Ceux qui le connaissent pourraient s’étonner de trouver dans cette chronique le nom d’Emil Iuga, aux côtés de celui du bienheureux Ioan Bălan par exemple ou d’autres personnes mortes en odeur de sainteté, mais n’ai-je pas dit dès le début de cette chronique que je désirais présenter des grands et des petits, des hommes et des femmes, des Roumains et des étrangers, mais l’on pourrait ajouter aussi des bons et des méchants, si tant est que l’on puisse affubler un être humain d’un tel épithète absolu. Si l’on devait présenter les proches de Jésus, pourrait-on faire l’impasse sur Judas ? D’ailleurs une seule lettre sépare en roumain les noms de Iuga et de Iuda !

Oui, Emil Iuga, lors de la liquidation de l’Église gréco-catholique par le régime communiste, en 1948, a préféré prendre le parti du persécuteur que de subir lui-même la persécution. À sa décharge l’on peut dire qu’il s’est montré tout aussi chancelant dans le rôle du traître que dans celui du bon pasteur. Dans ses Mémoires, Iuliu Hossu dit qu’il souffrait de « moral insanity, cum spune englezul ».

Pourtant, il avait reçu beaucoup de son Église. Grâce à Vladimir Ghika, et avec de nombreux autres étudiants roumains, tant orthodoxes que catholiques, il avait pu étudier la théologie à l’Université de Strasbourg. Il était même devenu président de l’association des étudiants roumains de cette université. En 1928, il avait organisé une grande cérémonie franco-roumaine couronnée par une liturgie solennelle célébrée par Vladimir Ghika à la cathédrale de Strasbourg. Il avait été nommé, à la fin de ses études, recteur de l’église roumaine-unie de Rome, l’église San Salvatore delle Coppelle. Et il avait finalement été nommé chanoine du chapitre de Cluj-Gherla.

Il était ambitieux, et c’est sans doute ce qui l’a perdu. On le sent dans ses lettres, dans le zèle qu’il met à organiser cette grande fête de Strasbourg, ou plus tard, à Rome, dans les efforts qu’il déploie pour faire connaître la cérémonie en l’honneur des 200 ans de l’intronisation comme évêque d’Innocent Micu-Klein. Est-ce pour la gloire de son Église ou pour la sienne propre qu’il agit avec tant de zèle ? Une phrase concluant sa lettre à Vladimir Ghika du 20 juin 1929, nous met la puce à l’oreille, surtout lorsque l’on connaît la suite : « les articles signés dans les journaux d’un bon nombre de membres de la colonie [à propos des cérémonies qu’il organise à Rome] m’assurent toujours plus que je suis bien vu de la colonie roumaine du lieu ».

Probablement pensa-t-il que l’absorption de l’Église Gréco-Catholique par l’Église Orthodoxe lui permettrait d’assouvir son ambition. Il semble que le titre de chanoine ne lui suffisait pas, ni même celui d’évêque, car pour prix de sa trahison, il demanda, dès l’été 1948, dans des pourparlers secrets, à devenir Métropolite orthodoxe de Transylvanie. Ce qu’il n’obtint pas. Et lorsque le Patriarche orthodoxe lui proposa plus tard le siège d’évêque de Cluj, en 1957, il accepta à la condition que celui-ci soit élevé au rang de métropolie[1] ! Finalement il n’obtint rien… ou presque rien, juste une petite paroisse orthodoxe à 30 deniers de revenu…

[1] Ovidiu Bozgan, Unificarea bisericii, Universitatea București, 2002.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 12 / 2024, p. 27.