Dans cette nouvelle page d’Actualitatea Creştină consacrée à Mgr Vladimir Ghika, nous allons présenter successivement des personnes qui ont connu Vladimir Ghika au cours de leur vie. L’idée est, par-là, de laisser voir la richesse des contacts que Vladimir Ghika a pu avoir avec les hommes et femmes de son temps, richesse tant en nombre qu’en qualité. Cela ne veut pas dire que l’on ne présentera ici que des personnes célèbres, non, l’on privilégiera d’ailleurs plutôt des personnes peu connues du grand public, ne se refusant cependant pas de présenter aussi des célébrités, mais, autant que faire se peut, sous un éclairage un peu original, en tout cas méconnu. Nous essaierons également d’alterner hommes et femmes, Roumains et étrangers, religieux et laïcs, etc. La première personne que nous présentons réunit un peu toutes ces qualités à la fois, comme nous allons le voir.
Renée Poppa naît à Paris en 1907, d’un père médecin roumain, Vasile Poppa, et d’une mère française, Jeanne Latour. Elle suit les traces de son père en devenant elle aussi docteur et en ayant, elle aussi, une jeunesse assez agitée, une « mauvaise vie », comme elle la qualifie. Voulant changer, elle s’adresse à Vladimir Ghika. L’on ne sait quand ils se sont vus pour la première fois, mais nous avons trace, dans l’agenda de 1938 d’une confession qui a eu lieu le 19 juillet à Paris et la première lettre de Renée Poppa que nous ayons aux Archives date du 6 octobre de la même année. Dans cette longue lettre, envoyée de Bucarest, elle écrit : « J’ai hâte de vous voir, Monseigneur, d’obtenir l’absolution. Vous me l’accorderez cette fois, n’est-ce pas ? (…) Monseigneur, je veux être un bon exemple autour de moi, pratiquer le bien, rayonner. (…) je ne veux pas être damnée… Vous m’entendez, Monseigneur. Je veux me racheter quelque peu aux yeux de Dieu, à mes propres yeux. » Pour se racheter, elle se déclare prête à offrir sa vie en sacrifice au Bon Dieu et aux hommes.
Et c’est ce qu’elle va effectivement faire.
Nommée médecin à l’hôpital de Beiuş, elle se dédiera intégralement à ses malades et aux blessés de guerre, mais aussi à la prière, devenant oblate assomptionniste (novice en 1945 ; premiers vœux en 1948… juste avant la confiscation de la maison des oblates par les communistes ; vœux perpétuels à Paris en 1953).
En 1950, bénéficiant du fait qu’elle possède la nationalité française, elle peut quitter le pays. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, car elle est rapidement envoyée à la tête d’un hôpital à Musienene au… Congo belge (province du Kivu)… suivant ainsi les pas de Vladimir Ghika qui s’y était rendu en 1936. Il est amusant de lire, dans une lettre du 26 février 1939, cette prémonition : « On va même jusqu’à dire que je vais tomber dans la patima religioasă et que les religieux et religieuses catholiques chercheraient à m’influencer, et à me convaincre afin de m’envoyer en mission au Congo, ou autre part encore. »
Renée Poppa ne quitte pas son poste quand survient l’indépendance du Congo et les troubles et violences qui l’accompagnent. Le Père Lazariste Georges Schorung, qui l’a bien connue en Roumanie, écrit alors dans une notice : « Aujourd’hui, 1er janvier 1965, je suis angoissé de son sort. Elle faisait partie d’un groupe de sacrifice lorsqu’il y eut les massacres. Elle y échappa de peu et fut emportée en Ouganda. »
« Maman Popa », comme on l’appelle familièrement au Kivu, reste à son poste jusqu’à son rappel en France, en 1988… à 81 ans. Mais elle ne se sent pas fatiguée et demande à reprendre du service, en Haïti d’abord, puis au Rwanda. C’est là que, dans la nuit du 25 au 26 février 1992 la petite communauté dont elle s’occupe est attaquée par des rebelles. Sœur Renée Poppa tente, le rosaire à la main, de s’interposer avec une jeune novice, Françoise Nyirangendo. On l’entend crier « Si vous voulez nous tuer, tuez-nous ici ! » Puis des tirs. Ce n’est que le lendemain matin que l’on relèvera son cadavre criblé de balles.
Dans sa lettre du 9 avril 1941 à Mgr Vladimir Ghika, elle écrivait : « quand les hommes s’arrêteront-ils dans leur course infernale. Qu’enfin le règne de Dieu arrive »…
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 1 / 2019, p. 27.