Vladimir Nabokov (1899-1977) est un célèbre écrivain américain d’origine russe, connu notamment pour son personnage de Lolita (dans le roman éponyme de 1955), nom qui est entré par antonomase dans les dictionnaires, au sens d’une fillette prépubère, provocatrice et désirable.
Vladimir Nabokov a vécu à Paris de janvier 1936 à mai 1940. Mais a-t-il connu Vladimir Ghika à cette époque ? Rien dans les archives, du moins dans l’état actuel de nos recherches, ne nous permet de l’affirmer. Alors pourquoi l’évoquer dans l’une de nos chroniques ? C’est qu’il est le plus connu des membres de la famille aristocratique des Nabokov, type de la famille d’exilés russes dont Vladimir Ghika a dû rencontrer de nombreux exemplaires dans l’entre-deux-guerres, quand il était recteur de l’église des Étrangers de Paris.
L’on sait ainsi que Mgr Ghika a rencontré le cousin de Vladimir, Nicolas, chez les Maritain à Meudon, car, dans une lettre du lundi 21 février 1927, Jacques Maritain écrit : « Nous sommes très heureux que vous veniez pour la Messe du 25. Mais pardonnez-nous de ne pas vous offrir l’hospitalité la veille – malheureusement l’unique chambre dont nous disposons d’ordinaire, sera occupée pendant trois jours par Nicolas Nabokoff, qui n’a plus de logis à Paris, et est en route pour l’Italie (Rome). » le compositeur Nicolas Nabokoff (1903-1978) était donc présent lors de la messe dite par Vladimir Ghika à Meudon le 25 février 1927, jour anniversaire de la mort du père de Raïssa Maritain. En 1933 Nicolas Nabokoff, sept ans avant son cousin Vladimir, émigrera aux États-Unis, mais il tiendra à se faire enterrer dans le cimetière de Kolbsheim, en Alsace, près des Maritain, ses chers hôtes de Meudon.
Mais le membre de la famille Nabokov que Vladimir Ghika a très certainement le mieux connu, c’est Serge (1900-1945), le frère de Vladimir, d’un an son cadet. En effet, tout récemment, je suis tombé, dans les papiers laissés par Mgr Ghika, sur un acte d’abjuration de la foi orthodoxe fait par Serge Nabokov entre les mains du prélat roumain. La cérémonie a eu lieu le 17 mai 1926, à l’oratoire de l’abbaye bénédictine de Sainte-Marie, rue de la Source, à Paris, où Mgr Ghika logeait habituellement. Nous sommes bien certain qu’il s’agit du frère de Vladimir car sont indiqués les noms des père et mère de l’abjurant : Vladimir Nabokoff, ancien ministre dans le gouvernement de Kerenski, et Hélène Roukavichnikoff. Serge a alors 26 ans, il fait partie des jeunes poètes de l’entourage de Jean Cocteau, que nous avons déjà évoqué dernièrement dans cette chronique à propos de Jean Bourgoint. Comme eux, il est homosexuel et, comme eux, à la suite de leur mentor, il s’est pris de passion pour le catholicisme, et Serge Nabokov a sans doute trouvé en la personne de Mgr Ghika comme un grand frère protecteur, ce que son frère aîné Vladimir, homophobe notoire, n’était guère.
Serge n’aura pas la possibilité, lui, de fuir en Amérique. Arrêté en 1941 par les Allemands à cause de son orientation sexuelle, il est relâché 4 mois plus tard. Mais il est de nouveau arrêté en 1943, cette fois pour « déclarations subversives[1] ». Il finira ainsi sa vie à l’infirmerie du camp de concentration de Neuengamme, en Allemagne, le 9 janvier 1945, où son attitude aura été, d’après ses codétenus, irréprochable et même héroïque[2].
[1] Il aurait aidé à cacher un aviateur anglais abattu. Une bonne partie des informations sur Serge Nabokov viennent de l’article de Lev Grossman, « The gay Nabokov », 17 Mai 2000, publié sur le site https://www.salon.com/2000/05/17/nabokov_5/
[2] Les origines russes, la sensibilité artistique, la mort à l’infirmerie d’une prison politique, un frère presque jumeau mais très différent, le prénom de Vladimir, combien de parallèles ne pourrait-on faire entre Vladimir Ghika et Serge Nabokov…
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 8 / 2019, p. 27.