La diplomatie, surtout avant la Première Guerre mondiale, est un bien petit monde, tout comme celui de la littérature française ou celui des hautes sphères ecclésiastiques, c’est pourquoi Vladimir Ghika et Paul Claudel ne pouvaient pas ne pas se rencontrer à la minuscule intersection de ces trois ensembles, c’est mathématique !
Leurs routes se sont croisées à maintes reprises. À Rome d’abord, où l’écrivain français demeure pendant presque toute l’année 1916 et où Vladimir Ghika a accompagné son frère Démètre, ambassadeur de Roumanie, après la mort de leur mère, en octobre 1914 à Bucarest. La première lettre qui nous soit conservée, et qui est sans doute effectivement la première de leur correspondance, date du 29 janvier 1916. Claudel, qui a alors 48 ans, est déjà connu. Il a publié plusieurs pièces de théâtre qui deviendront des classiques : L’Échange (1894), Partage de midi (1906), L’Otage (1911), L’Annonce faite à Marie (1912). Les deux diplomates, l’un officiel, l’autre officieux, ont très certainement des discussions sur la politique internationale, comment en pourrait-il être autrement en temps de guerre ? ou bien sur la religion, mais ce qui ressort de leur correspondance, c’est surtout et avant tout leur amour de l’art, tant littéraire que graphique. Ils se lisent, se louent, s’échangent des idées. Paul Claudel demande même à son ami roumain de petites esquisses pour illustrer ses livres. Il lui écrit alors, le 28 juillet 1916 : « Vous savez quelle affection et, si vous me permettez de le dire, quel respect j’ai pour vous. »
Les deux amis se retrouvent ensuite, plus tard, après-guerre, sur le terrain religieux, lorsqu’il est question de fonder un premier monastère féminin carmélitain au Japon. C’est Paul Claudel qui a lancé l’idée, alors qu’il est ambassadeur de France à Tokyo entre 1921 et 1927. C’est avec l’aide de Vladimir Ghika qu’elle se réalisera, en 1933, le dramaturge français y apportant bien entendu son obole, alors qu’il se trouve en poste… à New-York. Ce Carmel existe toujours et a essaimé dans le pays.
Mais si la diplomatie ou le « vagabondage apostolique » vous envoie parfois à l’autre bout du monde, elle vous ramène aussi, à d’autres moments, en de mêmes lieux, des sortes d’attracteurs étranges, pour rester dans le langage mathématique. Bruxelles est l’un de ces lieux, puisque Paul Claudel et Démètre Ghika y sont nommés ambassadeurs presque concomitamment au début des années trente. C’est pour l’écrivain français et le prélat roumain, qui vient souvent voir son frère et sa petite famille, l’occasion de nouvelles rencontres et discussions. Renée Claudel-Nantet, fille de Paul, se souvient avoir rencontré Mgr Ghika à plusieurs reprises à Bruxelles. « Je sais que mon père avait pour Mgr Ghika une très grande amitié et admiration » dit-elle.
L’on se souvient que la lèpre joue un rôle important dans la pièce l’Annonce faite à Marie, eh bien, c’est cette même maladie qui va réunir une dernière fois les deux amis. En 1938, Vladimir Ghika demande à Paul Claudel, tous deux étant revenus sur Paris, de s’intéresser à ses lépreux du Pavillon de Malte, louant, entre autres, leur talent littéraire. Ce dernier s’exécute et leur fournit un grand nombre d’ouvrages, ce qui donne lieu à un échange plaisant de poésies. L’art : l’on y revient toujours ! Il se cache dans tous les recoins de la vie de Vladimir Ghika, ne lui en déplaise. Je crois même qu’il faudrait s’intéresser de près à l’esthétique de sa théologie.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 13 / 2019, p. 23.