La chambre des saints à Rome, JOLY Edmond – preface de monseigneur Ghika
On pourrait croire qu’il y a sous ce titre une sorte d’intention poétique, une mystérieuse image, bien mise en saille pour piquer la curiosité du passant. Il n’en est rien. Si le titre est beau, s’il ,,chante” à souhait, il est aussi très-simple et très-loyal. Ce n’est pas un de ces titres voyants, tout en littérature, qui valent ou souvent dépassent le livre par eux dénoncé, et qui appellent, à l’acquérir, d’indiscrète mais agréable façon, le lecteur. Il s’agit de la Chambre des Saints, au sens propre, direct et concret de ces mots – et de la Chambre des Saints à Rome. Il s’agit de ces chambres même où vécurent les Saints et où l’on trouve, en toute son humble et poignante réalité, le saisissant contraste de ce que, depuis le Dieu fait homme, les plus lointains reflets des êtres associés par Lui à Sa vie peuvent apporter en ce monde de présences agissantes et sacrées.
La Chambre des Saints nous fournit, d’un coup, la transition tragiquement misérable et par là d’autant plus significative qui s’est établie entre le surnaturel le plus relevé, le plus net, et les plus proches et les plus intimes détails de la vie domestique, dépouillés même de ce qui, en cette vie, par le mouvement laborieux des jours, pouvait les ennoblir.
La Chambre des Saints a ainsi plusieurs caractères : celui d’une antichambre du Ciel et sans que rien ne vienne y démentir ni l’antichambre ni le Ciel, d’une antichambre de piètre apparence, faite pour l’attente morfondue ou le travail ingrat. Les antichambres n’ont rien de commun, on le sait, comme décor avec les appartements de réception, mais elles seules peuvent conduire jusqu’à eux, et l’on y traîne parfois des heures de bien lourde attente. Une porte seulement nous y sépare du reste du logis, mais elle cache tout. Une clef et un tour de clef suffisent pour ouvrir cette porte, mais on ne soupçonne rien de la splendeur qui, si elle peut commencer dès l’autre côté du battant, exige pour s’avérer à l’œil, la clef et le geste. La Chambre des Saints est de ces antichambres, elle en conserve l’aspect particulier, accru encore par tout le désarroi de sa désaffectation.
La Chambre des Saints acquiert aussi, avec la vénération de la postérité, un caractère paradoxal d’arrière-boutique de la Terre, où l’on se montre soucieux de tout ramasser, de tout garder, jusqu’au plus pitoyable brin de souvenir vécu, jusqu’à ce qui semblerait le plus fait pour être jeté dehors.
Et les deux aspects doivent être accusés, soulignés. De l’exaspération de leur discordance naît l’enseignement utile, se précise toujours mieux le sens de la grâce, miracle quotidien fleurissant au cœur de nos plus ridicules conditions d’existence.
On l’a bien souvent gâtée par l’ornement posthume et la richesse d’un décor plaqué, cette pauvre chambre des Saints, mais comme l’auteur le montre si bien, il reste presque toujours une trace de son humanité authentique et vulgaire. Et le raccord mal fait des deux éléments rend parfois plus apparente la leçon. Car ce qui demeure de plus précis et de plus précieux, à côté des pompeuses surcharges de tous les temps, ce ne sont pas même les restes les plus nobles d’une vie qui fut pénétrée, dans l’être et dans le faire, de l’action divine, ce sont, à une étrange place, des détritus et des déchets. Ce ne sont pas les tristes restes de ce cadavre qui n’était plus un corps, ni les miettes de ce cadavre, ni la poussière de ce qui fut cadavre – ceci a droit à l’église et va jusque sur les autels – c’est encore d’au-dessous et de plus loin que se reprennent les choses pour nous montrer la force et la trace de Dieu dans le plus fade des néants. Les objets qui ont servi et touché, linge, vieux habits, savates éculées, choses indignes, dédaignées, et soudain rehaussées, revêtues de vertus comme d’honneur. L’intervalle, je le répète, se prononce au-dessous, pour mieux montrer le saut fait au-dessus. Et c’est comme une poubelle sacrée où l’humanité chiffonnière vient pieusement faire une rafle de grâces, plus probantes peut être là que partout ailleurs. La poubelle… et au lieu d’être sur le trottoir, elle est, à juste titre, à la place d’honneur, sur la table, l’étagère, la cheminée de la pièce, au reliquaire.
Là aussi, transcendance et familiarité, comme dans toute l’économie de notre salut, et familiarité navrante de pauvres choses périmées… De stercore erigens pauperum.
Celui qui signe la préface du présent livre le fait, entre autres motifs, pour remercier celui qui a écrit le livre, de l’avoir écrit et de rendre ainsi dans ces pages, plus palpable encore, cette doctrine qui lui est si chère, de la transcendance et de la familiarité se compénétrant l’une l’autre de si près, dans notre foi. Mais il y a une autre raison ; il a tenu à présenter aux lecteurs les pages si profondes et si émouvantes qu’on va lire parce qu’il est, à un degré marqué, le ,,fils” de la Chambre des Saints à Rome : que dans l’histoire de son âme et de sa destinée, ces chambres ont joué un rôle définitif : qu’il a été de la chambre de St Philippe de Néri – avant de se jeter aux pieds du prêtre inconnu qui devait le recevoir dans l’Église – à la chambre de Saint Dominique en laquelle il est devenu pour jamais l’enfant de cette Église. Et comme il sied aux mouvements voulus de Dieu – sans avoir cherché ces contacts, sans en avoir peut-être même à la première heure, assez compris toute la portée et l’efficacité ; mais maintenant de jour en jour plus conscient de ce qui s’est opéré et de ce qu’il a compris, en de tels endroits, du bienheureux mélange qui forme le fond de toute vie chrétienne saisie dans le sillage des deux natures du Christ – mélange encore plus violemment accusé après la mort des saints que durant leur vie, où il est déjà si impérieusement requis et si paradoxalement saisissant.
Si l’auteur qui a compris, aimé, décrit la Chambre des Saints a droit à la reconnaissance de ceux qui, à quelque degré que ce soit, en sont issus, son livre, qui dans l’ordre spéculatif, pour la joie de l’esprit, unit en ces matières la profondeur des aperçus au charme de l’expression, la remarque ingénieuse à la juste vue d’ensemble, la notation toute en nuance subtile à l’emploi de la couleur tranchée, son livre, dis-je, a, en outre, une utilité immédiate, pratique, d’un intérêt actuel.
C’est un livre qui sans être délibérément et principalement destiné à cette fin, est fait pour être un livre de pèlerin, je dirai même de touriste, et bientôt de touriste voué à être pèlerin malgré lui, sur les traces de qui l’écrivit et le vécut. Nous avons pu voir, par expérience générale aussi bien que personnelle, le rôle virtuellement assigné, par leur nature même, à ce genre d’ouvrages.
Quel ,,Guide-Bleu” vaut pour visiter Assise ou la Conque de Rieti, les ,,pèlerinages franciscains” de Joergensen ? Quelle ,,Agence Cook” promène, en ces lieux saints d’Italie, avec autant d’intelligence, de tact, de sens surnaturel ? La lacune existait davantage pour Rome. Elle se comble ici, sur un point déterminé et l’un des plus attachants. Celui qui la comble évoque plutôt Ruskin que Joergensen, seulement. Mais un Ruskin qui serait plus attentif que méticuleux, plus dévot qu’esthète, et plus sainement, plus profondément catholique encore que dés[iré].
On trouvera dans ce petit livre, pour l’âme comme pour l’itinéraire des pas, pour l’heureuse orientation des regards ce qu’il faut pour mener en groupes nombreux et attendris les fidèles et les curieux dans ces maisons à la fois si vides et si hantées, si pauvrement garnies de débris sans nom et si riches de véritable vie.
Il semble assuré par là d’une utilisation excellente et soutenue, et d’une diffusion en rapport avec le précieux service qu’il peut rendre.
Habent sua fata libelli…
Il est à souhaiter que la destinée de ce livre soit de mener beaucoup de gens au seuil de la Chambre des Saints, et peut-être, une fois là, avec la complicité des Saints, qui savent s’y prendre, au-delà, très au-delà…