Si l’on consulte les agendas de Vladimir Ghika, l’on y rencontre parfois le nom d’Agârbiceanu. En lisant ce nom, l’on pense à l’écrivain bien connu Ion Agârbiceanu (1882-1963), qui avait, de plus, la particularité d’être prêtre gréco-catholique, fonction qui le rapprochait de Vladimir Ghika. Il m’a fallu un certain temps pour comprendre qu’en fait il s’agissait généralement de son fils Nicolae et de sa famille.

Ce dernier, doué d’un grand talent artistique, a d’abord étudié la musique, à Bucarest, puis à Paris, devenant un violoniste, compositeur et chef d’orchestre plein d’espérances pour l’avenir jusqu’à ce que son corps ressente les effets d’une maladie qui ne pardonne pas : le mal de Pott, infection intervertébrale due au bacille de la tuberculose, qui provoque de vives douleurs dorsales et peut même entraîner la paralysie. Sous les effets du mal, Nicolae Agârbiceanu doit bientôt abandonner la musique.

Mais il se prend alors de passion pour un autre art, la sculpture, qu’il pratique en amateur depuis l’enfance. Devenu l’élève et l’ami de Constantin Brâncuși, sur lequel il a écrit plusieurs textes, il expose, sous le nom de Nicolas Alba, dans plusieurs villes d’Europe. Vladimir Ghika indique dans son agenda qu’il visite une exposition de ses œuvres à Bucarest le 4 avril 1946.

En 1948 cependant, Nicolae retourne en France. Pour se soigner ? Pour des raisons politiques ? Pour échapper à la persécution déclenchée alors contre l’Église Gréco-catholique ? Nous ne le savons pas vraiment. En tous cas, ce qui est sûr, c’est que sa femme et ses quatre enfants restent au pays et Mme Agârbiceanu rend souvent visite à Mgr Ghika pour lui demander aide spirituelle, mais aussi matérielle.

Que fait donc Nicolae pendant ce temps en France ? Jouit-il de l’exubérante vie parisienne ? Des délices du Montparnasse artistique ? Pas vraiment. Il est accueilli par l’évêque de Châlons-sur-Marne, Mgr Pierrard, qui lui trouve un logement, un atelier en sous-sol, sans chauffage, et subvient à son entretien. Vivant comme un moine reclus, ne lâchant jamais sa pipe et son burin, le sculpteur Nicolas Alba crée là avec acharnement des œuvres nombreuses, souvent d’inspiration religieuse. Il montre notamment une prédilection pour des œuvres inspirées de la Divine Comédie de Dante, ce qui le rapproche de Vladimir Ghika, qui, à la même époque, continue d’écrire des pensées relatives aux fins dernières. Nicolas Alba sculpte entre autres une statue grandeur nature de Dom Pérignon (1639-1715), moine bénédictin, considéré comme l’inventeur du champagne, qui trône aujourd’hui dans un square de la ville natale de celui-ci, Sainte-Menehould.

Mais le mal qui lui paralyse les mains empêche bientôt Nicolas Alba de poursuivre son œuvre dont une exposition, organisée deux ans avant sa mort, en 1989, à Châlons, retrace le parcours[1]. « L’ensemble des pièces présentées démontre avec quelle passion ont été réalisées ces sculptures. Il en est une à ne pas manquer d’admirer, il s’agit de la saisissante Main de détresse, qui traduit totalement la vérité intérieure, la pensée, la solitude, la tristesse. Quoi de plus émouvant que cette main tendue, qui semble parler ![2] »

Une main tendue vers Dieu, n’en doutons pas.[3]

[1] À quand une telle exposition à Bucarest ?

[2] Roland Irolla, dans le catalogue de l’exposition. Grand merci à Chantal Husson, de la Médiathèque Georges Pompidou de Châlons-en-Champagne, pour m’avoir fourni, entre autres, le catalogue de cette exposition.

[3] Voir aussi François Duboisy, « Dom Perignon et son discret sculpteur », 27 juillet 2003 (https://www.menouetsesvoisinsdargonne.fr/spip.php?article246).

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 10 / 2023, p. 27.