Peut-on vouloir l’égalité sociale, la fin de la misère paysanne et ouvrière, et rester grand propriétaire terrien ? À cette question Scarlat Callimachi a répondu fermement : non. Il s’est débarrassé de ses domaines fonciers et, pour aller jusqu’au bout de son engagement, est devenu, dans la période de l’entre-deux-guerres, homme de plume au service du Parti Communiste, recevant de ce fait le surnom de « Prince Rouge ».

Mais pourquoi seulement compagnon de route, comme on dit, et non pas communiste encarté ? Par peur de la prison ? Non, la prison politique, il y a amèrement goûté, mais Scarlat Callimachi est profondément chrétien et il pense que la foi chrétienne est incompatible avec l’idéologie marxiste.

C’est ce qu’il explique dans son roman, en partie autobiographique, La răscruce de vremuri [À la croisée des temps], écrit entre 1957 et 1969, et jamais publié parce que l’auteur y critique les abus de pouvoir du Parti Communiste, dont il s’est éloigné peu à peu après 1945, sans pour autant renier son engagement politique de jeunesse. Ce n’est qu’après 1989 que son fils Dimitrie, aujourd’hui décédé, publiera son roman à titre posthume[1].

À un moment donné, le héros du roman, Roman Turculeț, dit à son amie Vera : « D’abord (…) je ne suis pas d’accord avec cette théorie que tout ne serait que matière et que la matière domine la vie sociale, politique et philosophique et, ensuite, (…) je suis chrétien, comme l’ont été mes aïeux et je crois que ce que nous nommons, nous, âme, existe et qu’elle ne meurt pas en même temps que notre corps. La théorie communiste nie l’existence de l’âme, comme étant une vieille sottise de l’homme, complètement dépassée. Elle ne la conçoit pas, pour elle, seule la matière existe… C’est une théorie, une philosophie de l’impuissance de l’esprit humain, une philosophie de la grande tristesse, du désespoir existentiel… »[2] Et justement Vera, la communiste sincère, se suicidera par désespoir de voir son idéal politique dévoyé.

Mais le partage des biens n’est-ce pas au fond très chrétien ? Ananie et Saphire, selon les Actes des Apôtres, ne furent-ils pas foudroyés par Dieu pour avoir caché une partie de leur fortune à la communauté chrétienne de Jérusalem dont les membres mettaient leurs biens en commun ?

Et Vladimir Ghika, n’a-t-il pas redistribué aux œuvres de charité et aux institutions religieuses[3] les revenus du domaine de Bozieni qu’il détenait avec son frère Démètre ?

Mais ce n’est certainement pas de propriétés foncières, mais plutôt de religion dont Scarlat Callimachi et Vladimir Ghika s’entretiennent lorsqu’ils se rencontrent[4]. D’ailleurs le moine (assez peu) orthodoxe Alecu, du roman, avec qui Roman Turculeț a de longues conversations métaphysiques, empreinte très certainement quelques-uns de ses traits à la personnalité de Vladimir Ghika.

L’on peut ainsi dire que, parties du même point, ayant emprunté des chemins complètement divergents, les lignes de vie de Scarlat Callimachi et de Vladimir Ghika se sont ainsi rejointes à la fin de leur existence terrestre.

[1] Scarlat Callimachi, La răscruce de vremuri, Editura Anima, București, 2009.

[2] Scarlat Callimachi, Op. cit., p. 63.

[3] L’aventure d’Auberive par exemple fut un gouffre financier.

[4] Sans doute Scarlat Callimachi et Vladimir Ghika se connaissaient-ils depuis longtemps, faisant partie du même milieu, mais nous ne sommes certains que d’une seule rencontre, le 14 décembre 1944, dans le petit appartement du 95A Bd Elisabeta etaj 5, que Scarlat occupait alors avec sa femme Dida et son fils Dimitrie. De Dida nous parlerons dans une prochaine chronique.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 8 / 2021, p. 27.