Élevé dans une vieille famille aristocratique, il fait de brillantes études, mais renonce à la diplomatie pour devenir prêtre sur le tard dans le diocèse de Paris. Il s’intéresse beaucoup aux russes émigrés en masse en France après la Première Guerre mondiale, sa mère étant d’origine russe. Dans un souci missionnaire, il s’active pour l’évangélisation de la banlieue rouge de Paris, auprès des chiffonniers de Villejuif notamment… Non, je ne parle pas ici de Vladimir Ghika, mais de l’évêque auxiliaire de Paris en charge des Étrangers, Mgr Emmanuel-Anatole Chaptal de Chanteloup, le supérieur immédiat de Vladimir Ghika dans la hiérarchie catholique et de plus de 10 ans son aîné.

Ces deux hommes, aux origines aristocratiques communes[1], à la vocation commune, aux objectifs communs, devraient s’entendre à merveille… mais ce n’est pas le cas, et la cause en est, non pas la sainteté de Vladimir Ghika, que Mgr Chaptal reconnaît sans problème, ni son action en banlieue déchristianisée, à laquelle ce dernier applaudit des deux mains, mais les longues absences du prêtre roumain, à Auberive, loin de Paris, la moitié du temps d’abord, puis aux quatre coins du monde dans le cadre des Congrès Eucharistiques Internationaux ensuite. Comment construire quelque chose de solide avec ce « vagabond apostolique », comme l’a surnommé le Pape Pie XI, continuellement sur les rails ou sur la mer ?

Alors, le 27 janvier 1930, Vladimir Ghika ayant été absent presqu’une année entière à cause du Congrès Eucharistique de Sydney et d’une opération qui l’a cloué au lit, à Rome, plusieurs mois, Mgr Chaptal lui écrit de sa plus belle plume : « L’Église diocésaine des Étrangers sera votre église autant que vous en aurez besoin et vous porterez le nom de Chapelain au lieu de celui d’Administrateur, ce qui n’a guère d’importance pour vous. » Autrement dit, si l’on traduit en clair ce langage diplomatique : « Vous êtes viré ! mais on vous a laissé une petite place dans un placard… » Et, cerise sur le gâteau, c’est Jean-Pierre Altermann, fils spirituel n° 1 de Vladimir Ghika, qui est nommé administrateur à sa place et occupera son bureau. Autre coup de poignard dans le dos !

C’est certainement vers cette date que Vladimir Ghika écrit à sa belle-sœur, Élisabeth : « À Paris, beaucoup de besogne : je n’ai guère paru qu’une ou deux fois à l’Église des Étrangers, seulement. Une entrevue – pénible – avec Altermann. Aujourd’hui va avoir lieu une autre entrevue, plus amère encore, avec Mgr Chaptal (j’ai, à mon retour, acquis à peu près la certitude qu’il a pris une part directe et effective au départ des deux sœurs d’Auberive[2], sans me le laisser le moins du monde percevoir, ce qui eût été pourtant bien indiqué, par simple geste de franchise) ; j’en ai été, je dois le dire, très affecté, et cela ne promet guère pour l’avenir. Mon meilleur coin d’horizon est, en ce moment, l’ordination, ce samedi-saint, comme prêtre, de mon “fils” n° 2, le petit Henri Caffarel. Il me donne sur presque tous les points, la plus complète satisfaction.[3] » Jusqu’à ce que, lui aussi, l’abandonne peu de temps après, au troisième chant du coq, refusant de s’occuper des sœurs d’Auberive restées sur place[4].

Mais Jésus en voulut-il à ses apôtres de l’avoir abandonné aux jours de la Passion ?

[1] Si le père de Mgr Chaptal est un noble français, sa mère est la fille d’un banquier juif d’origine russe.

[2] C’est le début de la fin de l’implantation des sœurs de Saint-Jean à Auberive et donc de la Fraternité elle-même.

[3] Archives Vladimir Ghika – c.LXXXI.D2.P3.

[4] Voir l’article consacré à Henri Caffarel dans la même revue.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 12 / 2022, p. 27.