Au Père lazariste Georges Schorung qui lui racontait un jour que le Père Lamy avait fait dans sa jeunesse une chute qui avait failli lui coûter la vie, Vladimir Ghika répliqua : « Si j’avais su que le Père Lamy était tombé sur la tête, je ne me serais pas engagé ». Mais dans quoi s’est-il ainsi engagé ?

Dans l’achat du monastère d’Auberive en France devant servir de base à la communauté des frères et sœurs de saint Jean. Car si le Père Édouard Lamy n’est pas à l’origine de cette communauté, c’est lui qui a poussé Vladimir Ghika à racheter à l’État français l’ancien monastère devenu prison suite à une vision dont il était, paraît-il, coutumier. Car Jean-Édouard Lamy était né non loin de là, au Pailly, en 1853, et il y était revenu pour y finir une vie qu’il avait notamment consacrée aux jeunes de La Courneuve, commune déshéritée de la banlieue parisienne. Il avait aussi bâti une chapelle dans les bois près de chez lui et y avait organisé un pèlerinage qui existe encore et auquel Vladimir Ghika participa plusieurs fois[1].

Le Père Lamy avait dans l’idée de créer une congrégation et avait trouvé en Vladimir Ghika un prêtre, de vingt ans son cadet, qui pourrait l’y aider, mais les projets des deux hommes d’Église ne correspondaient pas et, très vite, le Père Lamy se désintéressa d’Auberive. La communauté Saint-Jean se développa ainsi sous la seule direction de Vladimir Ghika, mais elle ne put se développer beaucoup, en partie frappée par l’interdiction de la branche masculine par l’évêque du lieu, qui, dans un esprit quelque peu réactionnaire diront certains, réaliste diront d’autres, n’acceptait pas, entre autres, la promiscuité entre frères et sœurs, même s’ils habitaient dans des bâtiments séparés.

Les sœurs restées seules et Vladimir Ghika parti pour le long voyage le conduisant au Congrès Eucharistique International de Sydney (on voyageait alors en bateau), le Père Lamy fit sa réapparition à Auberive, pensant bien, d’une manière ou d’une autre, prendre le contrôle de la communauté, à la grande colère de Vladimir Ghika quand il l’apprit à son retour. Mais ce dernier, devant subir une opération à Rome, ne put intervenir de suite et ne put empêcher les douces paroles du « saint curé de La Courneuve », comme Vladimir Ghika l’appelait lui-même dans ses premières lettres à Jacques Maritain, de faire leur effet dans l’esprit des sœurs qui, peu à peu, quittèrent Auberive au grand désespoir du Père fondateur.

Après cette nouvelle déception face à quelqu’un affirmant recevoir des messages du Ciel, comme dans le cas de Violet Sussman[2], Vladimir Ghika se montra dès lors très prudent à l’égard des révélations de telles personnes, sans les remettre cependant totalement en cause. Il expliquait ainsi à son fils spirituel Horia Cosmovici, vers la fin de sa vie : « Il ne faut pas désirer les miracles et les états exceptionnels, mais au contraire, il nous faut nous en méfier, car derrière eux se cachent souvent de graves dangers. On ne se sanctifie pas par les miracles ; notre sanctification se fait en remplissant nos devoirs d’état dans le monde auquel nous appartenons et selon le rôle naturel que nous y tenons. Ces états exceptionnels, par un équilibre voulu par la justice divine, impliquent également des épreuves exceptionnelles, qui sont très difficiles à dépasser. Ce qui fait que la position que nous devons prendre est celle donnée par le “Que ta volonté soit faite” du Notre Père.[3] »

[1] Sur la vie du Père Lamy, voir Paul Biver, Apôtre et Mystique : le Père Lamy, Préface de Jacques Maritain, Paris, 1950.

[2] Voir l’article d’Actualitatea Creștină qui lui est consacré (n°4 2021 p. 27).

[3] Horia Cosmovici, Monseniorul, Editura M.C., p. 49.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 2 / 2024, p. 27.