La Documentation Catholique, n° 216, 27 octobre 1923, 5ème année, T. 10
Les débuts. – Origines. Ascendants. Par sa mère, Jacques Maritain fut, au moins nominalement, rangé parmi les protestants libéraux. L’étudiant (la première rencontre de Francis Jammes et de J. Maritain ; l’amitié d’Ernest Psichari, connu au lycée). Déceptions philosophiques (initiations scientifiques ; ignorance de la foi catholique). L’amitié de Péguy. L’influence de Le Dantec : 643.
La conversion. – Un premier jalon : la philosophie bergsonienne (elle remet en honneur la métaphysique). La grande révélation : l’Église (l’amitié de Léon Bloy ; souci de l’absolu ; la sainteté des saints). Séjour à Heidelberg ( “la joie de la foi conquise” ; crises ; nécessité de choisir entre Bergson et l’Église). L’abandon des carrières officielles : 647.
Le philosophe catholique. – En pleine scolastique. La direction du P. Clérissac. Professeur au collège Stanislas (lutte contre les anciennes erreurs). La conversion de Psichari. “Autre grâce immense”. – Conférences et professorat à l’Institut catholique (réfutation du bergsonisme et du subjectivisme ; activité professorale et personnelle). L’écrivain et le polémiste (l’Introduction à la philosophie ; récompenses romaines ; Art et Scolastique ; chroniques de Revues ; la Logique ; importance des écrits de J. Maritain) : 652.
La philosophie de Jacques Maritain. – Le thomisme et son développement. “Intellectualisme brûlant de vie.” Pessimisme. Philosophie et vie spirituelle. Souci du réel. – L’influence de Maritain. Les critiques de ses adversaires : 656.
Jacques Maritain
Ces quelques pages répondent à l’appel d’une haute personnalité ecclésiastique, venant après l’implicite et logique invitation d’une série d’œuvres qui classent très haut dans la vie intellectuelle et religieuse du moment le jeune professeur de l’Institut Catholique de Paris. A défaut d’autre titre, une amitié récente mais solide et éclairée, et cette compréhension que donne le fait d’avoir beaucoup d’idées et d’aspirations communes avec un commun amour de Dieu, m’ont conduit à assumer de très bon cœur pareille tâche.
Il est permis de croire que le public sera heureux de posséder sur ce sujet des informations d’une valeur documentaire contrôlée ; elles sont dignes à tout le moins de l’intérêt commandé par l’étude du mouvement littéraire et philosophique chez nos contemporains. Elles se réfèrent à l’un des rares convertis qui n’aient pas fourni à ce public le récit d’une conversion pourtant bien profonde et vivante, et par surcroît à l’un des plus notoires pour la qualité de l’âme et la valeur de la pensée. Elles ont trait à un modeste et à un retiré, qui, pour mieux suffire à une tâche dont l’accomplissement se fait, même ainsi, avec un excès de labeur, se laisse presque coupablement ignorer du monde. Elles regardent enfin quelqu’un dont le curriculum vitae, mieux connu, pourrait utilement servir à l’enseignement de tous.
Origines. Ascendants. Un protestant libéral.
Jacques Maritain est né à Paris le 18 novembre 1882, au lendemain du triomphe du radicalisme de l’exécution des décrets, au moment de la grande vague sectaire, en plein éveil de la littérature réaliste, à l’heure où tout l’enseignement allait se pénétrer de la “doctrine laïque”. Il s’est ainsi trouvé paradoxalement plongé, durant son enfance et sa jeunesse, dans une atmosphère tout autre que celle qui plus tard devait être celle de son choix. Mâconnais par la famille de son père, Lyonnais par celle de sa mère, c’est le meilleur terroir français qui a fourni à cet enfant de la Troisième République ces dispositions méditatives, si naturellement marquées entre le Rhône et la Saône, et cette sorte d’abondance étoffée dans la pensée et dans l’image, si caractéristique aux confins du pays bourguignon. En thomiste convaincu nous faisons cette part à la materia signata quantitate, mais sans tomber dans les excès de la théorie des climats, des hérédités et des races, et avec d’autant moins de danger d’y verser que, toujours en vertu de la même école de pensée, nous plaçons la personnalité tout à fait ailleurs que dans les marques individuelles, dans cette personne intelligente, libre, et volontaire, prédestinée et dessinée par autre chose que par les influences naturelles au milieu desquelles elle a, pour son mérite et la forme providentielle de sa vie, à se mouvoir.
Son père, né à Mâcon en 1841, avocat, inscrit au barreau de Paris de 1863 à 1889, ensuite bâtonnier à Mâcon en 1892 et membre de l’Académie locale, n’a guère eu de part à la formation de sa vie religieuse, ni à son éducation. Catholique de naissance, il l’était, comme trop de gens de son époque, avec assez peu de pratique et de conviction pour laisser baptiser protestant son fils, dans la religion de sa mère, et, par la suite, son influence ne s’est pas exercée sur celui-ci, en un ménage divisé où l’enfant était confié aux seuls soins maternels. Madame Maritain-Favre est la fille de Jules Favre, l’homme qui a joué sous le second Empire et au début de la Troisième République un rôle si marquant et possédé un nom si populaire ; rôle aujourd’hui presque complètement ignoré, et nom bien oublié. Quelle figure moins à l’ordre du jour, pour ceux-là mêmes qui bénéficièrent de tout l’effort de sa vie, que celle de ce prestigieux orateur, l’un des ouvriers principaux du régime actuel de la France, l’un des pères spirituels de la doctrine républicaine, le défenseur audacieux d’Orsini, le successeur de Victor Cousin à l’Académie, le démocrate généreux mais plein des illusions de son temps, auquel était réservée la plus douloureuse des missions, celle de défendre, en 1870, les intérêts de la France devant le vainqueur.
Protestant comme Taine sur la fin de sa vie, l’ancien collègue de Lamennais avait été amené à ses nouvelles conceptions religieuses par rationalisme humanitaire, par application à l’Église de la formule démocratique, par amour du libre examen dans l’ordre religieux comme dans l’ordre civil et intellectuel. Sa fille le suivit dans la confession de son choix. C’est ainsi que Jacques Maritain, par sa mère, a été au moins nominalement rangé dans ce protestantisme très spécial qui fut, quand elle en professe une, la religion officielle et secrète à la fois de la Troisième République en qualité d’Ecclesia docens. Ce protestantisme où il a été baptisé d’un baptême douteux (plus tard renouvelé sous condition) et où il a été élevé, était de la nuance dite libérale la plus accentuée. Athanase Coquerel en avait été le tenant le plus marquant et l’initiateur le plus audacieux. Vidé de presque tout contenu dogmatique, il se réduisait à une morale d’immanentisme pieux avec un impératif aussi catégorique que fugace, opérant à partir d’une conscience presque mythologique : en somme, une doctrine suisse, digne de trouver faveur en ce siècle suisse qu’a été le XIXe, issu de Rousseau et de Mme de Staël.
L’étudiant. L’amitié d’Ernest Psichari.
Cela n’était pas fait pour tenir fort ancrée dans une âme une religion réduite à des éléments aussi débiles, et exposée à toutes les attaques de la science du moment. Notre philosophe en fit très rapidement l’expérience au cours de ses études. Ce fut d’abord une enfance éperdument studieuse, maladive, volontairement surmenée de lectures, de recherches, de réflexions, de grands succès de collège, mais avant tout l’amour de la vie intellectuelle. Sa mère l’aidait et le retenait dans cette voie, à la fois heureuse et désireuse de voir revivre dans les dons remarquables du petit-fils la figure du grand-père vénéré et trop oublié, et alarmée toutefois de l’ébranlement produit par la fièvre du savoir sur une nature faible et délicate.
On nous pardonnera de donner ici une anecdote qui remonte à cette époque ; elle égayera la trame plutôt sévère de ce récit : c’est elle de la première et pour longtemps unique rencontre de Francis Jammes et de Jacques Maritain, encore bien loin, l’un et l’autre, de leur conversion, de leur action commune dans la milice du Christ. Je la rapporte telle que Jammes l’a racontée récemment à des amis. Il était alors très porté à des mystifications de pince-sans-rire.
La scène se passe dans le Midi. Une promenade publique ; un enfant blond et pâle peint à l’aquarelle le paysage. La mère attentive est à côté de lui. Un ami commun lui présente Jammes. Propos aimables du promeneur Francis. Questions. La dame explique que le passe-temps est surtout imaginé pour faire prendre l’air à un enfant trop enfoui dans ses livres, et trop délicat de santé. Alors, solennel, doctoral, du haut de sa barbe de prophète : “La peinture à l’eau… en plein air…, oui, ce n’est pas mal, mais l’eau.., l’eau, cela a ses inconvénients… Mettez-le à la peinture à l’huile, c’est plus sage et beaucoup plus fortifiant, surtout à l’huile de foie de morue.” On devait se retrouver quelque vingt ans après, avec d’autres pensées.
Le lycée réservait à Jacques Maritain une précieuse et profonde amitié, une de ces amitiés prédestinées que la Providence amène pour réaliser de grandes grâces et traduire en acte patent les effets de la communion des saints, – l’amitié d’Ernest Psichari, son cadet d’un an par l’âge et les études, et son frère d’âme. Durant des années ils devaient vivre étroitement rapprochés de pensées, d’aspirations, de réflexions partagées ou discutées. Jacques Maritain devait précéder de plusieurs années dans sa conversion son plus cher et plus grand ami. Quelles prières il a adressées à Dieu pour cet ami, c’est un secret entre le ciel et lui. Mais un secret que l’on devine, non sans émotion ni respect.
Cc n’est pas un jeu sans intérêt de la destinée, que ce rapprochement du petit-fils de Jules Favre et du petit-fils de Renan, avec un avenir de pensée et de foi chrétiennes encore caché dans les desseins de Dieu ; tous deux voués par le meilleur d’eux-mêmes et la grâce d’en haut, sans le savoir, à une tâche de réparation, faite pour restaurer ce à quoi leurs grands-pères avaient indûment touché ; tous deux, dans ces desseins du Très Miséricordieux, réservés à ce travail béni où leur âme a pu trouver bien moins la matière d’un démenti et d’une réprobation que celle d’une expiation aimante, l’obligation d’un sacrifice plus complet, et l’appel à une réfutation compensatrice plus passionnément consciente, plus établie en profondeur, plus médicinale à tout prix, de l’erreur propagée, conciliant à la fois le désaveu le plus net et le plus apostolique des fausses doctrines, avec le respect de mémoires familiales d’autant plus chères qu’on les sait en butte aux défaveurs les plus gravement motivées.
Qui peut savoir d’ailleurs si ces âmes, désormais entre les mains du Père qui les a jugées, n’intercèdent pas elles-mêmes, par une sorte de pression surnaturelle, pour que le remède vienne de la maison même d’où partit l’erreur ? Ce sont peut-être ces ascendants qui veillent avec l’anxiété la plus jalouse et qui favorisent avec le plus d’ardeur, dans la mesure où ils le peuvent, la besogne réparatrice. Et quant à ceux des vivants qui tiennent à eux de plus près et plus aveuglément, jusqu’à craindre de vouloir quitter leurs doctrines, par attachement à “la lettre” de ce qui semble avoir rempli leur vie terrestre, ils doivent à la fois se rassurer et se troubler en pensant que leurs enfants, aux convictions si opposées, continuant, mieux et plus que tous les autres ces morts aimés dans ce meilleur d’eux-mêmes, sont plus près d’eux par l’affection, la clairvoyance et l’action bienfaisante.
Déceptions philosophiques.
Quoi qu’il en soit, pas plus le petit-fils de Renan que Jacques Maritain ne songèrent à ces choses durant leurs années de collège, de philosophie et de Sorbonne, pendant que la Providence préparait à leur insu la mise en lumière de l’œuvre surnaturelle. Un observateur superficiel aurait même cru voir tout autre chose qu’une préparation dans ce glissement de l’esprit à toutes les oscillations de la pensée moderne, dans ces frénésies de réforme sociale, d’anarchisme, de passions revendicatrices. A regarder de plus près, sous ces dehors parfois suspects que trouvait-on ? Une faim démesurée de savoir, une soif de vérité, saine et noble dans son principe, fautive dans son application, une générosité sans arrière-pensée qui se trompait d’adresse mais “y allait” avec une étonnante richesse d’âme et un juvénile élan.
Pour Jacques Maritain, à coté des lettres cultivées avec passion, et de la philosophie très déprimante d’abord mais quand même très aimée dont il avait reçu l’empreinte, il y avait place pour l’étude des sciences, surtout naturelles, clefs du positivisme de l’époque. Et dans cette recherche du savoir qui n’était ni curiosité de dilettante, ni vaine gloire d’intellectuel, ni souci intéressé, il y avait, en l’acte même qui semblait éloigner de la vérité chrétienne ce qui devait y amener : une sorte d’implicite profession de foi dans une vérité certaine, réalisée, absolue, fut-elle peu ou point accessible, et comme un préambule à la foi proprement dite. Cela devait l’entraîner assez tôt au delà du matérialisme enseigné (qu’est-ce d’ailleurs que la vérité, cette sécrétion de qualité douteuse, pour un matérialiste conséquent ?). Par ailleurs, un malaise intense, inattendu, accompagnait ces initiations scientifiques fiévreusement poursuivies avec une active bonne foi de chercheur ; celui de constater, avec une déception profonde, chez les maîtres et les guides une sorte de scepticisme foncier, d’irrespect et de légèreté, vis-à-vis du réel.
Mais le protestantisme libéral déjà bien naufragé, la libre-pensée désorientée, le rationalisme énervé et déchu de la Sorbonne, au cœur de cette crise commençante – ne fournissaient guère d’issue, n’apportaient aucun élément de vie supérieure. Ajoutez à cela l’ignorance totale de tout ce qui pouvait toucher à la foi catholique. Il importe de le noter, comme entre parenthèses : une instruction objective de ce qu’enseigne cette foi s’imposerait nécessairement, dans l’enseignement même le plus irréligieux, ne fût-ce qu’à titre d’information et pour faire comprendre, si peu que ce soit, toute l’histoire des actions et des pensées humaines depuis vingt siècles. Il est cependant de fait que cette ignorance antiscientifique est non seulement considérée comme admissible, mais absurdement voulue et cultivée.
L’amitié de Péguy.
Ces impressions, ces fermentations de pensée, Jacques Maritain n’était pas seul sans doutes à les éprouver, s’il les éprouvait avec plus de force que les autres ; son ami Psichari en partageait tant soit peu le contrecoup ; et le cercle de ses intimités s’était élargi par la connaissance de deux personnes qui devaient compter dans sa vie. Péguy, et une très jeune étudiante, d’une intelligence et d’une ardeur enthousiaste extrêmement frappantes, sous sa frêle apparence ; c’était celle qui devait très rapidement devenir Madame Maritain et dont, à partir de ce moment, l’existence se trouve si inséparablement unie à celle de son mari que, pour le développement de leur évolution intellectuelle et religieuse, par compénétration d’âme, de pensée, d’intentions et de prières, en deux natures pourtant assez diverses, faire l’histoire de l’un, c’est faire l’histoire de l’autre.
Le lien moral de ces âmes qui devaient évoluer dans le même sens quoique de manière fort différente, était formé de la même passion de l’absolu.
L’amitié était vite née avec l’être si richement doté par la nature, si généreux, si rayonnant, qu’était Péguy. Celui-ci, de son côté, avait rapidement saisi la rare qualité d’âme de Maritain, la finesse de son sens critique, la riche complexité de son information, le désintéressement foncier de toute sa vie intellectuelle et morale. Et, malgré la sensibilité presque féminine de Péguy, sensibilité inquiète, aiguë, et plus tard mise à l’épreuve par de graves débats portant sur sa situation religieuse, leur amitié, malgré une ombre passagère, n’eut pas lieu de se démentir jusqu’au bout.
L’influence de Le Dantec.
A la Sorbonne, cependant, continuait pour Jacques Maritain et celle qui devait être sa femme l’initiation à la “science” du temps. Comme il a été fait plus haut allusion, l’avidité avec laquelle cette science était reçue n’avait peut-être d’égale que la déception d’en constater le contenu réel. Un très pauvre matérialisme dans l’étude des sciences proprement dites, un scepticisme organique ruinant les systèmes philosophiques, tous deux point toujours explicitement formulés, mais compris avec une évidence désolante dans les prémisses de tout l’enseignement donné ; la réception passive, obligatoire, de cette piètre marchandise ; ni le temps ni le moyen de réfuter, surtout à dix-huit ans… ; mais un sentiment aigu, tragique, de déception.
Une figure se détachait cependant, pour eux, avec quelque vigueur dans cette galerie d’augures peu convaincus, celle de Le Dantec, esprit curieux, violent, original, penseur malgré lui (quel paradoxe vivant et significatif que celui de cette âme qui s’affirmait si fort à vouloir se nier ! – de cette pensée qui jurait qu’elle n’était qu’un mirage matériel, une polarisation moléculaire, et se voulait imposer plus absolument qu’une évidence et qu’une foi) ! C’était une figure inquiétante en même temps qu’attachante. Son enseignement, qui pour beaucoup d’âmes pouvait être très dangereux par ses principes détestables, sa force de construction logique et sa présentation brillante, ne manquaient point en tout cas d’intérêt… Par certains côtés, ce fut là encore pour Maritain une préparation providentielle. Il puisa dans ses études scientifiques une forte instruction biologique, plus tard complétée et redressée – chose si importante pour ne point décentrer les opérations de l’esprit, et contrôler par un rapprochement constant avec les réalités vivantes, le jeu parfois trop facilement hardi d’une pensée constructive. Le Dantec devait être très affecté de l’évolution qui peu après menait son élève au bergsonisme – qualifié par lui de “sottes rêveries”, – puis à la foi catholique (acte qu’il appela un “suicide intellectuel”). Il semble que l’exposé de la doctrine thomiste fait plus tard par Maritain lui convint davantage, et il eut même l’occasion de manifester la confiance qu’il éprouvait en sa solidité rationnelle.
Premier jalon vers la conversion : la philosophie bergsonienne.
Toute cette atmosphère pesante de matérialisme fut soudain balayée par quelque chose qui fut pour beaucoup d’âmes une véritable révélation et qui en tout cas constitue une date capitale, révolutionnaire, dans la pensée moderne : la philosophie de M. Bergson. Sa critique des systèmes pseudo-scientifiques, le mouvement de conversion imprimé à la philosophie vers les réalités de l’âme, tout cela rend l’espérance à Maritain et au groupe de chercheurs qui l’entourent.
C’est l’enthousiasme. Les préjugés de la fausse science dissipés, l’existence certifiée des vérités métaphysiques, l’accessibilité possible de l’absolu, voilà le fond de la joie de nos néophytes, bien plus, il faut le dire, que le procédé d’opération. Quand, après Bergson, ces bergsoniens répètent que, “par l’intuition qui transcende les concepts, nous atteignons l’absolu”, l’important pour eux, l’essentiel, comme en témoignent certaines notes de Mme Maritain, c’était le résultat possible : atteindre l’absolu, non la manière :transcender le concept par l’intuition ; la satisfaction intérieure à constater que par l’intuition la métaphysique était à nouveau instaurée, se fondait avant tout pour eux sur la certitude enfin rationnellement obtenue qu’il y avait des vérités métaphysiques. Pour cette délivrance première de la prison naturaliste et du déterminisme de la matière, il y eut dans l’âme de Maritain et de ceux qui l’entouraient, sa femme, Psichari, Péguy, une véritable explosion de reconnaissance ; et à ce titre cette reconnaissance dure encore, malgré l’âpre lutte d’idées soutenue ensuite, dès l’accès à ce qui n’était plus le champ d’une utile et aventureuse recherche, mais l’immuable fond de vérités suprêmes qu’enveloppe la vérité catholique. Chose curieuse cependant, les rapports personnels de M. Bergson et de Jacques Maritain furent plutôt rares.
Transitoirement salutaire, cette philosophie de Bergson était par excellence et par essence une philosophie de l’étape et, comme telle, plus que toute autre vouée à n’être qu’une étape. Elle travaille par logique interne contre elle-même dans les âmes ; elle détruit de ses propres mains la valeur absolue de sa formule. Plus soucieuse – et c’est son originalité pour une doctrine évolutive – des fins que des origines, des élans à donner que des sources à repérer, des hardiesses voulues et puissamment vécues que des vérifications passionnées, elle est tournée vers l’avenir jusqu’à s’y perdre, vers la surprise explosive d’une possession jusqu’à s’y trouver, fut-ce dans la contradiction la plus forte, comme désarmée.
En toute hypothèse, M. Bergson avait pour Maritain fait place nette des faux systèmes, et remis en honneur la métaphysique, mais ne lui avait pas, même aux meilleurs jours d’adhésion intellectuelle, apporté cette vérité absolue si infatigablement cherchée. Une assurance intime qu’on devait la trouver le soutenait, ainsi que sa femme, dans leur commun pèlerinage spirituel. Pour le moment ils n’avaient ni l’un ni l’autre l’idée que cette découverte pût être autre chose qu’une découverte philosophique. Menant de front les études philosophiques et scientifiques, qui lui procurent d’abord la licence ès lettres, puis la licence ès sciences naturelles, il prépare en 1904 et 1905 l’agrégation de philosophie, à laquelle il est reçu en août 1905. C’est pour lui le temps du bergsonisme et de l’anarchisme intellectuel. En conférence, au cours de M. Séailles, le R. P. Garrigou-Lagrange, O. P., qui fréquentait à ce moment la Sorbonne pour perfectionner sa connaissance de la philosophie universitaire, ne l’entendit-il pas avec quelque crispation prononcer ces paroles, dont le souvenir devait plus tard les amuser beaucoup l’un et l’autre : “La morale est une danse qui consiste à se jouer à travers toutes les formes du devenir sans s’arrêter à aucune. ”
L’état d’esprit en 1904 et 1905 était donc celui-ci : l’espoir de trouver en philosophie un terrain solide, un désir de la vérité “invincible à tout le pyrrhonisme”, – de la reconnaissance à une philosophie libératrice, de la confiance dans le philosophe libérateur, – du dégoût pour le monde moderne ; mais à beaucoup de points de vue, par là-même, une tabula rasa, et une insatisfaction complète de l’âme ; accompagnée de l’ignorance totale de tout ce qui peut avoir trait à la foi catholique.
La grande révélation : l’église. L’amitié de Léon Bloy.
C’est alors que, par la rencontre la moins attendue, l’Église fut révélée à Jacques Maritain et à sa femme.
Et ce fut par l’intermédiaire de la plus étrange et troublante figure du catholicisme contemporain, par Léon Bloy.
La rencontre ne fut point amenée par ce qui aurait pu la provoquer même accidentellement ; ce n’était pas l’anarchiste en herbe qui sympathisait avec “l’entrepreneur de démolitions” ; ce n’était pas le petit-fils du défenseur de Naundorf qui retrouvait le théoricien apocalyptique de la “survivance” ; ce n’était pas le mari d’une israélite en quête de vérité philosophique et religieuse, qui aurait pu trouver quelque sujet d’attirance en l’auteur du Salut par les Juifs, livre alors complètement ignoré de lui. Il n’avait lu d’abord de Bloy que les Histoires désobligeantes, et les avait assez peu goûtées ; puis, après un long intervalle, la Femme Pauvre, qui l’avait beaucoup frappé, et fortuitement, presque en même temps, l’amer journal de Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne.
A la suite de cette dernière lecture, le cœur serré par le tableau de l’affreuse misère d’un grand artiste, Maritain et sa femme envoyèrent, avec un bout de lettre à la fois timide et osé, à ce paria, la très modique aumône d’un ménage qui n’était pas riche. Il y avait là, avec la révolte contre une grande injustice, un attirant et invincible respect pour un “Pèlerin de l’absolu”, si loin qu’il fût par les pensées, les aspirations et la foi, de ces autres “Pèlerins de l’absolu”, qui l’abordaient. Le “Mendiant Ingrat”, qui aurait pu classer la lettre et l’aumône de ces inconnus dans la série déjà nombreuse des indifférents ou même des “bousculés” et des “rembarrés”, fut touché jusqu’au fond du cœur, reconnut des âmes “naturellement chrétiennes”, et son “ingratitude” consista dès lors à donner aux nouveaux amis que Dieu lui avait amenés par la voie d’une très simple et presque puérile charité, l’aumône ineffable de ce qui peut, avec la grâce de Dieu, procurer la vie éternelle.
C’est un des grands mystères de cette vie que le rôle et la qualité des ouvriers de conversion, comme celui des préambules de la foi, il faut un grand recul, beaucoup d’esprit surnaturel, et les lumières de l’au-delà, pour les bien comprendre. On balbutie toujours à parler de ces matières ; mais quelques traits se dessinent pourtant avec assez de netteté pour qu’on puisse les décrire sans crainte de trop se tromper.
Qu’est-ce qui avait pu amener la grâce ?
Ici, à côté de tout un monde d’éléments inconnus puisés dans le secret des cœurs, une recherche, sans arrière-pensée, du vrai, de ce vrai “qui est le même que le bon et l’unique”, qui est l’être même ; – le souci de l’absolu encore innommé, du “Dieu inconnu”, de qui l’autel était déjà dressé, attendant la venue de Sa Présence réelle ; l’âme ouverte avant tout à la générosité, mère de tout sacrifice béni de Dieu, et de toute accession profonde à la Vérité ; – une étrange unité dans le but poursuivi, à travers les flottements, vers les objectifs les plus dissemblables.
Là, à côté de toutes les bizarreries et de tous les excès, d’ailleurs surtout verbaux, qu’on a pu reprocher à Bloy, un désir effréné, désespéré presque, de sainteté pour soi et pour les autres, l’amour le plus tourmenté, mais le plus indéniable et le plus jaloux, pour un Dieu souverainement réel et présent, plein de foudroyante majesté.
L’initiation aux vérités chrétiennes, l’instruction et les discussions préalables, qui durèrent de juin 1905 à juin 1906, furent brusquées d’allure par la mise des âmes en présence des réalités de la foi passionnément affirmées comme telles : sainteté réalisée des saints et de l’Église, dogme formulé et vivant, présence réelle de Dieu, point de vue surnaturel appliqué à toutes les actions de la vie, avec un plein esprit de foi, sans hypocrisie, sinon sans défaillance. L’entrée de Maritain, de sa femme et de sa belle-sœur dans le monde nouveau de la Vérité catholique, fut ainsi faite de plain-pied.
Il était, du reste, dans la logique même de leur développement religieux d’aller sans réserves à un Dieu aussi impatiemment attendu, qui demandait et récompensait, avec des grâces si profondes, les plus consolantes et les plus belles des adhésions sans réserves.
La sainteté des saints et de l’Église fut pour eux l’argument apologétique par excellence. Et la lecture des vies de saints fut, pour seconder la grâce, le conseil préféré de Léon Bloy, dont par ailleurs la foi vive, la pauvreté et la dignité de vie, ouvraient le cœur d’autrui à écouter de pareils conseils.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette étrange et importante figure de convertisseur, dont le rôle est loin d’être fini ; mais quelque intérêt et quelque à-propos qu’elle présente avec le sujet ici traité, elle risquerait de nous en trop éloigner par l’ampleur du développement qu’exigerait la complexité de ses traits.
Séjour à Heidelberg. “La joie de la foi conquise.”
Après un triple baptême dont l’un sous condition seulement, le 11 juin 1906, dans l’église de Saint Jean l’Évangéliste de Montmartre, au pied du Sacré-Cœur, baptême suivi de la revalidation du mariage et un peu plus tard la réception des autres sacrements de l’Église, et l’être doucement abandonné à une première période de joie intérieure dont ceux qui sont revenus de loin à la “Maison du Père” peuvent seuls avoir une idée, Maritain devait se trouver assez promptement séparé de son parrain. Reçu à l’agrégation de philosophie, il avait obtenu une bourse d’études en Allemagne et, dès août 1906, partait pour Heidelberg. De ce parrain il avait retenu ce que celui-ci pouvait avoir de meilleur, et devait, avec sa foi profonde, considérer comme tel ; il ne prit, par contagion, ni la marque truculente de son style, ni le goût, pourtant estimé dans leur source généreuse, de ses violences, ni l’adhésion à des écarts de doctrine, plus apparents peut-être que réels, et, malgré un contenu presque toujours défendable, libellés tout exprès, suivant la formule romantique dont Bloy fut le dernier adepte, pour déconcerter et effaroucher le “philistin” timoré, croyant ou incroyant.
Il est même curieux, surtout pour un observateur superficiel, de voir à quel point ceux que la Providence a conduits à la foi catholique par l’entremise de Léon Bloy, ont été des “doux” et des âmes soucieuses de la plus stricte orthodoxie jusque dans les termes… Un Van der Meer, un Maritain, etc.
Quoi qu’il en soit, Maritain a certes conscience – beaucoup plus même sans doute que, par reconnaissance motivée pour un bienfait inappréciable, il ne veut le dire – des quelques lacunes, erreurs et défectuosités que présente l’œuvre catholique de son parrain ; mais il sait aussi l’esprit surnaturel, la foi inébranlable qui animaient Léon Bloy, et il n’hésite pas à en rendre témoignage.
Le séjour de Heidelberg, qui devait durer deux ans – avec des vacances, celles de 1907, passées en France dans l’entre-temps, – fut un mélange de grâces, de joies, de douleurs physiques et morales pour Jacques et Raïssa Maritain. Les études se circonscrivaient surtout dans le champ de la biologie. Driesch et ses théories embryogéniques étaient l’objet de leur attention principale. L’état d’esprit était au fond la joie de la foi conquise et rayonnant dans l’âme, mais, sans avoir encore trouvé, sans vouloir même peut-être oser chercher l’harmonie de toutes les forces ou les données de la raison.
La chose était naturelle étant donné la formation reçue. Elle comportait cependant un paradoxe et ne pouvait être que transitoire. On prenait plaisir en quelque sorte à se blottir comme un enfant malade près de la chaude affection de Dieu, le front pour ainsi dire contre la poitrine du Père, sans vouloir rien voir de ce qui entoure ; on était tout occupé à découvrir et admirer tant de vérités rayonnantes et ineffables que la vie de la foi révèle chaque jour à ceux qui l’ont embrassée d’un cœur avide, et se sont mis dans la disposition de tout quitter pour elle – même la philosophie.
La coopération de la raison toute spéculative devait venir plus tard ; à ce moment, c’était surtout l’heure de la réfection spirituelle.
Dès lors cependant, en confrontant avec les formules dogmatiques qui expriment les vérités de la foi la théorie bergsonienne de l’intelligence et du concept, Maritain s’aperçut, au cours de méditations prolongées, qu’il lui était impossible désormais de s’en tenir aux positions de M. Bergson, qu’il lui fallait choisir entre la conception bergsonienne et une conception catholique de la raison, et que dans un tel choix la fidélité à la révélation divine était engagée.
Ce furent aussi, surtout pour Mme Maritain, deux années de souffrances physiques, intenses et graves, presque miraculeusement compensées soudain par des grâces de la Sainte Vierge, dont l’intervention guérisseuse fut remerciée en 1907 par un pèlerinage à la Salette.
Des crises, parallèles mais menées d’un train différent, avaient, cependant, remué les âmes des autres amis de Maritain.
Psichari avait d’abord peu à peu répudié les théories sociales et philosophiques auxquelles il avait adhéré en sa jeunesse ; le service militaire lui avait fait trouver le sens de l’ordre et de la discipline ; dès 1903, il s’était éloigné du dreyfusisme ; rengagé en 1904, il partait en aventure patriotique et en pèlerinage moral, pour le Congo. Il s’acheminait vers l’Église par le dehors, et plus lentement. C’est en Afrique que la nouvelle de la conversion de Maritain vint le trouver, avec ses premières prières ; il l’approuva sans doute, la comprit, mais encore à la façon trop humaine dont il pouvait concevoir les choses, comme un retour à l’ordre, à la tradition et à la santé.
Quant à Péguy, l’évolution vers l’idée religieuse avait été plus rapidement opérée dans l’intimité du cœur, mais elle appelait, pour aboutir à une fin précise, une série de transitions qui devaient bien longtemps se poursuivre. Il était toutefois arrivé déjà assez loin pour prier Maritain de faire part de sa conversion aux Bénédictins de Solesmes, alors en exil à l’île de Wight. On pense s’il fut heureux de s’acquitter d’une commission dont il bénissait le ciel ; elle le mit en rapport d’abord avec Dom Delatte, Dom Cagin, Dom Baillet, puis par eux avec Dom Jean de Puniet, abbé de Saint-Paul à Oosterhout, en Hollande.
De retour en France, où il publia dans la Revue de Philosophie, comme fruit de son séjour outre-Rhin, une étude sur le néo-vitalisme en Allemagne et le darwinisme, un grave problème se posait devant Maritain ; pour son travail de catholique, et pour l’indépendance autant que pour la préservation de sa foi, ne convenait-il pas de briser sa carrière officielle et réglée, qui pouvait pourtant fort brillamment commencer selon les yeux du monde, sur la base de ses succès et de ses diplômes, en suivant un engrenage de tout repos ? Il n’hésita guère, abandonna le chemin frayé, et ne demanda point de poste dépendant de l’État.
En pleine scolastique. La direction du P. Clérissac. Le professeur à Stanislas.
Les Bénédictins de Solesmes l’avaient adressé au P. Clérissac, Dominicain, pour la direction spirituelle. Il se mit sous sa conduite, d’abord au point de vue de la conscience, puis pour sa formation philosophique. En vue de se rapprocher du Père, pour s’isoler aussi, et trouver à ses méditations plus de recueillement, dès octobre 1909 Maritain s’établit à Versailles. Cette direction, intellectuelle et spirituelle à la fois, fut pour Jacques et Raïssa Maritain une grâce inappréciable. La sûreté de doctrine du P. Clérissac, la profondeur de sa pensée, exprimée en formules d’une extraordinaire condensation, la décision pénétrante de ses conseils, en firent le maître rêvé pour l’initiation à la vie liturgique, à la vie mystique et à la vie scolastique.
Ce fut par lui qu’ils connurent saint Thomas. La lecture de la Somme leur apporta l’admiration, la joie, le sentiment inoubliable de trouver l’équilibre naturel et surnaturel de la pensée humaine ; elle marqua la fin de cette période anormale qui avait suivi immédiatement le baptême, et où les premières grâces de la vie chrétienne et de la prière s’accompagnaient d’une sorte de dédaigneuse mise à l’écart de la raison. Elle leur fit comprendre le caractère d’harmonie universelle de la seule philosophie qui ne triche avec aucune réalité, mais arrive à les concilier toutes en les respectant et en les mettant chacune à sa place, dans la lumière naturelle et surnaturelle du Verbe qui les a créées et réformées, du Soleil de Justice qui comme le soleil de ce monde situe par le seul jeu de ses rayons les justes choses à leur juste place.
Cette espèce d’ivresse et de joie intellectuelles, cette assimilation si profonde et si consciente n’alla pas sans une vive réaction contre les erreurs de l’ambiance, et surtout contre les erreurs à la mode, plus dangereuses pour les âmes que les autres. Depuis que la “philosophie de l’être” avait apparu à Jacques Maritain dans toute son immortelle vérité, le danger des fausses doctrines lui devint patent jusqu’à l’angoisse. Et ce fut alors – surtout contre les périls du bergsonisme, perçu maintenant dans une connaissance très nette de ses principes premiers et de ses aboutissements logiques, dont l’effet dissolvant atteignait visiblement toute théologie comme toute philosophie – une entrée en lice d’une véhémence passionnée et d’une force d’argumentation peu commune. La Revue de Philosophie publia d’abord en 1911 son étude sur l’évolutionnisme bergsonien. Son directeur, le P. Peillaube, l’éminent philosophe et le courageux auteur d’utiles initiatives en tout ce qui concerne saint Thomas, accueillant avec sympathie la jeune recrue que venait de faire l’enseignement de la philosophie scolastique, voulut lui trouver une affectation qui fit bénéficier de sa saine science les jeunes générations catholiques. C’est ainsi que Maritain eut à professer au Collège Stanislas de 1912 à 1914, et de 1915 à 1916. Au début de cette période, en 1912, Maritain, sa femme et sa belle-sœur recevaient à Oosterhout, de Dom Jean de Puniet, l’oblature bénédictine.
Conversion de Psichari. Autre “grâce immense”.
Entre temps survenaient de grandes et poignantes joies. Dans l’âme de son ami des premiers jours, du compagnon de pensée de sa jeunesse, de celui qu’il ne cessait de porter pour ainsi dire depuis sa conversion dans les entrailles de sa prière, Psichari, s’achevait dans le désert la lente élaboration de la grâce. Les lettres magnifiques adressées à Maritain font saisir les élans successifs de cette âme toujours plus près de la pleine possession d’une foi qu’il ne croit pas encore posséder. Quiconque les parcourt, après le livre d’un inoubliable accent que sont les Voix qui crient dans le désert, se rend compte de toute la joie surnaturelle dont Maritain et sa femme, témoins devant Dieu, furent remplis, en voyant en février 1913 s’agenouiller auprès d’eux, devant la statue de N.-D. de la Salette, pour être reçu dans l’Église, le “Centurion” dont la foi devait désormais réjouir le Christ.
Une autre grâce immense, transfigurant l’aspect du plus douloureux déchirement familial, s’était trouvée fleurir une année auparavant (février 1912), et n’était point peut-être sans relations avec celle-ci – il y a des liens si surprenants dans les merveilles de la communion des saints – celle de la conversion du père de Mme Jacques Maritain et de sa mort dans des sentiments d’amour de Dieu qui avaient touché jusqu’aux larmes l’évêque de Versailles, venu à son chevet pour lui administrer le sacrement de la Confirmation. Qui a lu le récit de cette fin, pieusement conservé dans la famille, ne peut se défendre d’une émotion profonde : cette réception du baptême, tout illuminée de joie ; ce mourant qui, privé d’autre moyen de s’exprimer et tout plein d’une profession de foi à jamais bénie, ne cesse de s’envelopper tout entier de grands signes de croix et finit, toujours priant, par mourir dans la plus sereine des allégresses après une agonie qui se prolongea trois jours durant, sans altérer les dispositions de son âme…
Conférences et professorat à l’Institut Catholique. Réfutation du bergsonisme et du subjectivisme.
Dans le courant, même de 1913, au moment où le bergsonisme était le plus en faveur dans la jeunesse catholique et catholicisante, Maritain avait donné à l’Institut catholique de Paris une série de conférences, où, avec une intensité de conviction impressionnante, il mettait les catholiques en demeure de choisir entre Bergson et saint Thomas d’Aquin, et plaidait vigoureusement la cause de l’intelligence. Ces conférences furent réunies en un volume [1], qui parut au début de 1914 et marque une date importante dans l’histoire du redressement des esprits en France. Une lettre de S. S. Pie X vient bientôt approuver et bénir cet ouvrage.
Ce n’est pas sans un serrement de cœur que Maritain prenait ainsi parti contre le maître auquel il conservait toute sa reconnaissance, et dont il n’a jamais parlé qu’avec un affectueux respect. Mais l’idée de mettre ses sentiments personnels en balance avec les droits de la vérité et l’intérêt des intelligences ne lui vint pas un instant, et il avait d’ailleurs trop d’estime pour M. Bergson pour penser qu’il pût s’offenser d’entendre son ancien disciple dire à son tour : Amicus Bergson, sed magis amica Veritas.
Puisqu’il est ici question des rapports de Maritain avec M. Bergson, il importe de noter qu’il ne fut disciple de ce dernier que pendant les années où il préparait l’agrégation à la Sorbonne, et que son bergsonisme n’a jamais dépassé l’enceinte de l’Université. Dès ses premières publications philosophiques, il a la joie de n’avoir jamais écrit que pour défendre le thomisme.
Les années suivantes sont des années de travail intensif, moitié professoral, moitié personnel, et d’activité spirituelle pleine d’élan. Au printemps de 1914, il donne à l’Institut catholique des conférences sur l’esprit de la philosophie moderne ; en juin 1914, à la veille de la guerre, il est nommé professeur à l’Institut catholique de Paris, qui lui confie la chaire de philosophie moderne. En 1914-1915, dans un cours public sur l’Allemagne, il apporte sa contribution à la défense de l’esprit français, et dégage les caractéristiques essentielles de la philosophie allemande depuis Luther jusqu’à nos jours. En même temps il professe la philosophie à Stanislas (1915-1916) et au Petit Séminaire de Versailles (1916-1917).
Toutes ces éludes sur la philosophie moderne jointes à une pénétration plus profonde de la pensée scolastique lui montrent davantage l’erreur spécifique dont la pensée de la France elle-même doit se garder, le subjectivisme et l’idéalisme dont elle s’est laissé pénétrer depuis Descartes, moins que l’Allemagne sans doute mais trop pour sa santé intellectuelle. Ses premiers travaux sont orientés dans cette direction.
L’écrivain et le polémiste.
Le 9 janvier 1917, une lettre de Mgr Baudrillart informe le jeune professeur que les Évêques protecteurs de l’Institut lui demandent d’écrire un Manuel de Philosophie à l’usage des Séminaires. La même requête lui est faite par la Congrégation des Études à Rome. La tâche est plus que lourde pour qui veut faire une œuvre neuve, pensée “de près”, et tout à la fois suffisamment condensée. Il l’accepte, et donne bientôt comme premier volume une Introduction à la Philosophie d’une grande clarté, d’une ordonnance nouvelle, posant dès le seuil et résolvant dans leurs grandes lignes quelques problèmes principaux, et qui, par son souci de respecter les lois internes du développement de la pensée, constitue une très remarquable et très efficace initiation aux disciplines philosophiques.
Le 24 mai 1917, il a l’agréable surprise de se voir nommé à Rome docteur ad honorem par un décret plus que flatteur de la S. Congrégation des Études [2].
Le 23 janvier 1918, on le nomme membre de l’Académie Romaine de Saint-Thomas d’Aquin. Il se rend à Rome pour la Semaine Sainte, y est reçu très paternellement par le Saint-Père et s’y entretient avec les thomistes les plus qualifiés du Collège Angélique, non sans évoquer, en compagnie du P. Garrigou-Lagrange, le chemin parcouru par sa pensée philosophique depuis les énormités sorboniennes dont celui-ci avait été témoin.
Rentré à Paris, il double ses cours, à partir de 1919, d’une activité didactique d’un autre genre, celle de cercles d’études, composés d’amateurs de philosophie scolastique, bientôt très florissants et très vivants, et d’une activité de production littéraire plus poussée. Il prête plus tard – en 1923 – son concours à la fondation de la Société thomiste présidée par le R. P. Mandonnet, O. P. [3] Il donne, d’abord en articles aux Lettres puis chez Rouart, en un petit volume, un travail extrêmement substantiel, Art et Scolastique, où il pose les fondements d’une esthétique jusqu’ici point formulée mais éparse dans les œuvres de saint Thomas. Chargé de la “Chronique de philosophie” à la Revue Universelle, il y fournit une série d’études dont plusieurs paraissent en volume (Théonas, Antimoderne). Il collabore aussi aux Lettres, à la Revue des Jeunes, à la Revue Thomiste, à la Revue de Philosophie.
Il mène une assez vive polémique avec MM. Legendre et Chevalier à propos de Bergson, Descartes et Aristote. Tenant résolu de l’aristotélisme thomiste, il est volontiers accusé de présenter aux yeux du lecteur un Aristote trop artificiellement chrétien ; mais il sait défendre avec vigueur son point de vue.
Enfin on trouve son nom dans les initiatives que poursuit en France de nos jours l’apostolat catholique s’il en juge le caractère assez spirituel et l’orthodoxie assez certaine pour que la grâce de Dieu puisse y opérer pleinement. Enfin, il donne d’importantes conférences à l’Université de Louvain et met la dernière main au fascicule de son manuel consacré à la Logique.
Nous avons ainsi mené le récit de cette vie et l’exposé de cette activité, jusqu’à ce jour. Et l’on peut maintenant tout à la fois jeter un regard sur le passé, avoir une vue d’ensemble plus synthétique sur le présent et se rendre plus nettement compte de ce que l’avenir permet d’espérer.
Au seuil de la quarantaine, le professeur de l’Institut catholique se trouve en pleine production, avec un bagage philosophique et littéraire déjà important. On pourra s’en convaincre à la seule inspection de la bibliographie qui termine cette étude.
Cette production, extrêmement variée, va de l’esthétique à l’ontologie, de la monographie de détail aux grandes vues d’ensemble et aux méditations sur les principes premiers. Elle ne dédaigne même pas les préfaces – les préfaces doctrinales, s’entend, – celles qui ne représentent point une simple politesse à l’auteur et un salut au public avec le principal mérite, d’ailleurs utile, de la signature et de l’adjectif bien employé – mais une expression synthétique et instructive du sujet traité, et une aide apportée à son assimilation par le lecteur, – en un mot une véritable et vivante leçon “à propos du livre”.
Dès à présent, sa philosophie, qui vient seconder une doctrine spirituelle de la vie, dénote une direction d’esprit très tranchée, et jouit d’une influence marquée autant que grandissante. Elles ne vont ni l’une ni l’autre sans susciter d’autre part des contradictions et des résistances. Les théories adverses menacées et leurs tenants ont fortement réagi parfois. Son opposition devenue très vive aux idées de M. Bergson, sa campagne contre les résidus laissés dans la pensée française par le cartésianisme, qu’il appelle le péché national de ce pays, tout cela lui a valu de vifs démêlés avec les défenseurs des thèses contraires.
Le thomisme et son développement.
Cette philosophie, qui prend carrément position en regard des autres, quelle est-elle en ses grandes lignes ? Dans ce qui la rattache au passé, c’est le plus strict thomisme, et, si l’on veut, le plus intransigeant, celui qui n’admet point dans les dérivations de l’enseignement du Docteur Angélique de déviations ni de fantaisies déformantes, et qui ne reconnaît, par ailleurs, de tradition et de filiation authentique de la doctrine du Maître que chez les commentateurs tels que Banès, Cajetan, Jean de Saint-Thomas, les Salmanticenses. A ceux qui lui objectent qu’un simple retour à la lettre de saint Thomas serait plus fait pour concilier toutes les adhésions, tandis que sa propre position augmente le nombre des subtilités doctrinales à défendre, accroît les difficultés et les sujets de divergences possibles, il est tenté de répondre que c’est par ces disciples que la doctrine du grand Docteur a été perpétuée dans son véritable esprit.
On peut discuter ses opinions, mais on est bien forcé de les respecter quand on les voit émises avec tant de conviction, avec ce scrupule de cohérence et ce désintéressement du succès facile. Il croit à un développement normal et sain de la doctrine de saint Thomas à travers les âges avec une mise au point plus nette de la pensée-mère dans les problèmes nouveaux, et, très fidèle à la thèse d’“enrichissement par assimilation et contrôle” que pose l’École par son essence comme par son développement historique, il ne veut pas sacrifier les apports légitimement issus de la philosophia perennis grâce au travail des disciples les plus fidèles à la pensée du Maître.
D’ailleurs, avec sincérité, il n’en développe les solutions que là où il a pu les repenser lui-même, et leur apporter toutes les lumières qui peuvent en établir la valeur, jusqu’à celles de la science du temps et de l’expérience psychologique, là où le sujet le comporte. Il y a peu d’exégèses philosophiques aussi vécues, aussi assimilées que la sienne.
“Intellectualisme brûlant de vie.” Pessimisme.
Le caractère principal de son enseignement est un intellectualisme tout brûlant de vie, mais où le primat de l’intelligence s’affirme avec vigueur ; pour empêcher les questions les plus abstraites de tourner à l’algèbre mentale, il y joint un souci constant de la réalité vivante, et ainsi s’établit aussi fréquemment que possible l’interdépendance des questions, leur convivance harmonique, avec un échange mutuel de clartés, – tâche que lui facilite une culture très variée. Avec cela, et toujours en vertu du même sentiment, s’avère une insistante préoccupation de l’application pratique, pour la vie plus ample de l’âme dans la vérité, et de la vérité dans l’âme.
Comme nuance critique, il éprouve une particulière aversion pour les conceptions générales entachées d’un optimisme bourgeois, à la Leibnitz ou à l’anglaise, et pour la doctrine du progrès. Il y met peut-être, par juste réaction contre les faiblesses modernes sur ces matières, un peu d’excès, au point de déprécier parfois plus qu’il n’est besoin l’œuvre du Créateur, qui, malgré tout, Lui ressemble. Sa philosophie demeure toute pénétrée d’un certain pessimisme radical en ce qui concerne la nature humaine, non seulement par notion reconnue de la chute, mais par un sentiment très “dionysien” de la majesté divine dans toute sa transcendance.
Tous ses exposés de doctrine, écrits et oraux, se font avec une grande simplicité de présentation et toute la séduction d’une pensée qui se manifeste d’un autre aloi que celle de la plupart des “penseurs” du jour, lamentable monnaie fiduciaire, jamais frappée en métal vierge par une frappe régalienne, jamais extraite des réalités naturelles ou révélées par une intelligence active et saine, “idée-papier” pour bas échange des Chambres de commerce intellectuel et foisonnant sur le marché.
Philosophie et vie spirituelle. Souci du réel.
Un point sur lequel il appuie particulièrement par sa propre conduite, sa “prédication” et l’influence qu’il exerce sur ceux qui se groupent auprès de lui, c’est l’étroite et nécessaire liaison de la vraie philosophie scolastique avec la vie spirituelle. Ni au point de vue pratique on ne va loin dans les matières aussi profondes et aussi nobles sans l’esprit de détachement et sans la lumière que la vie spirituelle apporte avec elle, et qui pose pour ainsi dire les meilleures conditions d’exercice des facultés à mettre en jeu ; ni, au point de vue de la pure théorie, on n’approche des vérités premières avec quelque garantie de sécurité essentielle, si l’on ne met assez en rapport ces vérités avec Celui qui les a fondées sur Lui-même, et qui veille dans l’âme à ce qu’elles soient non seulement inaltérées, mais illuminées, fécondées et parfois transfigurées.
Cela explique avec quel respect il aborde les réalités ; respect à la fois viril, simple, grave parfois, – d’autres fois plus enjoué, surtout quand on touche à l’hypothèse.
Ce souci du réel, à commencer par les réalités intellectuelles, spirituelles et surnaturelles, plus réelles que toutes, est le fondement même de son activité philosophique et chrétienne.
Au point de vue plus particulièrement religieux, l’orthodoxie, qu’il tient à avoir aussi stricte et scrupuleuse que possible, ne lui apparaît pas comme à trop de gens sous sa forme d’enregistrement passif, d’accession méritoire et louable, mais avant tout sous l’aspect d’une réalité vivante, communiquée et bienfaisante, d’une nécessité vitale de l’ordre divin. Il ne la défend pas comme une consigne, mais comme un trésor opérant de vérité suprême, dû à la libéralité de Dieu, et fait pour être saintement exploité. D’où la réception profondément scrutée, et en quelque sorte vécue, du dogme envisagé comme réalité supérieure et première, la vie sacramentelle la plus positive et la plus intense, le sens de l’Église (il doit beaucoup, à ce sujet, au si grand et si ferme esprit du P. Clérissac), le respect surnaturellement compris de la hiérarchie, très net en même temps que dégagé de toute humaine servilité.
L’influence de Maritain.
A côté de ce qu’il apporte ainsi à l’enseignement philosophique et à la vie religieuse du moment, son influence se trouve secondée par une vie spirituelle très attachée aux grandes traditions du passé – surtout bénédictine, dominicaine et carmélitaine ; – de là sont nés de nouveaux liens avec beaucoup d’âmes déjà pénétrées de l’amour de Dieu ou désireuses de le mieux connaître. Son influence déborde déjà très nettement hors de France, et semble devoir se faire de plus en plus sentir. Comme initiateur de pensée, et comme ouvrier providentiellement utilisé, il est déjà de ces personnalités dont la valeur personnelle et la profondeur d’action, par rapport aux esprits voisins, échappent à un degré déconcertant à la foule contemporaine et ne prennent leur rang que lorsque se sont opérés le tassement des insignifiances, le classement des valeurs réelles, la filtration des précipités de pensée.
Il y a, du reste, dans les façons de faire de cette sorte d’âmes une espèce de tact prudent, une mise en marge de soi-même, faite sans affectation, une simplicité de gestes, qui sont en elles-mêmes un gage de perfection chrétienne et dont le bénéfice demeure tout au profit de l’action qu’elles peuvent exercer, en rassurant sur la qualité de leur aloi.
Il s’y joint, chez Maritain, ce genre de sérénité particulière (et cette sécurité pour l’autre vie) que donne à une âme d’avoir veillé sur d’autres âmes et d’en avoir vu plusieurs aboutir à la vie éternelle.
Le ton de ses ouvrages porte d’ores et déjà le reflet de ses marques de personnalité. Il s’y distingue souvent par une densité de pensées qui, avec un don d’expression analogue et la même aisance dans le développement, répond presque antithétiquement à la surabondance verbale très limpide et très harmonieuse de son aïeul Jules Favre ; il semble sur ce point compléter, autant et plus que continuer, un don de famille. La mesure est toujours bien gardée, l’émotion vibre avec une pudeur discrète, sans jamais s’étaler : cette “manière” heureuse et point préméditée est surtout appréciable dans les grandes et hautes questions que toute emphase diminue.
Les critiques de ses adversaires.
On lui a reproché parfois de n’avoir point assez de répugnance pour l’expression technique et rébarbative au sein d’un développement très littéraire et bien venu. Le reproche n’est peut-être pas toujours injuste, quoiqu’il n’y ait jamais là de pédantisme déplacé ni de véritable erreur de goût, – mais une sorte de bravade, hardiment tentée au bénéfice de la propriété des termes, et quelque fantaisie taquine à l’usage des amateurs trop scrupuleux d’une homogénéité de ton.
Il est d’ailleurs de ces équilibrés qui ne dédaignent pas certaines audaces, qui aiment et comprennent aussi les hardiesses du prochain, quand elles apportent une vie nouvelle à quelque vérité, comme il est de ces doux qui savent apprécier l’énergie, et au besoin la mettre en œuvre.
A côté de ces imputations qui affectent des dehors parfois “avancés”, on lui fait, pour le fond, le grief d’être, en beaucoup de matières, un peu trop un homme “de droite”. Ce n’est pas l’auteur de cette étude qui lui fera un crime de n’être pas allé du côté qui, dans le travail manuel, la vie privée, la politique, et aux assises du jugement dernier, n’est pas le côté des élus.
On ne prend pas parti, et si nettement, et sur des questions parfois si brûlantes ; on n’a pas une carrière d’influence intellectuelle aussi heureuse tout en demeurant dégagé du souci de parvenir, – sans susciter des animosités marquées. Forcer sans petites habiletés l’estime et l’intérêt, s’imposer sans même avoir aux yeux du vulgaire l’excuse d’être imposant, aller de l’avant comme malgré soi, sont choses que les adversaires, surtout ceux d’un certain niveau, ne pardonnent pas aisément.
Telle est jusqu’à cette heure l’unité de vie d’un travailleur qui, dès le début – de très loin, et en passant par les plus curieuses mais les plus providentielles vicissitudes – a été appelé à la vérité catholique, à travers la soif du vrai, le besoin de l’absolu, le sens de la charité ; – qui, ayant possédé cette vérité par la grâce de Dieu, l’ayant vu partager aussi à des âmes très chères pour qui l’on en avait imploré le bienfait, lui donne avec une reconnaissance infinie, toute la force de son être et toute la générosité de son cœur ; – et qui, malgré cet effort, se sent, avec une sorte d’angoisse devant la tâche à accomplir, l’énormité du don divin et la grandeur de la dette, un “serviteur inutile” ; mais de ces “serviteurs inutiles” auxquels Dieu saura répondre comme Il est dit le faire dans l’Évangile, quand il les reçoit, les bras ouverts, à la fin de la journée de labeur.
Prince WLADIMIR GHIKA.
BIBLIOGRAPHIE
I. – Ouvrages.
La Philosophie bergsonienne (I vol. in-8°, chez Rivière, Épuisé).
Art et Scolastique (I vol., 1920, chez Rouart ; a d’abord paru aux Lettres, sept. et oct. 1919).
Introduction à la Philosophie (I vol., 1920, chez Téqui ; arrivé en 1922 au 6e mille, traduit en italien).
Théonas (I vol., 1921, Nouvelle Librairie Nationale ; formé de la réunion des articles parus dans la Revue Universelle : la liberté de l’intelligence ; – La théorie du surhomme ; – L’intelligence et le règne du cœur ; – De l’humanisme chrétien ; – Théorie du succès ; – La mathématisation du temps ; – Le mythe du Progrès ; – Les antinomies du progrès nécessaire ; – Philosophie de la Révolution ; – Le progrès de l’esprit ; – Système des harmonies philosophiques).
Antimoderne (Éditions de la Revue des Jeunes, 1922, 5e édition).
Logique (chez Téqui, sous presse).
II. – Articles de revues.
1908. – “Le néovitalisme en Allemagne et le Darwinisme” (Revue de Philosophie).
1910. – “La Science moderne et la Raison” (Revue de Philosophie, juin, pp. 575-603).
1911. – “L’Évolutionnisme bergsonien” (Revue de Philosophie, sept.-oct., pp. 467 et suiv.).
1912. – “Les deux Bergsonismes” (Revue Thomiste, juill.-août, pp. 433.450).
1913. – “Lettre à Agathon” (publiée dans Les jeunes gens d’aujourd’hui).
1914. – Quatre conférences données en avril et mai à l’Institut Catholique de Paris sur “l’Esprit de la Philosophie moderne” (publiées : les 2 premières dans Revue de Philosophie, juin et juill., pp. 601-625 et 53-82 ; la conclusion dans Revue Thomiste, sept.-déc., pp. 517-542).
1914-1915. – Cours sur “l’Allemagne” (paru en séries de résumés dans la Croix).
1918. – “Préface au Mystère de l’Église du R. P. Clérissac” (chez Crès, puis chez Téqui) ; – “A propos de la Révolution Cartésienne. Philosophie scolastique et Physique mathématique” (Revue Thomiste, avr.-juin, pp. 159-181).
1920 – “De quelques conditions de la Renaissance thomiste” (conférence donnée à Louvain en 1919, parue aux Annales de l’Institut Supérieur de Philosophie, 1920) ; – “Le Songe de Descartes” (Revue Universelle, 1er déc.) ; – “A propos de la philosophie bergsonienne” (Lettres, févr., avr., juin) ; – “Notes sur saint Thomas et la philosophie de l’art” (Revue des Jeunes, 10 mars).
1921. – Rapport sur “La question juive” à la Semaine des Écrivains catholiques (Vie spirituelle, juill. [4]) ; – “Réflexions sur le temps présent” (Lettres, avr.) – “L’état actuel de la philosophie allemande” (Revue Universelle, 15 mars) ; – “Une philosophie de l’histoire moderne” (Revue Universelle, 15 mai) ; – “Spiritisme et spiritualisme expérimental” (Revue Universelle, 15 juin) ; – “Le Roi David au Théâtre du Jorat” (Revue des Jeunes, 10 août) ; – “Le grand secret” (Revue Universelle, 1er sept.) ; – “La philosophie américaine” (Revue Universelle, 1er oct.[5]) ; – “L’Église et la Philosophie de saint Thomas” (Revue des Jeunes, 25 oct.) ; – “Aristote et la critique moderne” (Revue Universelle, 15 nov.) ; – “Les mythes du Contrat social” (Revue Universelle, 15 déc.) ; – “Préface à la Philosophie de l’organisme de Driesch” (chez Rivière).
1922. – “Descartes” (Lettres, févr. et mars) – “Ernest Psichari” (Revue Universelle, 1er mars) ; – “Préface au Livre de Mlle Goichon sur Ernest Psichari” (éditions de la Revue des Jeunes) ; –”Sainte Gertrude” (Revue des Jeunes, 25 avr.) ; – “Premier cahier de Théonas : De la vérité” (Revue Universelle, 15 avr.) ; – “Second cahier de Théonas : Discours sur l’art” (Revue Universelle, 1er juin) ; – “De la Métaphysique des Physiciens” (à propos d’Einstein) (Revue Universelle, 15 août) ; – “Troisième cahier de Théonas : Connaissance de l’Être, I” (Revue Universelle, 1er oct.) ; – “Troisième cahier de Théonas : Connaissance de l’être, II” (Revue Universelle, 15 oct.) ; – “Troisième cahier de Théonas : Connaissance de l’Être, fin” (Revue Universelle, 1er déc.) ; – “A propos duJardin sur l’Oronte” (Lettres, déc.).
1923. – “Luther ou l’avènement du Moi” (Revue Universelle, 1er janv.) ; – “La quantification du prédicat” (Revue néoscolastique de philosophie, Louvain, févr.) ; – “L’ordre mystique et la contemplation” (Vie spirituelle, mars) ; – “Deux idées modernes” (Revue Universelle, 1er mai) ; – “Pensée moderne et philosophie thomiste” (Revue Universelle, 15 mai) ; – “Intelligence et nature humaine” (Revue Universelle, 1er juin) ; – “Préface à la 3e édition du Conflit de la Morale et de la Sociologie de Mgr Deploige” (Nouvelle Librairie Nationale).
1.La philosophie bergsonienne[texte]
2. Voici la traduction du Décret de la S. C. des Séminaires et des Universités :
“Le Siège apostolique n’a jamais cessé de placer, au premier rang de ses sollicitudes le soin de favoriser les sciences humaines et divines, tout aussi bien que de louer et d’honorer les hommes éminents qui travaillent à les faire avancer et à les défendre. Au nombre de ceux-là est, sans contredit, Jacques Maritain, professeur à l’Institut catholique de Paris. Homme profondément religieux, distingué par ses sentiments de piété, d’une vie morale exemplaire, recommandable par sa vénération et son amour pour l’Église, il enseigne depuis plusieurs années avec un véritable succès la philosophie selon l’esprit et la méthode de saint Thomas d’Aquin, et, s’appuyant sur les principes du Docteur Angélique, il s’emploie intrépidement, soit de vive voix soit par ses écrits, à réfuter les erreurs modernes les plus opposées, et les plus préjudiciables à la foi. Aussi les Révérendissimes Pères (cardinaux) de cette Sacrée Congrégation des Séminaires et des Universités, en séance plénière tenue aujourd’hui même, accueillant avec le plus grand plaisir le vœu et la demande des Évêques protecteurs de l’Institut catholique de Paris, ont décrété de conférer le titre de Lauréat ad honorem en Philosophie à un homme qui a si bien mérité de la doctrine catholique. C’est pourquoi cette Sacrée Congrégation, avec l’approbation de notre Très Saint-Père le Pape Benoit XV, crée et nomme authentiquement Jacques Maritain Docteur “ad honorem” en Philosophie, en lui accordant tous les droits et privilèges dont jouissent ceux qui ont reçu ce titre dans les Facultés canoniques. Sous cette condition que, en présence de Son Éminence le Cardinal-Archevêque de Paris, ou un personnage délégué par lui, le nouveau Docteur prononcera, en la faisant suivre du serment de fidélité, la profession de foi catholique prescrite par les Souverains Pontifes Pie IV, Pie IX et Pie X. En témoignage de l’honneur conféré, la Sacrée Congrégation a donné l’ordre d’expédier ces lettres. Nonobstant toutes choses contraires.
Donné à Rome, de la Secrétairerie de la Sacrée Congrégation des Séminaires et des Universités, le 24 mai 1917.
GAÉTAN, card. BISLETI, Préfet ; JACQUES SINIBALDI, évêque de Tibériade, Secrétaire.” (Traduction publiée par le Bulletin de l’Institut catholique de Paris, juin 1917.) [texte]
3.La Société thomiste fondée sous le haut patronage de LL. EE. les cardinaux Mercier, Frühwirth, Boggiani et Dubois, 3, rue de Luynes, Paris. – Conseil : le R. P. Mandonnet, M. J. Maritain, l’abbé Beaussart, le R. P. Roland-Gosselin, M. Charles Charpentier, le R. P. Destrez.[texte]
4. Reproduit dans D. C., t. 6, pp. 80-82 [texte]
5.Ibid., pp. 281-288 [texte]