« J’ai profané des hosties ; j’ai souillé des hosties. (…) Quelle vision il peut être ce beau Lucifer, cet archange de gloire qui m’est apparu tout rayonnant de lumière ! (…) Mais pourquoi vous dis-je tout cela ? à vous, une inconnue, alors que je ne l’aurais jamais dit à mon meilleur ami (…). Je me sens poussé à vous parler, poussé par une force intérieure plus puissante que ma volonté. » Celui qui parle ainsi est un avocat français, Octave Houdaille, et il s’adresse à une jeune femme catholique, Marie-Madeleine Bouvier, venue l’interroger sur un tout autre sujet. Voyant cet homme dans un tel état de délabrement spirituel, elle pense lui envoyer un prêtre. Mais à cette idée, cet ex-franc-maçon réagit violemment : « un prêtre chez moi, c’est impossible, impossible…[1] »

Elle fait cependant appel à quelqu’un de sa connaissance, un certain Vladimir Ghika, qui s’empresse de se rendre chez Octave Houdaille, de vaincre, sans trop de mal, l’opposition de la très catholique bonne prénommée Rose, qui fait barrage à la porte, et d’entrer en contact avec notre sataniste. Entre gens du monde, la conversation est aisée et cordiale. Pourtant l’opposition est rude. Dans la lutte entre le Bien et le Mal, Houdaille pense que le Mal sera finalement vainqueur. « Avant d’être fils du ciel, nous sommes esclaves de la terre et les spéculations de la métaphysique s’estompent dans la physique des mornes réalités », écrit-il à Vladimir Ghika le 6 novembre 1932.

Mais on sent que notre homme n’est pas fondamentalement méchant, car les forces sataniques il veut les déchaîner contre le mal humain : « Je me suis livré à des séances d’occultisme et à des conjurations ésotériques redoutables – dans quel but ? Impuissant à donner le bonheur, j’ai la faculté de déchaîner le malheur. Or, il y a de par le monde une association de scélérats nommés Nazis. J’ai invoqué toutes les puissances – même celles de l’enfer – pour jeter le malheur et la mort sur ces individus près de qui les Bolchevistes et le vampire de Düsseldorf[2] sont des petits saints – et les puissances occultes m’ont répondu… » Et notons qu’il écrit cela le 4 septembre 1932, avant même la venue au pouvoir d’Adolf Hitler… que ses incantations n’ont pas réussi à vaincre, d’ailleurs.

Mais tout cela le tourmente : « Oui, j’ai des nuits horribles. Je songe sans cesse à la mort. Ah ! si la mort était le grand sommeil, le grand repos, le néant ! Quelle douceur me serait cette certitude ! Je le crois, d’ailleurs ; je veux le croire ; mais trop souvent cette pensée me revient : Et si pourtant il y avait un Au-delà ?1 »

Finalement, le 15 juin 1935, rongé par ce doute, Octave Houdaille se confesse à Vladimir Ghika qui lui donne l’absolution. Peu de temps après, suit le sauvetage in extremis  de son grand ami et compagnon en matière de recherche spiritiste, le Dr Charles Richet, prix Nobel de médecine 1913, qui mourra peu de temps après, en décembre 1935. Octave Houdaille meurt à son tour, très chrétiennement, le 17 octobre 1939, au moment où ces forces du mal qu’il redoutait tant se déchaînent sur l’Europe.

[1] Récit de Melle Bouvier.

[2] Peter Kürten, surnommé le « Vampire de Düsseldorf », est l’un des plus célèbres tueurs en série d’Allemagne. Il fut l’auteur d’une série de meurtres et d’agressions à caractère sexuel, sur des enfants et des adultes, dont la plupart furent commis à Düsseldorf en 1929. Le réalisateur allemand Fritz Lang s’inspira en partie de ce fait divers pour son film M le maudit (1931), avec l’incomparable Peter Laure dans le rôle principal.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 13 / 2023, p. 21.