C’est à un tournant de son cursus académique que Geneviève d’Haucourt rencontre Vladimir Ghika. Fille d’un magistrat, elle a suivi la vocation paternelle en obtenant une licence en droit à Rennes (comme Vladimir Ghika à Toulouse quelques décennies auparavant), mais aussi, en parallèle, une licence en lettres. Et c’est cette dernière passion qui finalement l’emporte puisque, sur le tard, elle s’inscrit au très difficile concours d’entrée à l’École des Chartes de Paris et est reçue deuxième, en 1932. Précisons ici que cette école d’élite prépare les chercheurs à la paléographie, à l’étude des textes anciens, grecs et latins naturellement, mais pas que cela. Le seul titre de « chartiste » impose encore aujourd’hui le respect parmi les historiens.

Mais après 3 ans d’études, Geneviève d’Haucourt décide de faire une pause. C’est alors qu’elle rencontre Vladimir Ghika[1]. Se pose-t-elle alors des questions sur une éventuelle vocation religieuse ? C’est possible, mais rien dans leur correspondance, faite surtout de petits billets informatifs, ne permet de l’affirmer. Celle-ci couvre essentiellement l’année scolaire 1935-1936, au cours de laquelle Geneviève d’Haucourt organise un groupe catholique au sein de son école, mais aussi un groupe de discussion avec des dames protestantes, projets dans lesquels Vladimir Ghika est bien évidemment impliqué. Elle lui écrit ainsi, le 26 mars 1936 : « Merci de la bienveillance que vous voulez bien avoir à l’égard de votre groupe Chartiste. Je ne sais si j’aurai la joie d’assister à votre conférence, mais je me réjouis de penser que d’autres y assisteront qui n’ont encore jamais entendu certaines paroles et quelques-uns les attendent. »

 Ces projets ne semblent cependant pas avoir de suite à long terme, sauf peut-être le livre qu’elle publie, sous le pseudonyme de Dominique Auvergne, Regards Catholiques sur le Monde[2], qui présente une quinzaine d’auteurs catholiques, comme Jacques Maritain, Paul Claudel, Emmanuel Mounier, François Mauriac, etc. mais pas Vladimir Ghika, même si presque tous ces intellectuels font partie de son cercle d’amis plus ou moins rapproché.

En cette même année 1938, Geneviève d’Haucourt reprend ses études et obtient son diplôme d’archiviste paléographe, études qu’elle complète par une formation d’historienne à l’École Pratique des Hautes Études puis à Harvard. Elle est archiviste à Brest en 1944 et prépare un doctorat en droit, quand la bibliothèque où elle pensait avoir mis sa thèse à l’abri est bombardée par les alliés et que tout est détruit.

Probablement très découragée, elle change alors complètement d’ambition et, profitant de la fin de la guerre, s’installe aux États-Unis où elle devient traductrice, professeure assistante dans des universités catholiques et pratique encore d’autres métiers plus ou moins alimentaires. Elle finit par renouer avec l’idée d’écrire une thèse de droit, mais sur un moyen-âge beaucoup plus récent cette fois : la vie rurale dans l’État de l’Indiana jusqu’en 1850 ! Ses activités dans le cadre des amitiés franco-américaines l’amènent même à rencontrer le président Lyndon Johnson à la Maison Blanche en 1967. Elle finit sa carrière aux États-Unis avant de revenir en France, à Rennes, la ville de son enfance. Elle n’a pas oublié sa foi catholique puisqu’elle y crée une association pour venir en aide aux Missions de Madagascar et parraine de jeunes étudiants Camerounais.

Elle meurt à Rennes, le 24 septembre 2000, à 96 ans, et aujourd’hui, honneur bien mérité, une rue de la capitale administrative de la Bretagne porte son nom.

[1] Peut-être le connaissait-elle déjà auparavant, mais ce n’est pas certain.

[2] Desclée de Brouwer, 1938.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 3 / 2024, p. 27.