Dans sa première lettre à Vladimir Ghika, du 11 février 1924, Christiane von Hofmannsthal, qui a alors 22 ans et se trouve avec son oncle Hans à Paris, émet le désir de faire la connaissance du prêtre roumain. Probablement Hans a-t-il connu Vladimir Ghika avant guerre, quand Démètre, le frère de Vladimir, était en poste à l’ambassade de Roumanie à Vienne.

Dans une lettre non datée, c’est son père que Christiane voudrait faire rencontrer à Vladimir Ghika. Cette rencontre a-t-elle eu lieu ? L’on ne sait. Si c’était le cas, c’est lui qui ferait l’objet de cette chronique, car le père de Christiane n’est autre que le célèbre écrivain autrichien Hugo von Hofmannsthal (1874-1929), qui est l’un des plus importants représentants du « modernisme viennois », aux côtés de ses pairs Robert Musil, Karl Kraus et autres[1].

La dernière lettre que nous possédions de Christiane date du 3 juillet 1925, elle est alors rentrée à Vienne, ou plutôt au château familial de Rodaun, dans la banlieue de la capitale autrichienne. Son mariage, en 1928, avec l’indianiste Heinrich Zimmer (1890-1943), professeur à Heidelberg, ainsi que la naissance de ses enfants, explique sans doute ce silence. Les malheurs qui s’enchaînent par la suite aussi.

Le drame, pour Christiane survient quand son frère Franz se suicide en 1929 à 26 ans et que son père meurt le jour de l’enterrement, victime d’un AVC. La même année elle accouche de son premier né, Christoph, qu’elle perd malheureusement deux ans plus tard, de maladie.

Les choses ne s’arrangent pas avec la venue d’Adolf Hitler au pouvoir en 1933, car les Hofmannsthal ont des origines juives. En 1938, son mari doit démissionner de son poste et survient, la même année, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne (le fameux Anschluss). La famille doit émigrer. Les nazis confisquent tous ses biens. Elle se réfugie bientôt en Angleterre.

En 1940, Christiane, son mari et ses 3 garçons survivants, Clemens, Andreas et Michael, émigrent aux États-Unis où Heinrich Zimmer trouve un poste de lecteur universitaire invité. Elle reprend ses études et devient elle-même professeure adjointe de sociologie à l’Université catholique Fordham de New York. Les malheurs continuent cependant lorsque Heinrich Zimmer meurt d’une pneumonie le 20 mars 1943. Après cette mort prématurée, leur maison de Greenwich Village à New York devient un lieu de rencontre pour les artistes et les intellectuels de tous horizons[2]. Elle meurt à New York en 1987, mais elle a tenu à être enterrée dans la tombe familiale des Hofmannsthal à Vienne-Rodaun aux côtés de son père.

C’est de là qu’elle avait écrit en 1925 à Vladimir Ghika : « Mon Père, Autrefois, dans la Visite des pauvres, j’ai trouvé une phrase de quelques mots : Une chose qu’on fait simplement est une chose simple à faire[3], qui a été un vrai bienfait pour moi et qui m’a aidé dans mille situations pénibles ou difficiles dans les années de guerre et après. Je suis convaincue que je trouverai de nouveau dans votre nouveau livre [les Pensées pour la suite des jours] de ces phrases précieuses qui donnent la lumière et réveillent nos vraies forces. Je vous remercie d’avoir pensé à moi… »

[1] Hugo von Hofmannsthal était notamment un grand ami de Leopold Andrian à qui nous avons consacré une chronique précédemment.

[2] Citons par exemple Hannah Arendt, Hans Magnus Enzensberger ou encore Max Frisch.

[3] La phrase exacte est : «Ce qu’on fait simplement est simple à faire.»

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 12 / 2023, p. 27.