Lorsque Joseph Desclausais rencontre Vladimir Ghika pour la première fois fin 1933, il est en proie à un profond désespoir de vivre malgré sa foi en Dieu. Il vit, écrit-il, dans « l’horrible désespoir d’un être que tout trahi et qui combat à chaque mouvement de sa respiration la tentation de se tuer. »
Ce sont Paul Claudel et Jacques Maritain qui l’ont dirigé vers le prêtre roumain. Malgré son intelligence certaine et de solides études, notamment en philosophie, il se sent perdu, désorienté. Est-ce le syndrome de l’adolescent qui se pose des questions sur son origine ? Car sa mère, Marie-Antoinette Giacinti, couturière à Paris, l’a d’abord déclaré de père inconnu, et ce n’est qu’un an plus tard qu’un soldat du nom d’Anatole Desclausais le reconnaît comme son fils, avant d’épouser sa mère quelques mois plus tard. Mais à qui veut bien l’entendre, Joseph Desclausais, lui, se dit descendant des Habsbourg…
Ses entretiens avec Vladimir Ghika lui sont d’abord salutaires. Il lui écrit souvent de longues lettres très chrétiennes et très louangeuses. Il lui dit ainsi à Noël 1933 : « Recevez les mains et le baiser de ce fils nouveau-né que vous avez engendré au Christ Jésus. J’ai prié pour vous Jésus-Christ enfin retrouvé et, en Lui, d’un seul coup, le Père et l’Esprit ! Je demeure ébloui de la vigueur, de l’audace et de la ténacité de la grâce. Après tant d’événements, Dieu soudain et un Dieu au-delà de toute conception et espérance de Philosophe. Voici maintenant que je connais l’inimaginable plénitude de la Foi catholique et que je suis le fils d’un Père terriblement vivant. Je n’en finis point de passer des larmes à la joie, du silence à la prière et partant, immuablement, la même mystérieuse épaisseur de la présence divine. »
Mais, assez rapidement, il se pose des questions sur sa foi et il finit même par remettre en cause son père spirituel, Vladimir Ghika, aussi bien que son maître en matière de philosophie, Jacques Maritain. C’est ainsi qu’il publie, en 1936, un pamphlet contre ce dernier, Primauté de l’être, qui est une piètre réponse à Primauté du spirituel, que Jacques Maritain vient de publier pour soutenir l’interdiction par le Vatican de l’Action Française, journal et courant politique royaliste qui se veut catholique, mais qui emploie des méthodes qui ne le sont pas. Par là, ce fils avéré de roturière et supposé d’aristocrate veut-il se faire plus royaliste que le roi[1] ?
C’est sans doute cela et d’autres choses encore qui marquent la rupture entre Joseph Desclausais et l’Église et, partant, avec Vladimir Ghika. Dans sa dernière lettre, le jeune homme écrit : « Puisse notre différence ne pas devenir opposition et inimitié. » Nous ne savons pas comment a réagi Vladimir Ghika, mais il semble bien qu’il lui ait suggéré de suivre un « traitement », sous-entendu psychologique, voire psychiatrique.
Car, en effet, le jeune homme ne semble pas très stable. Mais, lors de son procès, en 1950, un médecin expert le déclare parfaitement sain d’esprit, même si, en pleine audience, il dit de sa mère : « Cette femme est une folle ! Elle se prend pour ma mère. Mais elle n’était que sa cuisinière !… »
Mais pourquoi un procès en 1950, qui le verra être condamné à 4 ans de prison ? Pour collaboration avec l’Allemagne car, sans guide spirituel, il s’est complètement fourvoyé pendant la guerre, se mettant au service du régime de Vichy en devenant représentant du gouvernement français auprès… du Vatican et en fournissant des informations aux Allemands. Son avocat, sans doute bien placé pour l’affirmer, dira que les informations livrées par lui à la Gestapo n’étaient que les affabulations d’un mythomane. Mais les affabulations ne sont pas sans danger.
[1] Joseph Desclausais semble avoir été un temps secrétaire du Comte de Paris, prétendant à la couronne de France.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 2 / 2023, p. 27.