Il n’est jamais sans doute facile, pour un directeur spirituel, de s’occuper de l’âme d’une personne de sa propre famille, ni pour un laïc d’être dirigé par un prêtre qui lui est proche. C’est sans doute pour cela que Vladimir Ghika, en 1936, confie sa belle-sœur, Élisabeth Ghika, aux soins du Père Roger Bréchard. Il l’a peut-être connu par l’intermédiaire de Flore Many[1], qui lui a écrit en octobre 1935 : « L’Abbé Bréchard a un culte pour vous, Monseigneur, un culte timide. Je crois que si vous lui envoyiez parfois un mot, cela le réconforterait divinement. » Roger Bréchard est d’ailleurs en correspondance avec de nombreuses personnalités catholiques de l’époque, comme Charles du Bos ou Jacques Maritain par exemple. C’est d’ailleurs lui qui baptise l’écrivaine Irène Némirovsky, son mari et ses deux filles, qui ont été catéchisés par Vladimir Ghika.
Il provient cependant d’un milieu fort modeste, puisqu’il est né le 31 janvier 1900 à Billom (Puy-de-Dôme), dans la famille d’un maréchal-ferrant. Roger Bréchard fait toutefois preuve de grandes qualités intellectuelles, est ordonné prêtre en 1924 et est nommé responsable de plusieurs paroisses de montagne dont le Valbeleix de 1931 à 1937. C’est un prêtre très zélé. Vladimir Ghika lui rend même visite en mai 1936, et l’abbé Bréchard l’en remercie chaudement : « que je vous dise toute ma reconnaissance pour votre bonté et pour tout ce que, par vous, le Maître m’a donné. Merci pour vos brochures, pour m’avoir fait vénérer la Sainte Relique… de me l’avoir présentée dans cette salle d’hôtel : La manière de Dieu. Transcendance et familiarité. »
L’écrivain auvergnat Henri Pourrat le décrit comme un « jeune prêtre (…), haut, maigre, aux traits coupants, avec un grand air de douceur » dont les yeux sont « ceux de la vie intérieure la plus en éveil et en amitié ».
Mais cette vie intérieure est-elle vraiment celle que l’on croit ? Les lettres à Vladimir Ghika laissent voir un autre aspect du personnage, comme celle-ci, du 20 septembre 1937 : « j’ai cru perdre la raison – plus de contrôle de mes nerfs – paroles impudentes à des prêtres. Mon évêque veut que je prenne un ou deux mois de repos – vais quitter ma paroisse où Monseigneur enverra quelqu’un pour me remplacer. » Ou encore un an plus tard : « S.O.S. pour prières – tentations redoublent d’une manière jamais connue – (…) par tempêtes brusques et terribles, j’ai peur de perdre la raison… »
Les lettres de Vladimir Ghika le réconfortent cependant, c’est ainsi que Roger Bréchard lui écrit, le 19 mai 1939 : « Merci de votre bonté et de vos prières qui m’ont aidé et m’aident encore. Ça va mieux. Un peu de paix est revenu ; mais l’orage est toujours là qui gronde, et il suffirait d’un rien pour me faire chavirer… Il n’y a que Lui et il faudrait sans cesse me blottir près de Lui. »
Fin août 1939, Roger Bréchard est mobilisé. Envoyé au front, fort de son expérience dans le scoutisme, il se conduit admirablement, en tant que prêtre tout autant qu’en tant que soldat. Le 20 juin 1940, deux jours avant l’armistice, le lieutenant Roger Bréchard, à la tête de ses hommes au col du Ménil dans les Vosges, est tué par une balle allemande.
Aujourd’hui, dans sa chère région auvergnate, une association portant son nom a créé un foyer d’accueil pour personnes âgées atteintes de handicap mental. Il n’est pas complètement oublié.[2]
[1] Sur Flore Many, voir Actualitatea Creștină…
[2] Pour en savoir plus sur lui, voir : Margueritte Perroy, Sacerdos alter Christus : l’Abbé Roger Bréchard, 1949, Clermont-Ferrand.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 6 / 2024, p. 27.