Les biographes de Vladimir Ghika, Jean Daujat et Yvonne Estienne affirment que le romancier et essayiste Louis Bertrand, a été converti par Vladimir Ghika. Sa page Wikipedia indique effectivement qu’il a été d’abord dreyfusard et s’est ensuite converti au catholicisme, ce qui sous-entendrait que, de gauche, il serait passé à droite, voire à l’extrême droite, écrivant, dans l’entre-deux-guerres, un livre louangeur sur Hitler (1936).

De fait, Vladimir Ghika et Louis Bertrand ont échangé une brève correspondance. Nous possédons effectivement deux lettres de Louis Bertrand adressées à Vladimir Ghika, tandis que la Bibliothèque Nationale de France possède, elle, deux lettres de Vladimir Ghika adressées à l’académicien français. Les agendas de Vladimir Ghika indiquent une dizaine de rencontres entre 1921 et 1939. Tout cela paraît peu, même si l’on peut penser que leur rencontre avérée à Rome pendant la Première Guerre mondiale a probablement marqué Louis Bertrand comme le laisse entendre sa lettre de 1916.

Ce que l’on peut affirmer cependant, c’est que la rencontre avec Vladimir Ghika, à Carthage, en 1930, lors du Congrès Eucharistique International, a probablement encore plus marqué la sœur de Louis Bertrand, Jeanne, car sa correspondance est plus riche et plus consistante que celle de son frère. Dans sa première lettre, rédigée peu après cette rencontre, elle affirme la fragilité de sa foi.

Vladimir Ghika lui répond dans une lettre qui mériterait d’être citée en entier : « J’espère fermement que la grâce continue son œuvre et la continuera sans répit, fut-ce discrètement. Vous êtes redevenue une âme où Dieu peut non seulement passer mais résider. (…) Ne scrutez pas (…) avec une sorte de doute défiant les motifs, incontestablement réels, des gestes qui vous ont rapproché du Dieu vivant. Vous me dites : “j’ai peur d’avoir cherché surtout mon frère [en le suivant dans le catholicisme] et d’avoir obéi à un sentiment humain plus qu’à un élan d’origine divine.” Ce n’est pas dans ces analyses désenchantées que doit se complaire votre esprit. Vous avez eu un sacrement auquel vous avez fait la place voulue avec tout ce qu’il était nécessaire d’avoir dans l’âme de votre côté – un sacrement c’est-à-dire une des plus grandes choses qu’il y ait sous le Ciel et, avec ce sacrement de réconciliation, de résurrection aussi secrète que profonde, la greffe même de la vie divine, avec toute la sève prête à circuler du cep dans les rameaux. Allez avec confiance sans vous déprécier, ni déprécier les dons de Dieu, à tout ce qu’Il vous tend désormais. Ne consultez pas vos attraits du moment, ce n’est pas eux qui font la vérité. Ne contrôlez pas avec une curiosité inquiète trop expérimentale et calculatrice ce que le Seigneur vous fournit ou vous fournirait par son Église. Ce n’est pas la mesure de la réalité des choses d’abord – ensuite Dieu aime ceux qui sont généreux comme Lui et ici ce dont il s’agit c’est de la plus aisée des générosités, celle d’un peu de simplicité et de confiance. Allez, le plus souvent que vous le pourrez, communier. Confessez-vous de temps en temps avec le sens d’une vie commune retrouvée avec Celui qui sera la rédemption. »

S’il reste un doute en mon esprit concernant la conversion de Louis Bertrand, il n’y en a pas vraiment concernant celle de sa sœur Jeanne, car les lettres suivantes de celle-ci sont plus sereines et pleines de confiance en la direction spirituelle de Vladimir Ghika.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 8 / 2024, p. 27.