La Reine Nathalie de Serbie avait toujours avec elle une suite de dames d’honneur. Vladimir Ghika, fréquentant cette petite cour dès son enfance, s’est particulièrement lié à deux d’entre elles portant le même nom : Olga Chestakoff[1]. La mère (1853-1937) et la fille (1876-1952). De fait, la première est née à Odessa princesse Gagarine, sa mère étant une Sturdza de Russie. Mariée en 1876 à Léonide Chestakov, elle perd son conjoint et sa fille Luba, en 1894, dans un naufrage. C’est peut-être ce drame qui lui fait quitter la Russie avec sa seconde fille, Olga. Et c’est aussi peut-être la perte de ces êtres chers qui les fait toutes deux se tourner vers la spiritualité. À Sachino[2], à Rome ou ailleurs, elles ont de longues conversations avec le jeune Vladimir, qui est lui aussi en quête spirituelle.

En 1900 leurs voies se séparent. Mais les conversations continuent par l’entremise de longues lettres, échangées surtout avec la mère. Vladimir Ghika tente de les convaincre de suivre son exemple, de faire partie de la Vraie Église… Et Olga Chestakoff fille, un beau jour de 1902 finit par écrire, énervée, à son ami : « Croyez-moi que si je me permets de vous écrire encore ces quelques lignes, ce n’est pas par amitié. (…) Vous voulez tout dire, et cela crée des discussions. Il n’est point raisonnable d’espérer qu’elle [sa mère] abandonnera sa vie intérieure pour la vôtre, puisque la sienne lui est tout aussi chère qu’à vous l’est la vôtre. »

C’est que les deux Olga se sont installées en France, et qu’auprès du mystique et guérisseur Nizier Philippe (1849-1905), dit Maître Philippe de Lyon, qui a ses entrées dans certaines grandes cours d’Europe, leur quête spirituelle s’est muée en quête spiritualiste, ésotérique, occultiste, ce qui, on le comprend, a certainement le don d’irriter leur cher ami Vladimir. La jeune Olga, après être devenue veuve d’un Anglais, Herbert Marshall (1860-1912), dont elle a eu 4 enfants, se remarie en 1913 avec le docteur Emmanuel Lalande (1868-1926), lui-même grand ésotériste devant l’Éternel et veuf de la fille de Maître Philippe… Olga Marshall, donc, sous le nom initiatique de Zhora écrit même des textes ésotériques dans la revue l’Initiation[3], mais aussi, sous le nom de Marie Lalande, une apologie de son mari et du maître de celui-ci[4].

Vers 1905, Vladimir Ghika leur rend visite, sans doute pour les convaincre de revenir dans le droit chemin. Peine perdue, chacun campe sur ses positions. Alors que cette visite aurait dû resserrer les liens, de fait c’est le contraire qui se passe et, pendant 4 ans, la correspondance cesse et ne reprend par intermittence qu’en 1909. Les contacts ne sont plus guère dès lors que de vagues amabilités, pour remercier d’un livre, pour prendre de temps à autres des nouvelles. La dernière lettre, de 1931, est une question sur la symbolique des églises posée à Vladimir Ghika de la part d’Olga fille. Y a-t-il répondu ? On ne sait. Sans doute pas, sachant l’usage qui en serait fait.

Olga Chestakoff mère meurt le 31 mai 1937. Le 11 juin suivant, Vladimir Ghika dit une messe à son intention. Olga fille décède, elle, le 28 décembre 1952, Vladimir Ghika ne l’a sans doute jamais su, car alors il est en prison depuis un mois.

En 1902, Olga mère lui avait écrit : « Un jour, ami, nous nous retrouverons, puisque Dieu est éternel et qu’Il est la fin et le but de tous ses enfants et de toutes choses. Cela au moins est sûr et personne ne peut nous l’enlever. Votre amie toujours – Olga. »

 

[1] Ou Chestakow ou Chestakov.

[2] Le château de la Reine Nathalie à Biarritz.

[3] Créée en octobre 1888 par Papus (Gérard Encausse), elle est l’organe officiel du Groupe Indépendant d’Études Ésotériques, qui réunit les principaux occultistes de l’époque, dans la mouvance de l’Ordre Martiniste.

[4] Marie Emmanuel Lalande. Lumière blanche – Évocations d’un passé, Lyon, 1948.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 11 / 2022, p. 27.