Si ce frère et cette sœur, fraternels tout autant sur le plan naturel que spirituel, ont rencontré Vladimir Ghika la cause en est très certainement due à une maladie très mutilante : la lèpre. Ainsi, dans l’une de ses lettres, Marie Baranger (1902-2003[1]) dit qu’elle n’ira pas à l’hôpital Saint-Louis, là où se trouve le Pavillon de Malte[2] dédié aux lépreux. Cela veut dire qu’elle s’y rendait régulièrement[3] tout comme le faisait Vladimir Ghika qui, notamment après ses voyages au Japon, où il avait rendu visite à la léproserie fondée par le prêtre catholique Soichi Iwashita, s’intéressait de près à cette maladie stigmatisante.
Le frère de Marie, Pierre (1900-1971), polytechnicien[4], chargé par l’État-major d’étudier l’effet des gaz toxiques, notamment des gaz vésicants, au cours de ses recherches, constate qu’ils ont une vertu curative sur la lèpre. D’où son intérêt à lui aussi pour cette maladie.
Mais ce n’est pas là leur seul point de rencontre. Marie est une artiste, qui a notamment, aux Ateliers d’Art Sacré, été l’élève de Maurice Denis, que Vladimir Ghika connaissait bien et à qui il a rendu visite dans son atelier de St-Germain-en-Laye. Pierre, lui aussi, est artiste à ses heures (musique, peinture) et tous deux sont de fervents catholiques, ils ont d’ailleurs fondé ensemble, en 1934, une association missionnaire dénommée « Art et Louange ». La foi, l’art, la mission, le soin aux malades, on voit que nos trois amis avaient bien des points communs. On trouve cependant une bien maigre correspondance échangée entre eux. Sans doute étaient-ils trop occupés par leurs propres activités pour avoir vraiment le temps de communiquer et puis, s’ils étaient si en harmonie d’idées, de quoi discuter quand on a une vie bien remplie ?
À la fin de l’été 1939, Pierre et Marie Baranger doivent partir pour le Japon. Vladimir Ghika y pense aussi. Dans une lettre du 20 août 1939, Pierre demande au prélat roumain des adresses de personnes susceptibles de le recevoir au Japon et poursuit : « Ici nous travaillons d’arrache-pied pour préparer ce départ et fabriquer les échantillons nécessaires. Les mises aux points poursuivies depuis longtemps paraissent enfin acquises et la bénédiction reçue porte déjà ses fruits. J’ai pu avoir dernièrement une entrevue très cordiale avec le Docteur Flandin[5]. » Ce n’est donc pas pour lui un voyage d’agrément, mais un voyage d’étude lié à la lèpre. Mais, comme on peut le penser, ce voyage ne se fera pas, la guerre mondiale éclatant à ce moment-là.
Pierre rejoindra bientôt le général De Gaulle à Londres et prendra la tête d’un centre de rééducation pour soldats blessés, avant de devenir professeur à la prestigieuse École Polytechnique et de parcourir le monde dans le cadre de ses recherches sur les maladies tropicales.
Marie, elle, se réfugiera dans son Sud-Ouest natal… et dans la peinture. Devenue tertiaire franciscaine en 1944, elle parcourra elle aussi le monde, l’Afrique et le Japon notamment, pour faire partager sa foi et son amour de l’art.
L’on peut rêver à ce qu’aurait pu être leur collaboration à tous trois si Vladimir Ghika n’avait été empêché de réaliser son rêve de créer une léproserie à Techirghiol, en Roumanie, et d’y passer la fin de sa vie.
[1] Elle n’a raté qu’une seule année du XXe siècle !
[2] Construit en 1928 grâce à l’ordre de Malte, descendant de l’ordre des moines-soldats Hospitaliers et Templiers.
[3] Dans l’agenda 1939 de Vladimir Ghika, pour le seul mois de janvier (mois pris au hasard), le nom de Baranger apparaît 6 fois (une seule fois le frère et la sœur figurant le même jour). De plus, le 10 janvier, le prénom « Marie » est noté juste à côté de « Malte », je suppose qu’il désigne Marie Baranger.
[4] L’École Polytechnique, en France, est rattachée au ministère de la Défense et forme des ingénieurs de très haut niveau.
[5] Spécialiste de la lèpre.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 5 / 2019, p. 27.