Très grièvement blessé à la main au travail alors qu’il se trouve incarcéré à la prison d’Aiud, Tertulian Langa git sur son châlit et souffre énormément. Il raconte : « Alors que je pleurais, à environ un mètre au-dessus du plancher, sur le mur d’en face, j’ai vu Monseigneur [Ghika]. Monseigneur était déjà mort depuis presque quatre ans. (…) Bien sûr, comme cela était naturel, j’ai pensé qu’il s’agissait d’une hallucination. J’ai donc détourné la tête. Quand j’eus ramené ma tête dans sa position initiale, Monseigneur était toujours là… Après cela, j’ai fermé les yeux, m’efforçant d’éliminer cette image de ma rétine. Mais Monseigneur était encore là… J’ai fini par accepter la réalité, la véracité de ce que je voyais. Quand Monseigneur a vu que j’avais accepté la réalité de sa présence – il était habillé avec sa vieille soutane qu’il avait l’habitude de porter, il avait la même barbe et les mêmes longs cheveux flottant sur ses épaules – il m’a regardé avec son regard profond, d’une douceur enveloppante, il a fait le signe de la bénédiction et m’a dit : “Mon fils. ” (…) et il a disparu. En disparaissant, il a emporté avec lui mes douleurs. » Le lendemain, alors qu’il devait être amputé de la main, le chirurgien constate que la main ne doit plus être opérée et le renvoie au travail ![1]

Dans ses témoignages sur Vladimir Ghika, le Père Tertulian Langa est souvent très louangeur à son sujet. L’on ne peut contester sa bonne foi et, de plus, il est témoin direct, car Tertulian Langa a bien connu Vladimir Ghika dans l’immédiat après-guerre.

Il est né en 1922 d’un père gréco-catholique et d’une mère orthodoxe. Sa famille étant chassée de Transylvanie du Nord par l’occupation horthyste, le jeune Tertulian se retrouve étudiant en droit, lettres et philosophie à Bucarest. C’est là qu’il rencontre Vladimir Ghika et suit son enseignement avec beaucoup d’autres étudiants membres de l’ASTRU, l’association des étudiants gréco-catholiques. Parmi eux, il est l’un des plus assidus.

C’est Vladimir Ghika, aux côtés de Tit Liviu Chinezu, qui célèbre son mariage avec Doina (Dodo) Ștefan, elle-même « astriste », le 11 janvier 1948. Trois mois plus tard, il est arrêté et incarcéré parce que ses liens avec l’Église Gréco-Catholique et avec la Nonciature dérangent les autorités. Après avoir subi de terribles tortures dans les locaux de la Securitate sans qu’il ne dénonce personne, pas même lui-même, il est finalement condamné à 20 ans de prison à régime sévère. Il en fera 16. C’est l’âge qu’a sa fille à sa sortie de prison, car elle est née peu après son arrestation… et ne l’a vu qu’une seule fois, pendant l’unique « parloir » qui lui fut jamais accordé. C’est aussi peu après sa sortie que Tertulian Langa est ordonné prêtre gréco-catholique. Parallèlement à son travail, il mènera donc une activité de prêtre clandestin. La Securitate le sait, mais laisse faire, tout en le surveillant de près.

Avec la chute du régime communiste, Tertulian Langa sort de l’ombre – aux côtés de son fils et de son gendre, tous deux devenus eux-mêmes prêtres gréco-catholiques, respectant ainsi la devise qu’il avait adopté au moment de son ordination : « Ma famille et moi, nous servirons le Seigneur » – et devient l’un des principaux porte-parole de l’Église Unie rediviva.

En veut-il à ses bourreaux ? Il dit : « J’ai appris peu à peu que tout a un sens. Je suis reconnaissant à Dieu et aussi à ceux qui ont été les rudes instruments de la Providence.[2] »

Il mourra le 30 juillet 2013, juste un mois avant la béatification de Vladimir Ghika dont il resta jusqu’au bout le fidèle disciple.

[1] Témoignage donné à Pierre Hayet le 15 janvier 2001.

[2] Témoignage donné à René Laurentin : les Chrétiens détonateurs des libérations à l’Est, éditions François-Xavier de Guibert, 1991, pp. 148-159.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 5 / 2024, p. 27.