Luc Verly
L’on pourrait reprocher à l’auteur de cette chronique de privilégier, parmi les connaissances de Vladimir Ghika, les personnes les plus obscures, les moins « significatives », mais l’on trouvera toujours quelqu’un pour parler des célébrités, alors que des sans-grades, héros ou pas, croyants ou pas, qui s’en souviendrait si, parfois, quelqu’un ne les mettait en avant pour que l’on se les remémore un peu, pour rappeler qu’eux aussi ont vécu sur cette terre, qu’eux aussi ont eu des joies et des peines et la grande chance d’avoir rencontré un jour, parfois fort brièvement, Mgr Ghika.
Traian Cosma est l’une de ces étoiles filantes qui ne mérite pas d’être laissée dans l’oubli.
Transylvain gréco-catholique, il fait, cela s’entend, ses études à Blaj où il devient l’un des nombreux fils spirituels du futur martyr le Père Ioan Suciu, qui y est alors professeur de religion. L’un de ses camarades de Lycée, plus jeune que lui, se souvient : « Avec une grande nostalgie, je revois les séances de la Société Mariale des élèves, dont il était le président ; les heures de catéchèse destinées aux „petits tziganes opprimés” de Blaj, les visites à l’hôpital – je le vois encore s’entretenant, chaleureux et familier, avec les malades – les visites aux pauvres, les conférences, les projections, etc., tout cela à l’initiative du Père [Ioan] Suciu (…). Oui, ce sont des souvenirs qui emplissent le cœur de chaleur et de tendresse. Éminent dans les études (…) il n’avait rien à envier à personne pour ce qui est de la vie intérieure, spirituelle. La communion reçue chaque jour à la chapelle de l’internat était, pour nous, le meilleur des exemples. [1] »
Traian Cosma poursuit ses études à l’Université de Cluj, puis à celles de Sibiu et de Bucarest après l’occupation de la Transylvanie du Nord par les troupes hortystes. C’est alors qu’il rencontre Vladimir Ghika car, outre ses études à Polytechnique, il est aussi président de l’ASTRU, l’Association de la Jeunesse Roumaine Unie (Gréco-Catholique), dont Mgr Ghika est l’aumônier à l’église Saint-Basile-le-Grand, rue Polonă, à Bucarest. En 1943, le nom de Traian Cosma apparaît souvent dans l’agenda du prélat.
Mais la guerre est là et le jeune homme, comme toute sa génération, est mobilisé. De loin, il s’inquiète pour son père spirituel. Il lui écrit ainsi, le 14 juillet 1944 : « Depuis bien longtemps je ne vous ai écrit. La cause en est que je ne savais où vous vous étiez réfugié, ne pouvant m’imaginer que vous étiez resté à Bucarest malgré la terreur aérienne à laquelle la ville est soumise. Mgr [Ioan] Suciu, évêque auxiliaire d’Oradea, de passage à Sibiu – où je suis moi aussi allé quelques jours – m’a cependant dit que vous étiez à Bucarest. Je crois qu’il serait bien que vous quittiez vous aussi Bucarest. Les malheurs, dans une ville comme Bucarest, soumise chaque jour aux attaques, ne sont pas faciles à éviter. »
Sans doute aurait-il dû plutôt penser à lui-même car, le 11 septembre 1944, Traian Cosma est tué d’un coup par un obus dans les combats de Războieni-Cetate pour la reconquête de Turda et de la Transylvanie du Nord.
Et son camarade, dans son article nécrologique au journal Unirea, pour lequel Traian Cosma écrivait très régulièrement, termine ainsi : « Traian Cosma a compris qu’au sein de l’Action Catholique, l’on travaille sans bruit, sans publicité, avec persévérance, et souvent en n’étant pas à l’abri de déceptions. Ce qu’il a demandé aux autres, il l’a fait d’abord lui-même. Plus que tout autre chose, il a compris la condition essentielle : la grâce de Dieu, qui agit à travers nous, humbles instruments de Dieu, de manière totale et désintéressée.”
[1] N. Pop, « La mormântul unui prieten – sublct. erou: Traian Cosma » [Sur la tombe d’un ami – le sous-lieutenant héros : Traian Cosma], Unirea, 17 februarie 1945, anul LV nr. 7, pp. 2-3.
Articol publicat într-o formă restrânsă în Actualitatea creștină, nr. 5/2021, p. 27