Alors qu’il se trouve à Buenos Aires en 1934 pour le Congrès Eucharistique International, Vladimir Ghika reçoit une charmante lettre en français : « Je suis une petite fille de 9 ans (…). Mon papa est belge et catholique mais ne pratique pas. Maman est suisse protestante, mon frère de 16 ans ne pratique pas. Mon frère Marcel est chez les Jésuites au [Collège] Salvador et moi et ma sœur au [Collège Sacré-Cœur, avenue] Callao. J’ai encore d’autres petits frères et sœurs. Mes parents sont très bons ; donnent beaucoup aux pauvres et à la Propagation de la Foi ; maman, Yvonne de Ridder, donne beaucoup à l’hôpital français. Je pensais qu’ils se convertiraient tous pendant le Congrès, mais hélas, hélas, rien, et je suis bien triste. On m’a dit, Monseigneur, que vous convertissez beaucoup de monde et moi je viens vous supplier d’inventer quelque chose pour venir à la maison. Je ne sais pas si vous étiez au Collège de La Salle quand j’ai dit deux poésies : une a fait pleurer des prêtres et même Mgr l’Évêque Suisse. Peut-être pourriez-vous dire à Maman que vous venez pour que je vous dise la poésie, elle reçoit très bien les prêtres. (…) J’écris bien vite pour me cacher ; c’est mon grand secret. Je vous supplie de sauver l’âme de mon Papa, de Maman et de mon frère. Votre petite fille Maud de Ridder. »
Bien entendu, comme nous le connaissons, Vladimir Ghika se rend dans cette famille. Où il est effectivement bien reçu. Les Archives Vladimir Ghika conservent ainsi la copie d’une carte de visite des parents de Maud lui souhaitant un bon voyage de retour.
Mais les prières de Vladimir Ghika n’ont pas eu les effets escomptés, car la petite Maud lui réécrit un an plus tard une lettre qu’elle adresse à l’archevêché de Paris, ne sachant pas son adresse personnelle à Paris : « Je désire beaucoup avoir de vos nouvelles. Je pense souvent à vous… (…) Écrivez-moi, sans dire que je vous ai écrit. C’est très important – après je vous écrirai une lettre que je montrerai à ma mère. Elle est toujours protestante, cela me désole. Papa n’est catholique que de nom et pourtant sa mère est une sainte, elle a 93 ans et va à la messe tous les jours. Elle est en Belgique. Mon frère aîné suit l’exemple de Papa… (…) Je vais toujours au Sacré-Cœur et j’aime beaucoup les mères[1]. (…) Pourquoi n’écrivez-vous pas à papa et à maman pour les convertir ? Je suis si triste qu’ils ne soient pas tous chrétiens. Priez pour eux et pour tous les 8. La petite Astrid est baptisée depuis le mois de novembre… Bénissez, Monseigneur, votre petite fille qui vous aime beaucoup et voudrait bien avoir votre photo. (…) »
Et, encore une fois, Vladimir Ghika se conforme à ce que lui demande une petite fille de 10 ans. Peut-on ne pas répondre aux vœux altruistes d’une petite fille ? Nous ne savons ce qu’il a écrit à la famille de Ridder, mais nous avons la réponse de remerciement du père : « Ma petite famille se porte à merveille et ceux qui ont eu l’honneur de faire votre connaissance conservent et conserveront toujours le meilleur souvenir de votre amabilité à leur égard. Maud est une brave petite fille de 11 ans – très aimée au Sacré-Cœur. Elle ne nous donne que des satisfactions. Le bébé que vous avez béni (Astrid) grandit à vue d’œil (…). Heureux d’apprendre que nous aurons le plaisir de vous revoir en Argentine dans le courant de l’année. » Mais Mgr Ghika ne retournera jamais en Argentine, pris qu’il est par d’autres affaires en Europe et ailleurs.
L’histoire s’arrête-t-elle là ? Pas tout à fait. En 1939, Louis de Ridder apprend à Vladimir Ghika que sa femme et ses enfants sont en Suisse, car Maud doit y être opérée des amygdales, et qu’ils passeront sans doute le voir à Paris courant mai. Je n’ai pas trouvé trace de cette visite dans l’agenda 1939 de Mgr Ghika, ce qui ne prouve pas que la rencontre n’a pas eu lieu car celui-ci ne notait pas tout dans ses carnets. En tout cas, cette lettre du père montre bien que la famille ne désirait pas couper les ponts avec le prélat catholique. Les prières d’une petite fille n’ont-elles pas eu, pour le moins, cet effet ?
[1] Les religieuses.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 11 / 2020, p. 27.