« Jésus n’est pas venu sur terre juste pour nous apprendre à vivre saintement ; il a aussi voulu nous montrer, par Sa Passion, que la souffrance est nécessaire, parce que c’est par elle qu’il a racheté, Lui l’Innocent, tous les péchés de la race humaine. Il a voulu nous faire comprendre que la douleur a le don inappréciable de racheter les erreurs d’autrui. (…) l’on ne peut savoir quelle âme l’on sauve grâce à chacune des larmes que l’on verse. Cette pensée n’est-elle pas suffisante pour endurer toute souffrance ? Ne nous permet-elle pas de la voir comme un trésor inépuisable dont nous pouvons puiser des deux mains des bénédictions à répandre sur les êtres chers ? »

Non ce n’est pas là une citation tirée des réflexions de Vladimir Ghika sur la souffrance, mais il s’agit d’un extrait du roman autobiographique de Mărgărita Miller-Verghy, Cealaltă lumină[1] (l’Autre Lumière), écrit entre octobre 1942 à février 1943 et paru en 1944. En un temps de grande souffrance pour la Roumanie, temps qui se poursuivra malheureusement encore bien après la fin de la guerre.

Nous ne savons dans quelle mesure ce roman est autobiographique car, si certains éléments du roman ont bien fait partie de la vie de l’auteure, comme par exemple la cécité suite à un accident de voiture, les longs soins prodigués par le professeur Gilbert Sourdille à Nantes, etc. d’autres ne correspondent pas à la réalité, comme par exemple l’âge de l’héroïne, Ariana, bien plus jeune dans le roman que dans la réalité. Un autre point reste obscur : Ariana se convertit au catholicisme, mais l’on n’est pas certain que l’auteure ait jamais franchi le pas. Suite à son accident, Mărgărita Miller-Verghy s’est rapprochée de la théosophie. Il est vrai que, pour les théosophes, le christianisme est soluble dans la théosophie, mais l’on ne peut pas dire que la réciproque soit vraie pour les catholiques… !

Mais peut-être n’a-t-elle pas eu besoin de se convertir, car son père, qui se faisait appeler Gheorghe Miller, s’appelait de fait Milewski et était d’origine polonaise, donc probablement catholique. Verghy étant le nom de sa mère.

Ce qui paraît probable, c’est le fait que Vladimir Ghika et Mărgărita Miller-Verghy devaient parler religion et philosophie lorsqu’ils se rencontraient au chevet du diplomate Ștefan Lupașcu (1872-1946)[2], aux côtés de la fille de ce dernier Marie Ștefana (Lily) Teodoreanu, plus connue sous son nom de plume de Ștefana Velisar, et du mari de celle-ci, lui-même écrivain, Ionel Teodoreanu. Rappelons que Mărgărita Miller-Verghy était docteur en philosophie et, pour ce qui est de la foi catholique, elle a été élevée par les Sœurs de Notre-Dame de Sion.

À un moment donné, une religieuse catholique dit à Ariana souffrant sur son lit d’hôpital :

« Courage, mon enfant ; c’est le Purgatoire que tu vis sur la terre. Personne ne subit deux fois le Purgatoire. Tu peux être sûre qu’après tant de souffrances, tu iras droit au Paradis. [3] »

C’est sans doute à cela que Mărgărita Miller-Verghy songeait lorsque, seule et misérable, elle finit sa vie très modestement à l’asile „Métropolite Ghenadie”, à Bucarest, en 1953.

 

[1] Editura O. Bianchi, București. Citation de la page 116. Notons au passage que c’est Mărgărita Miller-Verghy qui a traduit les mémoires de la Reine Marie de Roumanie, Histoire de ma vie, de l’anglais en roumain.

[2] À ne pas confondre avec son neveu homonyme, le philosophe Stéphane Lupasco (Ștefan Lupașcu ; 1900-1988). Ce dernier a d’ailleurs épousé un membre de la famille Ghika : Georgette Ghika  (1880-1932), dont le nom est évoqué très brièvement dans le roman à côté de celui de son mari.

[3] Cealaltă lumină, page 145.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 3 / 2022, p. 27.