Dans cette chronique, nous vous avons déjà présenté Maria Solacolu, qui fut une grande pourvoyeuse de « clients » pour Vladimir Ghika. Une autre « rabatteuse », pour la Belgique, fut très certainement Flore Many, qui présente étrangement des traits fort semblables à ceux de Maria : elle a perdu très tôt ses parents, est restée célibataire, vit avec une autre femme (comme Maria vivait avec sa sœur Zoé), en l’occurrence une Polono-Lituanienne, Ludka de Rosciszewska, qu’elle appelle « Maman » (sa mère de cœur, après sa mère biologique et sa mère adoptive – une vieille tante), vit assez chichement de leçons particulières, ce qui ne l’empêche pas d’être généreuse, et, last but not least, est tout aussi prolixe dans sa correspondance.
Et, bien entendu, elle est très croyante. Mais alors pourquoi faire appel à Vladimir Ghika pour faire de l’apostolat autour d’elle, pourquoi ne pas le faire elle-même ? C’est que « le message divin (…) je me sens incapable de [le] transmettre dans son intégralité, parce qu’il n’est pas assez clair pour moi-même » explique-t-elle. À un communiste qui lui demande une Bible, pour pouvoir la contredire soupçonne-t-elle, elle répond qu’elle n’en a pas et ne connaît que l’Évangile. C’est là qu’elle trouve sa raison d’être : Aime ton prochain comme toi-même… plus que toi-même pourrait-on même dire en ce qui la concerne, tant elle se sacrifie, comme elle a sacrifié sa santé pendant la Première Guerre mondiale à soigner les blessés au point d’en tomber malade et de ne pouvoir terminer sa dernière année de médecine.
Et puis, cette foi qu’elle répand autour d’elle n’empêche pas le doute. « Je voudrais avoir un dixième de votre foi, écrit-elle à Vladimir Ghika. Je lutte péniblement, toujours dans les ténèbres. » Elle prie, elle prie beaucoup. Mais, comme dit son amie Ludka : « Pourquoi nos prières semblent-elles parfois nous retomber sur l’âme comme un poids mort, quand elles ne viennent pas nous railler ? »
Jusqu’à la rencontre de Vladimir Ghika fin 1933 à Bruxelles, Flore Many ne trouve pas de prêtre disponible pour l’aider, ils ont trop à faire. « Vous comprendrez que, finalement, je me sois décidée à repêcher mes clients toute seule… L’exercice m’a peut-être été salutaire, mais combien dur ! Je crois que j’ai vraiment touché le fond de la solitude spirituelle », écrit-elle à Vladimir Ghika, qui, lui, se montrait, même de loin, disponible, à l’écoute, lui « qui fut la grande rencontre spirituelle de ma vie et, pour moi, l’incarnation de Dieu sur terre ! » comme elle le dira au Père Schorung un an avant sa mort.
Cette importance qu’il a dans sa vie, elle ne le cache pas à Vladimir Ghika lui-même : « Sentez-vous à quel point vous êtes une lumière et une force ? (…) Et veillez bien sur mes petits. Curieuse nichée… » Et si elle sent bien qu’elle ajoute des soucis au prélat roumain, elle s’en excuse face à lui et face à elle-même en disant : « on ne peut vous faire plus de plaisir qu’en vous demandant d’être utile. »
Lorsque Vladimir Ghika « disparaît » en Roumanie au début de la Deuxième Guerre mondiale, elle se sent seule, abandonnée. Flore écrit ainsi à Vladimir Ghika au début de l’année 1940 : « Je crois que pas un jour ne s’est passé sans que mon amie [Ludka] ou moi prononcions votre nom… Vous êtes une des rares figures qui aient marqué profondément dans notre vie : ce sont vos pensées, vos écrits, vos conseils qui surgissent immédiatement devant nous quand un problème nous préoccupe. (…) nous sommes les témoins vivants que [votre action] continue, chemine lentement à travers les âmes. »
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 4 / 2024, p. 27.