Dimitri Messing ou le Job moderne
Quand l’on est jeune officier de marine et que l’on joue du piano pour la famille impériale russe sur le yacht Standart, l’on ne se pose sans doute pas beaucoup de questions sur son avenir… mais la Providence en veut autrement et voilà que la guerre éclate, puis vient la Révolution. En 1921, Dimitri Messing[1] se retrouve en Italie. Devenu veuf, il se pose des questions sur la vie. Le 7 mars 1923, à Rome, à 36 ans, il se convertit au catholicisme et veut devenir prêtre.
Après quelques péripéties, il entre au Séminaire gréco-catholique Saint-Basile de Lille, où il passe trois années, mais il apprend alors qu’il ne pourra devenir Dominicain comme il le désire.
C’est alors qu’il prend contact avec Vladimir Ghika, car ce dernier lui propose de l’accueillir à Auberive, le monastère qu’il vient de racheter à l’État français pour en faire le centre stratégique de ses œuvres missionnaires. C’est ainsi que le 12 novembre 1926 Dimitri Messing débarque avec livres, partitions et autres bagages à Auberive. Il s’y sent à l’aise, peut poursuivre ses études de théologie et, en parallèle, s’exercer au piano et à la musique chorale religieuse.
Mais, nouvelle catastrophe, Vladimir Ghika est bientôt forcé par l’évêque de Langres, de fermer la branche masculine d’Auberive.
Cependant une nouvelle opportunité se présente : un projet de monastère gréco-catholique à Nice. Dimitri et ses compagnons russes s’y rendent… pour apprendre sur place que le projet est remis car Mgr André Szeptycki, métropolite gréco-catholique d’ukrainienne, qui devait financer le projet, doit faire face à des frais exceptionnels suite à des inondations catastrophiques survenues en Galicie.
Que faire ? Terminer dans la rue comme nombre de ses compatriotes ? « Des centaines de Russes sans travail rôdent dans les rues [de Nice], exténués, vêtements en loques, l’air perdu »[2]. Alors Dimitri reprend son activité de pianiste. Il donne des concerts, des cours… mais c’est à peine suffisant pour vivre, car la location du piano coûte cher, les déplacements aussi, et puis les concerts sont souvent de bienfaisance et ne rapportent pas grand-chose. Dimitri Messing doit encore faire souvent appel à la générosité de Vladimir Ghika, qui répond toujours généreusement à ses cris de détresse, voyant sans doute, en cet exilé russe, son alter ego. Il finit par trouver un équilibre, en jouant dans les restaurants et les casinos une musique qu’il n’aime pas, mais le fait vivre. Il joue même sur des paquebots qui l’emmènent loin, jusqu’au Japon, où il rencontre les amis de Vladimir Ghika : le Père Totsuka et Violet Sussman.
Mais le sort s’acharne de nouveau sur lui. Suite à la crise économique de 1929, Dimitri Messing perd son travail de pianiste, mais c’est aussi le cas de sa nouvelle femme, une Russe, veuve d’un camarade officier et mère d’une adolescente qu’il a pris sous sa frêle protection.
Dans la dernière lettre écrite par Dimitri Messing à Vladimir Ghika que l’on ait, lettre datant du 25 novembre 1936, il dit qu’il se trouve en Italie où il gagne laborieusement sa vie comme pianiste, mais n’a pas les moyens de faire venir sa femme, restée à Nice. Sa belle-fille, Svetlana, se marie à Nice, le 26 mai 1936, avec un jeune Français… qui sera tué lors de l’offensive allemande de mai 1940… Décidément les malheurs s’enchaînent. Notre pianiste russe, lui, meurt le 24 mai 1944, en pleine offensive alliée, et est enterré dans le cimetière protestant de Rome.
Dimitri Messing serait-il la figure moderne de Job ?
[1] Ou de Messing.
[2] Lettre à Vladimir Ghika du 29.11.1927.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 2 / 2022, p. 27.