Louis Massignon (1883-1962)

Le 11 décembre 1917, T.E. Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie, entre dans Jérusalem avec les troupes arabes et anglaises du général Allenby. Juste à ses côtés se trouve un officier français, Louis Massignon. Il y représente la France.

Alors que rien ne l’y prédispose, Louis Massignon se prend très jeune de passion pour les pays musulmans. Ayant appris l’arabe, il fait sa thèse sur al Halladj, poète soufi crucifié en 922 pour avoir affirmé : « Je suis la vérité ! »

Mille ans plus tard, Vladimir Ghika écrit à Louis Massignon : « Al Hallaj (…) se dégage comme une figure bien attachante : il semble qu’il y ait bien en cette âme quelque chose de providentiel, dévoué à un rôle où se mêlent l’avenir et le passé, dans une mission de rapprochement, d’intercession et d’exaltation, vraiment émulatrice, du Bien Suprême. Si l’Islam peut venir à l’Église, c’est certainement conduit et secoué par des êtres de cette trempe, façonnés à la figure du Crucifix, et capables de lui faire comprendre les Saints, les amis de Dieu selon notre foi. »

Cette venue au Christianisme par l’Islam, c’est un peu ce qu’a connu Louis Massignon, éduqué dans l’athéisme par son père. Incarcéré par les Turcs, il connaît l’illumination un beau jour de 1908 où il doit être exécuté. Dès lors la foi ne le quittera plus.

Et c’est ainsi qu’il partage avec Vladimir Ghika cette aspiration à convertir le monde, et pas seulement le monde musulman, car tous deux prient, entre autres, pour le Japon. Louis Massignon témoigne : « depuis le 16.7.1920, où furent canonisés les jeunes pages du roi d’Ouganda, martyrs de la chasteté virile, nous avons prié, [Mgr Ghika] et moi, fidèlement, à chaque Angélus du soir, pour les rescapés de la Mer Morte[1]. »

Peu avant son ordination, Vladimir Ghika lui écrit : « Je prie pour vous dans vos peines. À leur sujet, n’exagérez pas le mépris et le dégoût de vous-même dont vous me parlez. Ce n’est pas toujours un si salutaire exercice ; il risque de devenir une gymnastique de tristesse qui n’est pas du goût de Dieu, et il peut être contagieux ; on peut assez facilement être mécontent des autres, et de leurs imperfections, quand on est trop jalousement mécontent de soi-même et de ses misères. » Car Massignon est obsédé par ses péchés, notamment ceux du passé…

Mais les deux amis, s’ils s’apprécient, n’ont que rarement l’occasion de se voir, chacun parcourant le monde à sa façon, suivant ses propres buts. Lorsque Vladimir Ghika rentre du Congrès Eucharistique International de Sydney en 1928, il donne rendez-vous à Louis Massignon en Terre-Sainte, à Jérusalem, mais ce dernier n’est pas au rendez-vous et c’est à Beyrouth qu’ils se rencontrent très brièvement car le savant islamologue est pris par ses attributions officielles.

Un jour qu’ils se sont vus à Paris, en 1924, Louis Massignon écrit à Vladimir Ghika : « Votre mot sacerdotal me donne, après votre visite paternelle, le réconfort du prêtre ; laïque, j’en ai besoin, – ne pouvant trouver qu’en vous la source visible du Sacrement et des sacramentaux, dans l’Église. Puissé-je n’en être jamais privé, de cette source divine d’eau pure, que toutes les larmes des souffrances et des désirs humains ne sauraient remplacer. J’ai besoin de l’assistance sacramentelle de l’Église. Je ne connais ici-bas rien d’autre qui soit assuré. » C’est probablement pour ne pas manquer de ce soutien que Louis Massignon, comme Vladimir Ghika avant lui, se fait lui-même prêtre sur le tard. Il est ainsi ordonné dans l’Église catholique melkite le 28 janvier 1950 au Caire. Il a alors 67 ans.

[1] C’est-à-dire… les homosexuels.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 1 / 2022, p. 27.