Le vendredi 12 janvier 1945, des policiers roumains et russes frappent à la porte de Rainer Biemel à Bucarest. Ils ont ordre de l’arrêter et de le déporter en Union Soviétique comme tous les ethniques allemands, tous considérés comme étant pro-nazis. Mais Rainer Biemel n’est pas chez lui, il s’est réfugié avec sa femme et sa petit fille à l’Institut Français, où le directeur, Jean Mouton, ami de Mgr Vladimir Ghika, le cache. Mais, sans le vouloir, sa petite fille Anne-Marie le trahit, les policiers le découvrent bientôt et, par chantage, le menaçant d’envoyer quelqu’un d’autre à sa place en déportation, réussissent à le convaincre de se rendre.

Avant d’être emmené par les policiers, Rainer Biemel demande plusieurs choses et surtout à voir un prêtre. Jean Mouton prévient le Père assomptionniste français Jean Gouillard. Rainer Biemel veut partir en règle au cas où il ne reviendrait pas : il veut se convertir, lui qui est né luthérien, et se confesser. Surveillé par un policier roumain qui ne comprend pas grand-chose à ce qui se passe, il réussit à faire les deux avant d’être emmené.

Jean Mouton et ses amis font toutes les démarches possibles pour le sortir de là. Mais les maîtres russes font la sourde oreille. De toute manière : en quoi le sort d’un Allemand les intéresse-t-il alors que l’Allemagne résiste encore, alors que les nazis ont commis tant de crimes en URSS et ailleurs ?

Mais Rainer Biemel est loin d’être un Allemand comme les autres. Né en 1910 à Brașov, il est Saxon certes, mais antinazi dès son jeune âge. La conséquence pour lui c’est qu’il doit quitter sa communauté et finir ses études en France où il se fait bientôt connaître en traduisant de grands auteurs allemands (Goethe, Thomas Mann, Rainer-maria Rilke, excusez du peu) et en devenant même le secrétaire de l’éditeur bien connu Bernard Grasset.

La France envahie, pour échapper à la Gestapo, Rainer Biemel rentre discrètement en Roumanie en 1941. Là il collabore notamment avec l’Institut Français… mais pas du tout avec les nazis.

Sont-ce ces états de service antifascistes qui font qu’il finit par être libéré après 11 mois de captivité en URSS[1] ? On ne sait trop. Officiellement il est rapatrié pour raison de santé. Il rentre à Bucarest en décembre 1945, où il retrouve, entre autres, Mgr Vladimir Ghika, qui écrit son nom « Bimmel » dans ses agendas, ce qui fait qu’il m’a fallu beaucoup de temps pour découvrir qui était le personnage qui se cachait sous ce nom. Jean Mouton raconte : « Pendant tout ce temps [en déportation], il a été soutenu par sa foi nouvelle, par son adhésion à Dieu. Quand ses camarades du camp lui demandaient ce qu’il lisait dans ce livre [un Missel], il répondait : « ce qui se passe dans le monde » – par allusion à la liturgie qui se trouve célébrée quotidiennement dans le monde entier. »[2]

Devenu français, Rainer Biemel, ou plutôt Jean Rounault désormais, parvient à quitter la Roumanie en 1948 et reprend à Paris sa place dans le monde littéraire français, en occupant notamment un poste important au sein des éditions catholiques Desclée de Brouwer.

[1] Il raconte son expérience dans son livre Mon ami Vassia – Souvenirs du Donetz, Paris, 1949, réédité en 2009 par sa fille aux éditions Le Bruit du Temps. Le livre paraît sous le nom de Jean Rounault qui vient du fait que ses compagnons de déportation l’avaient surnommé Rouno, par référence avec la célèbre marque automobile française.

[2] Jean Mouton, Journal de Roumanie, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1991, p. 112.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 5 / 2022, p. 27.