Nous avions dit que nous présenterions des personnalités plus ou moins connues qui avaient, un jour, croisé la route de Vladimir Ghika et que, si ces personnes étaient célèbres, nous essaierions de les présenter sous un jour quelque peu insolite. Ce sera le cas de notre personnage d’aujourd’hui : Louis Guilloux (1899-1980).

Si le nom de ce romancier reste encore assez bien connu du public français, il l’est beaucoup moins, ce me semble, du public roumain. D’ailleurs, si la page française de Wikipedia le concernant est assez généreuse, celle en roumain est… inexistante. Un tort que j’engage tout amateur roumain de littérature à réparer au plus vite. Car Louis Guilloux est un grand écrivain et son chef d’œuvre, le Sang noir (1935) mérite d’être lu et a d’ailleurs été publié en roumain en 1971 (traduit par Mihai Murgu), dans la collection « Romanul Secolului XX » aux éditions Univers, et réédité en 2006 aux éditions RAO.

Mais quand Louis Guilloux rencontre Vladimir Ghika, il n’est pas encore célèbre. Nous sommes en 1927. Il vient juste de publier un petit livre, son premier, la Maison du peuple[1], dont il fait d’ailleurs cadeau un exemplaire au prêtre roumain auquel il va rendre visite à Villejuif, conduit par Stanislas Fumet. Ce dernier présente ainsi son ami dans une lettre à Vladimir Ghika du 27 août 1927 : « une âme ardente et généreuse, profondément chrétienne. Bolchéviste ou socialiste lorsque je l’ai connu, il y a 3 ans. Depuis se rapproche de Dieu. Surtout depuis qu’il a lu l’Évangile, c’est-à-dire depuis l’année dernière. » Louis Guilloux est Breton, un peuple pauvre et très profondément chrétien, qui n’a souvent pour choix, pour sortir de la misère, que d’entrer dans l’Église. Je me souviens d’un religieux breton qui disait un jour à la radio que s’il était entré en religion c’était pour de mauvaises raisons, mais qu’il y était resté pour de bonnes raisons… Mais la Bretagne du Nord d’où vient Louis Guilloux est aussi une terre à forte emprise socialiste et notre romancier semble bien tiraillé entre christianisme et socialisme.

Voir un prêtre se dédier aux pauvres, vivre parmi les pauvres, comme Vladimir Ghika le fait à Villejuif, l’impressionne fortement. Au fond, son aspiration à plus de justice sociale et sa foi chrétienne peuvent s’harmoniser et non s’opposer. Stanislas Fumet écrit, dans la même lettre : « Enfin, vous lui avez porté le dernier coup. Il m’écrivait l’autre jour qu’après vous avoir vu, il lui semblait qu’il aurait passé volontiers sa vie avec vous, il eût désiré vous écrire, mais ne trouvait plus rien à vous dire ; il ajoutait que désormais il ne pourrait plus rien faire sans vous consulter. Il est marié, habite Saint-Brieuc et ne tardera pas à pratiquer. » La femme de Louis Guilloux, Renée Tricoire, est professeur de français et fervente chrétienne.

Mais, pourtant, il n’y aura pas, semble-t-il, d’autre rencontre. L’éloignement, Louis Guilloux vivant en Bretagne et Vladimir Ghika à Paris, quand il n’est pas en Roumanie ou à l’autre bout du monde, a sans doute rendu impossible une nouvelle rencontre. Et voilà que Louis Guilloux s’éloigne de l’Église et de la foi.

Il accompagnera même André Gide dans son voyage en URSS en 1936 et en reviendra tout aussi déçu que lui, ou encore que Panait Istrati, même s’il n’en écrivit rien pour ne pas mettre en danger les contacts qu’il avait pu y avoir là-bas.

Le département breton des Côtes-d’Armor a créé, en 1983, le prix Louis Guilloux, décerné chaque année à une œuvre littéraire ayant une « dimension humaine d’une pensée généreuse, refusant tout manichéisme, tout sacrifice de l’individu au profit d’abstractions idéologiques ». Un bel hommage.

[1] Rien à voir bien évidemment avec la Maison du Peuple construite par Nicolae Ceauşescu à Bucarest !

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 2 / 2019, p. 27.