Octav Șuluțiu (1909-1949)
Alors qu’Octav Șuluțiu est encore lycéen, il perd sa mère[1] victime d’un cancer. Sa réaction, que l’on peut lire dans son journal[2], est violente : « 26 mai 1927 : Maman est toujours malade de l’estomac. Oh ! Mon Dieu, guérissez-la et je serais votre plus grand fidèle ici sur terre !… (…)
8 juin : J’ai amené aujourd’hui le docteur Ion Stoia de l’hôpital Brâncovenesc. Il a dit que le cancer touchait maintenant l’ensemble de l’estomac de maman. On va la perdre dans peu de temps. Hélas ! Hélas ! Quel malheur ! DIEU N’EXISTE PAS !!! (…)
14 juin : Maman est morte à 12h10 ! Il ne me reste plus que deux choses : la Gloire et la Négation de la divinité !
15 juin : À 3h nous enterrons maman au cimetière Sfânta Vineri. Oh ! Si je pouvais gifler ce Dieu du crime ! »
Le jeune Șuluțiu est si fâché contre Dieu qu’un jour il refuse d’accompagner ses camarades de classe à l’église. Conséquence : il est renvoyé deux semaines du Lycée Mihai Viteazul. Autres temps !
Est-ce que cela veut dire qu’il est devenu athée ? Non, pas vraiment, car si c’est l’amour de sa mère qui l’éloigne de Dieu, c’est aussi lui qui l’y ramène, car il sent l’âme de celle-ci « flotter dans l’air » autour de lui[3]. N’est-ce pas là justement ce que dit Vladimir Ghika aux personnes en deuil : que l’âme du disparu tant aimé est là tout près, qu’elle nous accompagne partout, en toutes circonstances ? Octav Șuluțiu en arrive même à écrire, au début de l’année 1931 : « … j’ai tant évolué spirituellement, je me suis découvert chrétien, je crois que je vais entrer au monastère. Et si j’y entre, j’y resterai pour toujours. »
Il ne le fait pas, la vie monacale n’est pas vraiment faite pour lui, et réciproquement, et Octav Șuluțiu, malgré la pauvreté, poursuit de brillantes études de lettres et devient professeur, mais aussi écrivain et critique littéraire apprécié des journaux et revues de son temps. Il se fait notamment connaître pas son roman d’avant-garde Ambigen (1935), qualifié par certains d’amoral, voire d’immoral.
En 1943, il publie un autre roman, aux accents dostoïevskien celui-ci, plus classique, Mântuire (Rédemption). Est-ce là le reflet de son âme ? Le motto du livre est une citation de Giovanni Papini : « Les aventures spirituelles, cérébrales et intellectuelles d’un homme – même si elles ne sont pas le lot de tous – peuvent être matière à art (…) la perte de la foi ou la conquête d’une vérité métaphysique peuvent être des événements tout aussi tragiques et dramatiques que la fuite d’une amante ou la conquête d’une femme. »[4]
C’est justement en cette année 1943 qu’Octav Șuluțiu, ainsi que sa femme Elena, née Pteancu, commencent à fréquenter Vladimir Ghika. Ils l’invitent chez eux mais aussi vont boulevard Dacia chez Monseigneur où il leur arrive d’assister à la messe. Elle se confesse, lui non. Deși spunea : « La confession, j’ai ça dans le sang. Mon besoin de me confesser est plus fort que ma pudeur. »[5] Et son journal en témoigne. Il a demandé qu’il soit détruit à sa mort, en 1949, à 40 ans. Ses dernières volontés ne seront pas entièrement respectées. Malheureusement la partie qui nous intéresse le plus, les années où il fréquente Vladimir Ghika, n’a pas été conservée. Mémoire oubliée d’un écrivain oublié.
[1] D’origine polonaise, son père, Roumain, étant décédé.
[2] Octav Șuluțiu, Jurnal, Editura Dacia, Cluj, 1975.
[3] Jurnal, 1 ianuarie 1928, pp. 41-42.
[4] Cité dans Teodor Dună, « Octav Şuluţiu, Mântuire – sau despre ratarea exemplară » (Octav Șuluțiu, Rédemption – ou sur un ratage exemplaire), Caiete Critice, nr. 8 (346) 2016.
[5] Ambigen, Editura Vremea, Bucureşti, 1935, p. 203.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 13 / 2021, p. 27.