Début mars 1935, le commissaire Albert Priolet[1] fait une descente de police dans les milieux satanistes parisiens. Parmi les personnes arrêtées figure un séminariste défroqué, qui proposait, pour de l’argent, d’organiser des messes noires. Aussitôt relâché, le jeune homme court chercher du soutien auprès du prêtre catholique, qui, depuis des années, essaie de l’aider à sortir la tête du marécage dans lequel il s’est lui-même enfoncé. Mais Vladimir Ghika est absent, alors il lui écrit et c’est ainsi que l’on sait toute l’histoire. Bien entendu, Ernest Gengenbach, car c’est de lui qu’il s’agit, ne s’avoue coupable de rien, s’il a fait ce qu’il a fait, c’est que les charitables catholiques ne lui ont pas donné l’argent qu’il réclamait, c’est pour cela qu’il en est arrivé à ces extrémités. Ce sont, de fait, eux les responsables. Comme dit sa mère dans une lettre à Vladimir Ghika : « hélas ! Il ne sait faire mea culpa que sur la poitrine d’autrui… »

N’est-elle pas, elle, d’ailleurs, la principale responsable de ce fiasco ? Elle qui, dès avant la naissance de son premier enfant (elle en aura 5), l’a voué à l’Église, à la fonction sacerdotale. Pupille de la nation, son père, officier de métier, étant mort pendant la guerre, le jeune Ernest a toutes les qualités pour devenir quelqu’un dans l’Église : il est intelligent, cultivé, pieux, ambitieux. Il entre alors au séminaire. Y subit-il des agressions sexuelles ? C’est possible, car si aujourd’hui l’on parle beaucoup de ces choses, autrefois on les cachait, ce qui ne veut pas dire qu’elles n’existaient pas. En tous cas, c’est un moine dominicain qui l’emmène un jour au théâtre et qu’il y tombe follement amoureux d’une théâtreuse. C’est là que les ennuis commencent, quand il est renvoyé du prestigieux lycée jésuite Stanislas. Mais ce n’est pas sa faute, c’est celle du moine, des Dominicains, de l’Église, du Pape même ! Il réclame, se plaint, crie, pleure, menace, on ne l’écoute pas.

Vladimir Ghika l’aide alors à retrouver un certain équilibre en le faisant accueillir dans le prieuré où il loge, à Paris. Mais les tentations de la Ville Lumière sont trop fortes pour ce jeune homme en révolte. Il désespère, menace de se suicider et fait finalement appel aux surréalistes. André Breton vient à son secours à la réception d’une lettre évoquant une prétendue tentation de suicide dans le lac de Gérardmer[2]. S’ensuivent 10 ans de vie dissolue pendant lesquelles le jeune Gengenbach aime, entre autres, blasphémer, habillé en soutane. Mais la dictature d’André Breton, pape du surréalisme, lui pèse. Gengenbach reproche aussi aux surréalistes d’oublier le côté spirituel des choses, et il revient bientôt à l’Église, entre les mains de Vladimir Ghika qui le délie de son excommunication.

Tout serait donc rentré dans l’ordre… si Gengenbach n’était pas Gengenbach. Car les plaintes, les menaces, les chantages reprennent. Ses victimes préférées sont Jacques Maritain, Louis Massignon et, bien évidemment, Vladimir Ghika. Il ne faut pas croire que celui-ci soit dupe, il comprend vite que le seul but du jeune homme c’est d’obtenir de l’argent, sans travailler, bien entendu, lui qui « depuis tant d’années ne vit qu’avec l’argent des autres », comme dit sa mère. C’est elle, en fait, la principale victime de ses agissements. C’est elle qui le recueille après chaque incartade. C’est elle qui se saigne pour subvenir à ses besoins au détriment de ses autres enfants. Elle se sent coupable de tout ce gâchis et son fils n’hésite jamais à le lui rappeler… Mais que ne ferait une mère aimante pour son fils ?

Ernest Gengenbach disparaît de la vie de Vladimir Ghika en 1936. Il trouvera de nouveaux pigeons à plumer, dont des prélats. Il continuera à vivre aussi au crochet des femmes, jusqu’en 1979, laissant derrière lui une œuvre aussi sulfureuse que l’a été sa vie[3].

[1] Il a participé, en 1917, à l’arrestation de la célèbre espionne allemande Mata-Hari. Il sera arrêté par les Allemands pour fait de résistance en 1942 et mourra en déportation.

[2] Avant sa naissance, son oncle, lui aussi séminariste, s’y est noyé en tentant de sauver un enfant. Il se prénommait Ernest…

[3] Citons : Satan à Paris (1927), Messes noires (sous le pseudonyme de Jehan Sylvius, 1929), Judas ou le vampire surréaliste (1949), L’Expérience démoniaque  (1949). Pour plus d’informations sur sa vie, voir Christophe Stener, La vie et l’œuvre d’Ernest (de) Gengenbach, 4 tomes, BoD, 2022. Je remercie cet auteur pour les informations qu’il a pu me fournir.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 11 / 2023, p. 27.