« Istrati ? Oh ! un grec… un grec des ports… C’est ce qu’il y a de pire ! » Voilà la première réaction qu’a Vladimir Ghika lorsqu’il entend la journaliste catholique belge, Flore Many, lui parler de son ami, l’écrivain roumain Panait Istrati. Car celui-ci l’appelle à son secours. Il est seul, malade, persécuté…
Et, de fait, dès sa plus tendre enfance, Panait Istrati a connu la misère humaine, sur sa propre peau : orphelin de père dès son bas-âge, il quitte tôt l’école primaire, exerce tous les métiers les plus mal rémunérés, erre de Brăila, où il est né, à Alexandrie, où il soigne sa tuberculose tout en vivotant comme il peut. Arrivé clandestinement en France, il finit par appeler à l’aide Romain Rolland, écrivain français célèbre de l’époque, pacifiste, socialiste, compagnon de route du Parti Communiste, qui accepte de lire sa prose écrite directement en français et le publie. Entendons-nous bien : si c’est le Parti Communiste Français qui aide Panait Istrati à se faire publier, son succès doit tout à son remarquable art de conteur. Car Panait Istrati s’est abreuvé de littérature depuis son enfance et il s’en est tellement imprégné qu’il l’a assimilée à son plus haut degré : oui, Panait Istrati a forcé le destin qui lui était échu pour acquérir en autodidacte un immense talent littéraire.
Autrefois secrétaire du syndicat des dockers de Brăila, membre actif du Parti Socialiste Roumain, Panait Istrati, devenu célèbre, n’oublie pas ses frères de misère et, pour beaucoup à l’époque, la patrie des prolétaires du monde entier, c’est l’URSS. Alors, il s’y rend, lors d’un voyage très organisé, où on lui fait voir ce que l’on veut bien lui faire voir… Mais Panait n’est pas naïf, lui qui en a tant vu dans sa vie. L’URSS est, pour lui, une cruelle désillusion. À son retour, il s’en ouvre à Romain Rolland, qui lui conseille de se taire. Mais Panait ne peut pas se taire. C’est un homme franc et entier. Alors il publie Vers l’autre flamme (1929), où il raconte ce qu’il a vu en URSS : la misère et la dictature, et ce avant même le stalinisme triomphant.
Il perd ses amis français, ses soutiens, rejeté qu’il est par la gauche. Quant à la droite, elle continue à l’ignorer, lui qui prône la justice sociale et s’élève contre le nationalisme fauteur de guerre et l’ignoble antisémitisme. Il rentre en Roumanie où il est tout aussi décrié par tous, de la garde de fer en pleine expansion aux socialistes. Et puis la maladie gagne du terrain… d’où son appel à l’aide, plus moral sans doute que matériel.
Vladimir Ghika accepte de le rencontrer, à Bucarest. Ils se voient, sympathisent… Vladimir Ghika le remerciant d’emblée du fait que, s’il a dit beaucoup de mal des boyards dans ses livres, il n’a rien dit contre les Ghikas ! Ils parlent beaucoup, vont ensemble à la Cathédrale Saint-Joseph, prient ensemble côte à côte malgré la foule en ce 15 août 1934. « Qu’avez-vous demandé à Dieu ? », lui demande Vladimir Ghika : « Vous m’avez dit que mon amie de Belgique [Flore Many] est sérieusement malade : j’ai demandé que le Seigneur lui donne la moitié du temps qui me reste à vivre. » Malheureusement il ne lui reste pas longtemps à vivre. Panait Istrati meurt quelques mois plus tard, le 16 avril 1935.
En voyant des photos de son enterrement, Vladimir Ghika dit à Flore Many : « Nous pouvons être certains que Panait est mort dans une pensée proche de la nôtre, car pour avoir une croix de rite catholique dans un cimetière orthodoxe, il faut l’avoir demandé ![1] »
[1] Citations tirées d’une lettre de Flore Many au Père Georges Schorung.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 9 / 2022, p. 27.