Luc Verly

De nombreux articles sont parus récemment dans la presse française concernant la vénérable Marthe Robin. Je n’ai pas trouvé trace dans nos Archives que Vladimir Ghika l’ait jamais rencontrée. Par contre des parallèles très intéressants peuvent être faits entre cette dernière et Violet Susman, que Mgr Ghika a, par contre, bien connue. Toutes deux sont des mystiques qui se retrouvent un jour clouées au lit par une grave maladie. Elles attirent autour d’elles un groupe de croyants qui s’élargit au fil du temps. Toutes deux affirment avoir un certain don de clairvoyance. C’est ainsi que c’est Violet Susman qui dira à Vladimir Ghika la phrase bien connue : « Une seule messe célébrée par vous fera infiniment plus pour le bien des âmes que tout le bien que vous pouvez leur faire par votre action en restant dans le monde ! »[1]

L’origine des deux femmes est pourtant bien différente, mais ce qui les rapproche peut-être c’est leur position marginale au sein de la société catholique : Marthe Robin est fille de paysans pauvres, tandis que Violet Susman est, certes, issue de la bonne société, mais d’origine juive et sud-africaine, des marges de l’Empire britannique donc. Convertie au catholicisme, cette dernière a fini par se retrouver dans une petite chambre, à Paris, entourée d’un groupe de croyants sincères, notamment d’un groupe d’étudiants catholiques japonais… C’est là que Vladimir Ghika la rencontre et, très vite, il est impressionné par les réponses simples et profondes qu’elle donne à ses questions. Comme Marthe Robin, elle rêve de « foyers d’intense vie chrétienne »[2]. C’est ainsi que Vladimir Ghika élabore avec elle son idée de fraternité Saint Jean.

Ils ne sont cependant pas tout à fait d’accord sur le nom et le rôle de cette fraternité. Une incompréhension se développe peu à peu. Surtout qu’un beau jour Vladimir Ghika se rend chez Violet et trouve le nid vide. Il apprend que la jeune fille, miraculeusement guérie de son mal de Pott quelques temps plus tôt, est partie pour Rome avec le docteur japonais Totsuka. Comment peut-on marcher après être resté tant d’années cloué au lit ? Miracle ? Le directeur spirituel de Marthe Robin, le Père Georges Finet, a dû se poser le même genre de questions quand il l’a retrouvée morte au pied de son lit avec, aux pieds, des chaussons… usés. Cela ne l’a pas empêché de développer l’œuvre des Foyers de Charité fondée par sa protégée, tout comme le docteur Vincent Totsuka, devenu prêtre, réalise au Japon l’idée qu’il se fait de la Fraternité Saint-Jean, œuvre qui prospérera et qui existe encore aujourd’hui, aidé en cela par les prières de Violet Susman, restée à ses côtés et devenue religieuse sous le nom de Sœur Agnès.

Avant de se revoir au Japon en 1932, Vladimir Ghika lui écrit : « Ni le temps, ni l’espace, ni les misères de cette vie, ni même nos imperfections ne peuvent séparer nos âmes que le Tout-Puissant a voulu réunir au fond du cœur de Jésus. »[3]

Juste après cette première visite, en 1933, Violet Susman lui écrit : « Vous avez tellement aidé mon âme, merci pour tout. Je sais que vous m’avez laissé grande paix et confiance. » Puis après la seconde, en 1937, dans sa dernière lettre : « Je reste la même. Mon âme est en paix en profondeur, en surface, la tempête fait rage parfois, mais j’essaie de suivre votre conseil et de vivre en Dieu. Priez pour que je sois ce que Jésus attend de moi, humble et détachée de moi-même, de sorte que Lui seul règne en moi, et que je ne fasse qu’un avec Lui. »


[1] Yvonne Estienne, Une flamme dans le vitrail.

[2] Journal de Raïssa, 15 janvier 1923, p. 127.

[3] Brouillon de lettre de Vladimir Ghika à Violet Susman.

Articol publicat într-o formă restrânsă în Actualitatea creștină, nr. 4/2021, p. 27