valaques, opprimés par les Grecs Phanariotes se tournèrent alors vers Rome. M. Faveyrial les accueillit. Ils étaient environ 15.000 : ils voulaient une liturgie en caractères latins, des prêtres instruits, des instituteurs et des écoles. Avec le concours de M. Apostol Margarit, il ouvrit un lycée roumain et fonda 74 écoles. Les supérieurs, M. Richou, puis M. Hypert, secondèrent les efforts de M. Faveyrial. (…) Aussi la mort de M. Faveyrial (26 novembre 1893), fut-elle pleurée par les Valaques comme celle d’un père trop tôt ravi à leurs espérances catholiques. »
[54] Il est intéressant de constater que le père lazariste français Jean-Claude Faveyrial (1817–1893), qui a tant fait pour la cause aroumaine, est le sujet d’une page Wikipedia en anglais, en albanais, en bulgare et en arabe, mais pas en roumain ni en français… Le Père Faveyrial a notamment écrit en 1891 un Catéchisme valaque à l’usage des prêtres.
[55] Rapport sur la Macédoine – voir Annexe n¨3.
[56] Ville de l’actuelle Macédoine du Nord.
[57] Le Père Léon Émile Cazot (1863-1938), Lazariste.
[58] Probablement un rapport assez semblable à celui que l’on connaît, retrouvé dans les Archives du Vatican (voir annexe 2), qui est cependant plus tardif.
[59] Voir la lettre de Vladimir Ghika du 18 août 1904. Archives Vladimir Ghika.
[60] Lettre de Vladimir Ghika de Salonique, non datée. Archives Vladimir Ghika.
[61] Ionel Brătianu. Ce dernier s’est toujours montré très hostile au catholicisme, par nationalisme roumain (le catholicisme étant considéré par lui comme une religion étrangère) plus que par foi chrétienne orthodoxe.
[62] Archives Vladimir Ghika.
[63] À moins qu’il l’ait remis à cette occasion mais que le rapport n’ait été enregistré dans les Archives vaticanes qu’une semaine plus tard, le 4 février 1905.
[64] Lettre au Saint-Père et lettre à la Congrégation des Augustins de l’Assomption du 29 janvier 1905. Archives Vladimir Ghika.
[65] Lettre de Vladimir Ghika du 9 octobre 1904. Archives Vladimir Ghika.
[66] Lettre de Vladimir Ghika de Salonique, non datée. Archives Vladimir Ghika.
[67] Annales de la Congrégation de la Mission, vol. 68, 1903, pp. 277-281.
[68] Skopje, actuelle capitale de la Macédoine du Nord.
[69] Comprendre : les Européens occidentaux.
[70] C.C.O., 688/48 Rumeni – Macedonia, Pro Memoria del Principe Ghika sull’opportunità di dare un vescovo ai rumeni di Macedoni disposti a ritornare all’unione. Die 4 Februari 1905. Fascicule autographe de Mgr Ghika coté 18783 et 17226. (sans mention de date ni de lieu.)
[71] Eugène Boré (1809-1878) a appris les langues orientales : arabe, turc, persan, arménien, hébreu et syriaque et, à 24 ans, assurait déjà la suppléance du cours de sanscrit au Collège de France. Professeur au collège des Lazaristes de Constantinople, il devient prêtre lazaristes en 1850. En 1867, il intègre le Conseil Général de l’Œuvre d’Orient. En 1874, il est élu supérieur général de la Congrégation de la Mission (Lazaristes), poste qu’il occupe jusqu’à sa mort. (Source : Wikipedia.)
[72] On voit que Vladimir Ghika choisit la fourchette haute des estimations démographiques. Voir plus haut.
[73] Joachim III (1834-1912), monté deux fois sur le trône œcuménique de Constantinople (1878-1884) et (1901-1912). Il a été qualifié de « Magnifique » !
[74] Ancienne province de l’Empire romain correspondant approximativement à l’ancienne Yougoslavie et à l’Albanie réunies.
[75] Ou Assénides, fondateurs du Second Empire bulgare.
[76] 176e pape de l’Église catholique (1198-1216).
[77] Campagne qui a conduit au départ de l’archevêque catholique de Bucarest, Mgr Hornstein, le dernier jour de l’année 1904. Il est mort le 5 juin 1905 à Évian-les-Bains, sans jamais être revenu en Roumanie.
[78] L’abbaye bénédictine d’Einsiedeln (orthographe correcte) est située dans le canton de Schwytz.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, în revista Pro Memoria, nr. 20 / 2021, p. 175-208.