Dans cet ordre, ce sont-là les qualités que se reconnaît Vladimir Ghika à la veille d’être officiellement reçu dans l’Église Catholique à Rome, le 15 avril 1902. Dans l’autobiographie[1] qu’il rédige probablement la même année[2], Vladimir Ghika relate l’histoire tourmentée de sa conversion, se référant à son état d’esprit d’alors, et fait des plans relatifs à son futur au sein de l’Église Catholique. Quelques idées, extraites de cette autobiographie, dévoilent son identité :
– Il lui a manqué, et cela dès son enfance, une instruction religieuse formelle, qu’elle fût orthodoxe, catholique ou protestante. C’est pourquoi il voyait dans la religion catholique trop de choses qui devaient être acceptées, trop de précisions et de vérités absolues.
– Pendant ses études à Toulouse (1884-1893) il allait le dimanche au culte protestant, ce qui ne l’a pas fait renoncer à l’entremise de la Vierge Marie et n’a pas altéré son goût pour le surnaturel. Par contre, cela l’a éloigné pour longtemps du culte des saints. Vivant cependant parmi les catholiques, il s’est senti attiré vers eux justement parce qu’ils étaient persécutés dans leur propre pays par le régime laïc républicain, il a admiré leurs vertus et leurs saints. Les auteurs catholiques, surtout Pascal, mais aussi Bossuet, auteur préféré de sa mère, l’ont influencé dans son comportement et son choix de vie.
– Étant adolescent, sous l’influence de ses nombreuses lectures catholiques, Vladimir Ghika entrevoit quelques traits essentiels caractérisant un catholique[3], développant alors une passion intérieure pour le catholicisme et le légitimisme.
– En 1895, en quittant la France, il a déjà des convictions catholiques. Mais s’ensuit une période, de 1895 à 1897, quand, revenu en Roumanie, il ne trouve rien pour se nourrir l’esprit : entourage détestable, seulement 2-3 livres de piété égarés dans la bibliothèque familiale[4]. Ce n’est que pendant son séjour romain (1898-1902) qu’il apprend à voir et à penser, à adhérer au bien qui l’entoure ; il lit beaucoup et fait des projets : se donner totalement à Dieu et participer à la grande œuvre d’union des Églises.
– En tant que Roumain, il se propose d’agir dans son pays, par tous moyens disponibles, en faveur de la foi catholique, de renverser les préjugés qui s’opposent à elle, de revigorer, par sa présence et son exemple, l’esprit chrétien, dans un pays vide de vie religieuse.
– En tant que prince Ghika, dont l’esprit de classe s’est manifesté en France par sa sympathie pour les partis monarchistes chrétiens, il se propose de travailler au projet d’union des Églises par l’entremise de ses parents et amis.
– Il faut noter qu’à ce moment-là, en 1902, il se souvient du regret qu’il a ressenti dès avant sa venue à Rome, de ne pas appartenir à l’Église Catholique et de ne pas bénéficier d’un coup de pouce pour y entrer ; c’est pourquoi il réalise quelle influence capitale peut avoir une aide dans le choix d’une vie, une aide dispensée avec tact par une autorité reconnue et consacrée. Ce sont des idées presque identiques à celles de son ancêtre, le prince catholique de Valachie, Grégoire I Ghika, exprimées dans une lettre envoyée de son exil viennois à la Congrégation de la Propagande de la Foi, le 16 octobre 1667 :
La prévenante grâce divine m’a été très abondante et miséricordieuse, car elle m’a attirée vers le vrai salut et la lumière de la foi avec les exhortations les plus zélées du très éminent cardinal Spinola, alors Nonce apostolique à Vienne, et les conseils permanents et les discours familiers de Monseigneur l’archevêque de Marcianopolis que je connais bien, le temps en est témoin ; je découvre maintenant que ladite vérité connue travaille en moi plus profondément puisqu’elle a généré en moi un désir ardent de voir de mes propres yeux ce que j’ai entendu de mes propres oreilles et d’adorer en sa présence le vrai Vicaire du Christ et successeur légitime de saint Pierre en la personne de Sa Sainteté de Notre-Seigneur Clément IX[5]
Juste un mois avant sa réception officielle dans l’Église Catholique, le prince Vladimir Ghika (ainsi est-il titré dans la table des matières de la couverture de la revue le Monde Catholique Illustré, du 15 mars 1902) publie un article de 5 pages intitulé « Le Trois Mars », dédié au jubilé du Pape Léon XIII[6] ; à la fin de cet article, inséré dans une longue phrase, apparaît l’affirmation suivante : « j’ai tenu, moi, né loin de Rome, et devenu romain de cœur, d’esprit et de foi, à dire très haut ce que je pense avec tant d’autres – ce que voient ceux qui ne ferment pas tout exprès les yeux, – ce que nous impose notre devoir d’homme et de chrétien. » Cette affirmation, suivie de l’officialisation de son entrée dans l’Église Catholique, est reçue comme un coup de foudre à Bucarest par le journaliste orthodoxe Miloş Lugomirski (roumanisé en Milone Lugomirescu) qui publie alors, sous le pseudonyme de Baba Novak, dans le journal Epoca[7] (l’Époque), sur trois colonnes à la une, dans son intégralité, l’article intitulé « Un nou apostat »[8] (Un nouvel apostat). D’âpres reproches sont faits au prince Ghika :
Dans une revue illustrée dédiée à la propagande papiste universelle, M. Vladimir Ghika, sous sa propre signature, fait savoir urbi et orbi qu’il s’est converti au papisme !
Il s’entend bien que, s’il s’était agi d’une personne qui, de par les circonstances indépendantes de sa volonté, était restée dès son enfance éloignée de sa langue, de la loi ancestrale, de la tradition et des sentiments du peuple roumain, il aurait été exagéré d’hurler que cette douloureuse chute nous a frappé comme un coup de foudre.
Mais voilà, il s’agit d’un rejeton de la société aristocratique roumaine : M. Vladimir Ghika est deux fois petit-fils de Prince, du côté paternel il est le petit-fils du prince de Moldavie Grégoire Ghika, et du côté maternel il l’est du prince de Valachie Alexandre Ghika. En plus de cela, M. V. Ghika, étant un jeune homme cultivé, ayant déjà dépassé la première jeunesse, son abjuration de la foi de ses ancêtres apparaît comme un événement assez grave pour notre société.
L’on voit que, même si ses sentiments sont grandement égarés par rapport à la foi ancestrale, il s’est rendu compte de la gravité de l’acte qu’il commettait, puisqu’il a senti le besoin d’alléger sa conscience par un très long article de profession de foi, intitulé « le Trois Mars », date du jubilé des 25 ans de pontificat de Léon XIII.
Le prologue et l’épilogue de ce splendide morceau de littérature en langue française est consacré à la fanatique glorification de la papauté et du Pape Léon XIII ; et si l’on devait le dépouillé de l’effervescence commune à tous les néophytes, l’on pourrait le considérer comme un jugement impartial sur les mérites incontestables de l’actuel Évêque de Rome, pour avoir relevé le prestige de la papauté du monceau de ruine laissé par la succession de Pie IX…
De ce qui précède, il ressort que, dans le cas de M. Vladimir Ghika nous n’avons pas à déplorer l’un de ces égarements dus aux tentations de la jeunesse, parce que celui-ci ne s’est pas contenté de faire l’apologie de son nouveau despote spirituel, ni de faire l’éloge de la nouvelle foi à laquelle il s’est converti, il a fait le procès diffamatoire de la foi et de l’Église ancestrale, ce pourquoi nous sommes malheureusement obligés de qualifier sa conversion au papisme de sombre apostasie….
Que l’effrayant pas fait par M. Vladimir Ghika réveille des tourbillons de la malheureuse imitation de l’étranger qui a gagné une partie de notre société, du danger qu’elle fait peser sur ce pays en continuant à aliéner la langue, les coutumes et les sentiments du peuple, car à mesure qu’ils s’écartent aussi de la foi ancestrale, l’abîme qui les sépare du peuple devient infranchissable et leur perte assurée ; parce que le peuple roumain ne reniera jamais, comme il l’a prouvé depuis des siècles, la foi de ses ancêtres.
Le virulent Baba Novak fait cependant une rare faveur au nouvel apostat : il cite, en le traduisant, un fragment important de l’article de Vladimir Ghika, celui dédié à l’union des Églises, pour ensuite pouvoir le mieux combattre. C’est ainsi que les arguments du récent converti sont exposés au public roumain et portés à la connaissance d’un grand nombre de lecteurs, vu que l’article a été repris au moins par une autre gazette[9]. Nous reproduisons ce passage :
« L’Union des Églises doit englober d’abord ces églises d’Orient que rien et tout sépare de Rome (rien de consistant, mais quelque chose de plus fort que tout, un préjugé devenu plus puissant qu’un dogme), ces églises qui ont eu le plus splendide des passés jusqu’à leur schisme, la plus irrémédiable stérilité depuis – qui ont tous les éléments de la vie et qui s’isolent dans une sorte de sommeil – qui veulent ignorer l’Occident pour se donner l’illusion d’exister seules, et qui ne le peuvent, et qui le pourront de moins en moins – car l’Orient ne peut se soustraire longtemps encore à l’influence de la moitié de l’humanité qui s’est le plus développée durant ces derniers siècles : il devra choisir bientôt entre l’Occident rationaliste et antichrétien et l’Occident Catholique (papiste[10]). Ce sera pour le christianisme oriental une question de vie et de mort. C’est ce qui fait que la question de l’Union est non seulement capitale, mais actuelle.
L’Orient a tout à gagner à l’Union ; elle lui apportera la seule chose qui lui manque vraiment, un centre d’unité, de direction, de communion, de vie. À un point de vue secondaire ses rites, ses habitudes, sa hiérarchie, ses privilèges, sa personnalité propre resteront entières. Il sera le même avec en plus, le principe qui a été la force, le fondement de l’Église d’Occident, de l’Église, le principe de Saint Pierre, la Papauté. Il a quelque chose, il est vrai, à perdre à cette Union ; et c’est en effet quelque chose de grand et de grave – mais point au sens où l’on veut l’entendre – ce qu’il a à perdre : c’est son inertie, c’est son sommeil, c’est son inconsistance.
Est-il beau de déclamer contre les « innovations » du Catholicisme romain – quand on est coupable de la seule innovation qui soit vraiment coupable dans l’histoire chrétienne : près de mille ans sans un génie chrétien, sans une voix inspirée de Dieu, sans une grande œuvre chrétienne, sans une participation aux grandes douleurs de l’humanité, sans une de ces merveilleuses poussées d’ordres religieux soignant par tout le monde les plaies du Christ, sans une de ces assemblées de toutes races où l’on ne se sente qu’un cœur et qu’une âme devant Dieu – sans saints nouveaux et sans nouveaux miracles. »
Après cette citation, Baba Novak reprend ses attaques :
Il serait oiseux en l’occurrence et il ne serait guère possible dans ce cadre limité d’exposer de manière détaillée les causes de la séparation des Églises, provoquée par les écarts par rapport à la parole de vérité faits par les papes de l’Ancienne Rome si brillants, comme la lumière du jour, énoncés pour la première fois par le grand Photius en 862[11] et définitivement promulgués par l’acte du Triomphe de l’orthodoxie en 1053 par le glorieux Patriarche Michel Cérulaire, Pape de la Nouvelle Rome[12].
Nous pensons que l’apophtegme comme quoi rien et tout sépare les Églises Orientales de la Rome papiste et que tout se réduit à un préjugé plus fort qu’un dogme est trop commode, pour ne pas dire puéril.
Il n’y aurait que les hérésies et les innovations constatées et imputées aux Papes depuis le XIe siècle, la juste séparation du fait des actes scandaleux du Concile papal du Vatican de 1869 n’en serait pas moins écrasante, Concile qui, par les nouveaux dogmes qu’il a promulgués, a fait pour toujours tabula rasa de la pure foi donnée au monde par le Sauveur et a confisqué, au profit de la toute-puissance papale, l’infaillibilité des conciles écuméniques ; en retirant pour toujours à l’Église papale le droit de se réunir en cette grande assemblée, que l’on accuse insolemment l’Orient de n’avoir pas réuni depuis presque mille ans.
Il est en outre fort commode d’imputer à l’Orient son absence de mouvement, son sommeil et son inconsistance après qu’il a subi six siècles de suite le joug de la sanglante tyrannie musulmane, que rendait encore plus odieux l’attitude des papes d’autrefois, quand ils s’alliaient aux Turcs pour étouffer la chrétienté orientale !
Il est facile de parler des grandes œuvres du papisme, quand celui-ci a bâti son pouvoir expansionniste alors que les Papes étaient dispensateurs de couronnes princières ou royales en faveur des souverains qui s’élevaient sur les ruines de l’Empire Romain d’Occident.
Les nouveaux saints et les nouveaux miracles de l’Orient, ce sont tous ces fidèles et ces prêtres de l’Église Orthodoxe qui ont souffert et ont été martyrisés et humiliés depuis six siècles sous la tyrannie barbare, pour la vraie foi dans le Christ ! Le génie chrétien et la voix inspirée de Dieu se sont étendus sur l’ensemble de l’Église Orientale et a culminé avec la profession de foi orthodoxe, grâce au grand hiérarque Petru Movilă, lui aussi petit-fils d’un prince de Moldavie, profession qui a guidé les peuples orientaux vers la liberté et vers leur prise de conscience nationale.
Que dire encore sur la bénédiction du sacerdoce et l’immaculé culte des saints sacrements apostoliques de l’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ ?
C’est assez, pensons-nous, de rappeler à ce déplorable néophyte papiste que l’évêque orthodoxe le plus pécheur, qui porte amèrement sa croix sur les bords de l’Euphrate noyé sous les Barbares, ne saurait unir par les liens sacrés du mariage un chrétien et un non-chrétien, comme le font les très lucratives dispenses accordées par le pape à l’heure d’aujourd’hui, par lesquelles il est admis : l’administration du sacrement chrétien du mariage à des aristocrates chrétiens se mariant à des juives très riches mais non baptisées en Jésus-Christ !
L’Union des Églises, oui ! Nous l’implorons tous et notre Sainte Église Orthodoxe prie depuis des siècles « pour la prospérité de l’Église de Dieu et pour l’union de tous. »
Même l’union avec l’Évêque de Rome, comme premier parmi ses pairs, mais avec le pape monarque de toute la chrétienté, jamais, jamais !
Pour se défendre, Vladimir Ghika rédige un brouillon de réponse au journal Epoca, qu’il intitule « Nu apostat, dar apostol » (Non pas apostat, mais apôtre), texte jamais publié, émouvant et très personnel, que nous reproduisons ici dans son intégralité :
NU APOSTAT, DAR APOSTOL
Monsieur le Directeur,
Je m’adresse aujourd’hui à la fois à votre obligeance et à votre impartialité. J’ai été nommé et critiqué tout au long dans un récent article de l’Epoca. Me sera-t-il permis en conséquence de répondre à cette attaque en votre estimable journal ? J’ai des observations à faire, des éclaircissements à donner, des inexactitudes à relever et des remercîments à offrir à qui de droit.
Je ne me rends pas bien compte, en commençant, de la longueur de cette lettre, je vous prie de me pardonner si par hasard elle arrivait à égaler ou à dépasser les dimensions de l’article qui m’a été consacré. On pourrait la couper en plusieurs morceaux au besoin, puisqu’on a servi aux lecteurs Bucarestois sur le même sujet ou à peu près des séries d’articles. J’espère vous voir accorder sans peine la faveur de votre publicité à la réponse, comme vous l’avez faite à l’attaque. C’est le « petit-fils de vos anciens souverains » (on a tenu à rappeler la chose pour me juger… et me condamner) qui vous le demande ; c’est en tout cas un citoyen roumain : et c’est quelqu’un qui veut être un vrai Roumain ; ceci pour la personne. Quant au sujet du débat, un journal qui porte le beau nom d’Epoca ne saurait rester étranger aux mouvements d’idées de son temps, à des choses qui sont le signe d’une époque, qu’on le veuille ou non, qui feront époque, qu’on le veuille ou non. Ce n’est pas un accident que mon cas, comme votre rédacteur l’a bien vu, c’est le début d’une série d’évènements, c’est une phase nouvelle de notre vie nationale qui va commencer – et ce sera de l’histoire, plus qu’une histoire. L’Orient – (la Russie et notre pays surtout) – se trouve en effet, au point de vue de l’état des esprits, dans la même situation que l’Angleterre à la veille du Mouvement d’Oxford[13].
Je ne dirai d’ailleurs pas ici d’insignifiances ni de choses vagues : j’énoncerai sur des questions graves des idées, des tendances et des volontés, seules choses qui comptent dans la vie des nations. Sans effort, par sentiment de convenance et par esprit chrétien, je laisserai de côté toute question personnelle : il y a déjà longtemps que ma personne ne compte plus pour moi – rien de ce qui l’attaque ne peut me blesser ni m’atteindre. Si l’on a cru me toucher on s’est trompé, si l’on a voulu mettre autrui en garde contre mon exemple, ce n’est pas le meilleur moyen qu’on a pris.
Je passerai donc rapidement sur les premiers alinéas de l’article ; ils me présentent d’ailleurs au public avec une politesse dont je sais gré à l’auteur, d’autant plus que le titre ne me la faisait pas prévoir. On tient à y marquer les raisons pour lesquelles ma conversion a pu frapper l’esprit de plusieurs ; le cas d’une « odraslă domnèscă[14] » et « fòrte domnèscă[15] », d’un Roumain qui n’est pas Roumain de contrebande. C’est un côté tout extérieur pourtant, et le moins sérieux peut-être. Il est vrai que, forcément, personne encore n’est, chez nous, en mesure de connaître le côté intérieur, celui qui donnera à mon acte, dans l’avenir de la gravité et de l’influence. Ma naissance a pu me mettre en vedette ; ce n’est pas elle qui me donnera toute force : je ne méprise rien de ce que Dieu m’a donné mais je vois dans mon nom et le glorieux héritage de ma famille, avant tout, une facilité plus grande à être porte-drapeau dans le bon combat, un devoir traditionnel plus strict de recevoir les premiers coups en toute noble lutte, et une somme de choses qui me permettra de sacrifier à ma foi davantage de moi-même. Ce qui importe, ce qu’il faut que l’on sache, ce qu’on verra du reste bientôt sans qu’il soit besoin de le dire, c’est qu’il n’y a pas eu chez moi de coup de tête, ni même de coup de grâce, mais l’aboutissement fatal de quinze années d’études, de perfectionnement moral, de recherche et d’amour de Dieu, le produit d’une évolution chrétienne continue, point celui d’une révolution.
Si j’ai fait ce que j’ai fait, c’est comme esprit mieux informé, comme chrétien plus complet, comme Roumain plus clairvoyant, comme « sang bleu » plus attaché aux traditions véritables d’une famille que je connais mieux que personne (mes traditions strămoşeşte[16] les plus précieuses sont avant tout depuis des siècles, la foi, le courage et le désintéressement – les autres sont plutôt contingentes). On ne donne pas de leçon de patriotisme à un Ghika : je saurai montrer peut-être qu’en matière de foi chrétienne on en a plutôt à prendre chez moi qu’à me faire subir, si indigne que je sois encore de représenter à aucun titre, ce que je rêve d’être pour Dieu : un chrétien absolument chrétien.
Tout ce que je compte dire, tout ce que je compte publier, tout ce que je compte faire surtout commentera ces paroles. Il serait trop long ici d’approfondir même un seul de ces points. Je les signale.
Quant à l’article que j’ai écrit, s’il a la forme « urbi et orbi » que mon contradicteur me reproche, ce n’est pas parce qu’il est le « communiqué » d’une conversion (qui n’était d’ailleurs pas faite à ce moment-là de façon définitive[17]) mais le prélude d’une action.
De cette action le but est : la Renaissance du Christianisme en Roumanie – le moyen : l’Union avec l’Église une, sainte, catholique et apostolique. Quant au choix du point de départ et du sujet, le moyen admis, il s’imposait de lui-même : c’est la seule matière grave où l’Orient ait visiblement erré, la seule barrière véritable (au dire de quelqu’un que nul orthodoxe ne désavouera, Mr Pobedenozew, procureur impérial auprès du Saint Synode de Russie) qui sépare les deux confessions. La date était assez belle, assez significative pour appeler un commentaire plein de choses. J’ai parlé pour commencer à agir.
On le voit, il ne s’agissait guère de me « décharger » la conscience : je ne l’avais pas bien chargée. Il s’agissait de mettre en œuvre par un acte décisif et initial le produit de longues années de recherches, de réflexions et de vie intérieure.
Le schisme[18] n’avait rien qui pût me tenir bien fort à l’âme : Un principe tout négatif à la base ; des auteurs qui loin d’éveiller la sympathie provoquaient la répulsion (car à la racine des grands mouvements religieux on cherche une grande âme, contestée peut-être, mais vivant d’une pensée religieuse intense ; ici – un Photius prélat improvisé, savant de cour, qui passe en quelques jours de la fonction d’écuyer de l’empereur au patriarcat : un Cérulaire conspirateur de profession et politicien intéressé) – une volonté antichrétienne de division dans leur anathèmes célèbres (qui transforment, pour le plaisir de séparer les divergences les plus minimes de discipline (comme la barbe et le maigre du samedi) en hérésies et en crimes irrémissibles 😉 – un caractère si étroitement local dans toute leur conduite qu’il est impossible à un non-Phanariote[19], surtout à un Roumain, de se sentir bien identifié à de tels personnages (n’importe qui, d’où qu’il soit, se sent le frère de St François d’Assises ; ou de St Vincent de Paul ; nul n’est, sans se forcer, l’enthousiaste des coryphées de Byzance).
Le principe du schisme, ni ses auteurs, ne convenaient à un esprit chrétien et à une âme roumaine : sa présence elle-même en valait-elle mieux ? – accepter la scission, comme beaucoup le font, en admettant la légitimité du schisme pour l’Orient, de la tradition papale pour l’Occident ? chacun chez soi et Dieu pour tous ? – que devenait alors l’Unité Chrétienne ? – Rejeter peut-être tout ce que l’Occident a produit d’admirable et de chrétien ? la chose était-elle sérieusement possible et soutenable ? ce serait une plus belle hécatombe de saints qu’il n’en a jamais été martyrisé dans les cirques romains… ce rôle obligé ne pourrait plaire davantage.
Et en quoi consiste la grande idée du schisme, qui demanderait tant d’illégitimes sacrifices ? – à dire que tout s’est arrêté dans le monde chrétien depuis les 7 premiers conciles, sans qu’on sache pourquoi. C’est une idée « borne » peut-être, ce n’est pas une idée lumière et vie. J’ai passé.
Les résultats en étaient-ils meilleurs que les principes, les auteurs, la présence effective et l’idée directrice ? un vide énorme dans l’histoire chrétienne est là pour répondre, un vide logique, consenti, voulu presque. Pour remplir ces siècles d’inertie quel mode de développement soutenait le schisme ? La polémique et la polémique seule. On assiste à ce phénomène d’une littérature théologique presque entièrement vouée à la controverse rageuse de deux ou trois points, non pas renouvelée mais ressassée sans fin avec des aigreurs diverses – tandis que de l’autre côté du fossé dogmatique, en Occident, se développaient généreusement la science sacrée, la vie morale, la pensée religieuse qui poursuivaient leur éternel chemin des choses en marche vers Dieu.
Qu’on ne vienne pas nous parler des Turcs ! Ils ont vraiment trop bon dos. La stérilité du schisme date d’avant la prise de Constantinople d’abord, et les Russes par exemple n’ont pas eu de Turcs. L’Occident a eu pendant des siècles et au milieu d’un christianisme naissant, des Barbares envahisseurs auprès desquels les Turcs feraient piètre mine. L’Espagne a conservé ses Mores (si l’on tient à Mahomet) assez longtemps, il me semble : rien de tout cela n’y a étouffé la sève chrétienne ni l’énergie humaine. Les Turcs ! je sais sur eux un mot de Notaras[20] vérifié par les évènements, le mot qui a livré Constantinople : « Plutôt le turban que la mitre latine ! » – Quant à faire un miracle de la conservation des Églises schismatiques sous le joug ottoman, – toutes les hérésies, toutes les erreurs pourraient se prévaloir d’un miracle semblable pour autoriser leur doctrine. Nestoriens, Monophysites, Druses, Gnostiques, &c. &c. ont prospéré merveilleusement à côté du Schisme, à l’ombre protectrice du turban. C’est un miracle à tout faire et que chacun peut réclamer pour soi. Je regrette que Monsieur Baba-Novak n’ait trouvé que celui-là à opposer à l’Occident, dans un Orient qui comptait jadis des St Grégoire le Thaumaturge, des Antoine, des Siméon, des Basile, des Chrysostome…
Si je passais de son histoire à ses théories favorites, à ses habitudes séculaires, était-ce, dans le schisme, sa conception anarchique et morcelée de l’Église, sa subordination complète au pouvoir civil qui devaient me tenter ?
Était-ce ses mœurs peut-être ?
De celles-ci je ne dirai rien. C’est le domaine réservé au jugement de Dieu. Sans y pénétrer, je puis seulement faire remarquer, qu’à tort ou à raison, c’est une des choses qui influent le plus et qui influent fatalement sur l’attrait exercé et l’autorité gardée par une confession.
Quand on est en conflit avec tant de nécessités profondes, de traditions, de vérités essentielles, et d’aspirations légitimes, il ne manque plus que d’être en conflit avec soi-même. J’allais, en étudiant de près le Concile de Florence, trouver le schisme non seulement schismatique mais quasi-protestant vis-à-vis de lui-même. À Florence, en 1439, cette autorité des Conciles Œcuméniques qu’il déclarait seule recevable s’est prononcée de façon absolument régulière et définitive pour l’Union. L’acte terminal renferme toutes les signatures voulues des prélats Orientaux, à côté de la signature Impériale, signatures ineffaçables au grattoir même d’un Marc d’Éphèse[21]– et qui demeurent à jamais. Si cet acte est, pour la plus grande partie de l’Orient, resté lettre morte, il n’en est pas moins la loi absolue, la loi actuelle, la loi jurée. Le schisme a pu se débarrasser des conséquences obligées de cet acte par un état de fait qui a favorisé la conquête Turque. En théorie, d’après ses propres doctrines, il ne peut plus s’y soustraire ; il doit être soumis à ce Concile : il ne pourrait tout au plus le répudier que par un Concile Œcuménique nouveau et ce nouveau Concile n’a jamais été réuni. On a cherché toutes les échappatoires pour esquiver le dilemme – mais sans succès. Et la volonté mauvaise de désunion s’est faite de ce moment plus patente et plus coupable.
Ces éléments de division ne sont pas faits pour faire durer quoi que ce soit. Il fallait trouver quelque chose pour vivre en restant séparés et hostiles et privés de l’Esprit de Vie : que faire ? entretenir une confusion complète entre l’idée antichrétienne du schisme et le rite deux fois saint des Églises d’Orient. C’est encore un procédé que l’on peut juger. Ce même Concile de Florence a consacré solennellement l’égalité de valeur des deux façons de louer Dieu, des deux communions. L’Occident s’est tenu à son pacte et à son serment, si l’Orient les a méconnus. Les Églises Uniates, en floraison renaissante sous le Pontificat de Léon XIII, qui non seulement les protège, mais les aime, témoignent de la loyauté catholique à s’en tenir à la foi jurée : on a vu, en elles, l’Église préférer le respect de nobles traditions et de belles formes antiques à un désir d’unification absolue, de sa part assez compréhensible pourtant.
Après l’avoir reconnu étranger dans son essence à l’esprit chrétien qui est non seulement Unité mais désir et besoin incessant d’Unité – à la tradition organique de l’Église qui est vie et développement – progrès – fécondité – expansion, sainteté toujours renouvelée – étranger à sa propre doctrine qu’il méconnaît quand elle le gêne, – je le trouvais donc étranger à ce que nous aimions et à ce que nous aimions le plus légitimement en lui – son rite – qui ne lui est ni propre ni essentiel.
Enfin, ce schisme, qui n’était pas construit sur une idée chrétienne, ni même universelle, qui ne tenait sérieusement à rien de ce à quoi nous pouvions tenir, n’était pas non plus bien profondément attaché à notre vie nationale : le rite oui – le schisme non. Je n’aurais pas fait une attention excessive au contraire, la religion n’étant pas pour un chrétien une affaire de frontières, quelque chose qui se transmet de père en fils suivant la région, comme une manière de planter les choux, le costume et la langue. Mais c’était quand même un côté important de la question. Or, outre que notre pays n’avait pas la tare d’avoir donné naissance au schisme, je le vis chez nous intronisé par nos anciens oppresseurs les Slaves et les Grecs, après une période où il semble que nous ayons été non seulement dans le rayon de l’Unité Catholique, mais même de rite latin. – Pour en venir à un ordre d’idées moins strictement historique, je m’aperçus aussi que la véritable tradition roumaine était une tradition de foi, et de foi particulièrement charitable, portée aux fondations pieuses (hôpitaux, maisons d’asile, &c. &c.), et que notre pays ne s’était signalé par aucun acte violent d’animosité ou de séparation à l’égard de l’Église Romaine : l’esprit n’y était donc pas si exclusif qu’en Grèce et à Byzance ; il y était d’autre part mieux dirigé vers l’action bienfaisante, meilleur et plus tendre aux malheureux. J’étais plus fier de notre modeste groupement que des prétentieuses communautés issues du Bas-Empire.
Mais cette foi de notre passé était très vive. Qu’était-elle devenue maintenant avec la torpeur progressive que lui avait apportée le schisme ? – Où était la véritable tradition alors ? Dans la vivacité de cette foi à retrouver ou dans cette pesanteur de choses sans vie trainée après soi par habitude séculaire ?
Que nous disaient encore là-dessus les enseignements les plus récents de l’histoire ?
La stricte tradition nationale, au sens étroit, et disons-le, au sens bête et dangereux du mot, était-elle en 1857 pour l’Union des Principautés ? était-elle en 1866 pour le Prince Étranger ? Évidemment NON – Cela n’empêche que l’Union et la Dynastie Étrangère ont été des œuvres bienfaisantes et qu’elles représentent la tradition de la tradition, la leçon des siècles, qu’elles sont en accord avec le plus ancien besoin de notre race, sa nécessité de vivre d’une façon de plus en plus forte, de mieux en mieux constituée, de plus en plus cohérente.
Le schisme a d’ailleurs été subi dans notre pays, point créé ; subi comme nous avons subi la domination slave, turque et phanariote ; il est actuellement plus dans l’habitude que dans la conscience nationales. Nous sommes, avec la Russie, le pays où il a le moins de racines dans l’histoire et le cœur des peuples : nous sommes prédestinés à l’abandonner les premiers, par notre génie latin, par notre culture intellectuelle, par notre sentiment largement chrétien. C’est ce qui m’autorise doublement à tenter l’œuvre de Paix, d’Unité supérieure et de Salut que je rêve. C’est à un niveau plus élevé, le même élan qui a fondé l’Union et la Dynastie et qui va ramener pour sa libération définitive notre église à l’Église, notre pays à la Religion Universelle, – qui va, pour leur rôle dans le monde, donner une importance logique et profonde à cette église et à ce pays.
Peut-être en effet toute cette lente élaboration nationale, cette persistance indéfectible de la Race, cette constitution finale d’une Unité et d’une Dynastie, n’ont-elles existé que pour permettre à notre peuple l’accomplissement d’une admirable mission.
Chaque individualité ethnique a son but obscurément poursuivi, puis clairement entrevu. Le nôtre était encore énigmatique : il s’agissait de vivre seulement ; mais cette intensité de vie persistante était elle-même une indication : pourquoi ce peuple latin orientalisé subsistait-il malgré tout ? pourquoi le contact avec Rome le galvanisait-il à la fin du XVIIIe siècle : pourquoi l’influence française le régénérait-elle au XIXe ? C’est parce qu’il devait être le trait d’union de deux civilisations, le lien des deux Églises – l’ouvrier de l’Unité Chrétienne.
Voilà la tâche de la Roumanie, la tâche qui met notre peuple non seulement à la hauteur des grands pays, mais à celle des nations chargées de réaliser une grande idéalité mondiale.
Elle n’en est pas d’ailleurs à son début dans le rôle d’initiatrice de l’Orient : c’est elle, pour ne citer qu’un exemple, qui a donné à la Russie son premier littérateur, Cantemir, son premier théologien de valeur, Movila, son premier grand explorateur, Milesco &c. &c. &c. Et quelles excellentes conditions de développement pour une action générale, pacificatrice : un pays réunissant une individualité forte à une faculté d’assimilation universelle ; ouvert sans préjugés à toutes les influences et sûr quand même de rester lui-même ; un pays à l’âme très-nationale et très-internationale à la fois ; conservateur de sentiment et progressiste d’idées ; placé par la nature à un carrefour du monde ; ayant, en lui, dans l’inconscience même de ses hérédités, la fusion harmonieuse de toutes les races européennes qui le rapproche insensiblement de toutes – fait exprès pour procurer le passage d’une Intention à travers l’humanité.
Soyons conscients désormais de notre tâche et donnons-nous-y tout entiers. Songeons que rien n’est plus grand, plus noble, plus chrétien qu’elle – que rien n’est aussi plus naturel pour nous, plus secrètement traditionnel, plus providentiellement assigné.
Que les orthodoxes Roumains, même intransigeants, cessent donc d’user du « papist », du « papistaş » et du formulaire peu chrétien de mots et d’idées qui accompagne ces expressions. Qu’ils suivent les conseils de Joachim III, patriarche actuel de Constantinople, donnés à l’Orient par sa dernière et belle lettre de cet hiver – qu’ils se rapprochent dans un esprit chrétien des Catholiques. Les Catholiques, eux, l’ont déjà fait. Ils verront alors si ce n’est pas en effet « rien et tout » qui sépare les uns des autres. J’en sais quelque chose, moi qui ai franchi le pas, et ce n’est pas une phrase en l’air que j’ai jetée là, quoi qu’en puisse penser le collaborateur de l’Epoca.
Afin de faire sentir le peu de chose qui séparerait l’Église Roumaine-Unie de l’Église Non-Unie, afin de montrer combien le peuple ne s’apercevrait de rien, accepterait même volontiers pour maître lointain et pour docteur suprême, au lieu et place des Photius dont il ignore même l’existence, l’évêque de cette Rome qu’il vénère depuis des siècles comme sa mère, supposons un instant que le Saint Synode de l’Église Autocéphale se soumette au Pape : qu’y aura-t-il de changé pour le paysan ? rien – sinon qu’il verra des églises mieux tenues, des prêtres plus saints, les sacrements plus en honneur, l’esprit d’apostolat ressuscité partout, une vie inconnue autour de l’autel. Il priera là où il a toujours prié, devant les mêmes images, dans la même langue, suivant le même rite. Il ne verra qu’une seule chose de changée, la seule qui fut à changer, l’état moral de l’Église, atteint jadis par un mal dont il ignorait la source et qu’il sera heureux de voir disparu sans savoir trop comment. C’est pourquoi le Schisme, s’il redoute les églises de rite latin – qui sur les personnes cultivées agissent de façon péremptoire par la vie religieuse dont elles témoignent, – à l’horreur et la terreur des Églises Uniates qui facilitent les grandes conversions des masses.
Et c’est pourquoi, nous catholiques, nous constitueront des églises uniates en plus grand nombre peut-être que des églises latines, – d’abord pour mieux faire pénétrer les bienfaits de la Véritable Église dans les foules, – ensuite, parce que le rite fait partie des traditions saintes et respectables d’un peuple, qu’il est souvent même une appropriation providentielle à ses besoins ; – enfin parce que, si la Roumanie latine s’accommoderait peut-être exclusivement, dans l’avenir, du rite latin, les pays slaves et grecs ne sauraient le faire aussi facilement, et le rôle de transition, de missionnaire, de pacificatrice, d’intermédiaire qu’elle doit assumer vis-à-vis de l’Europe orientale en souffrirait d’autant.
L’expérience de l’Union a-t-elle été si mauvaise pour les Roumains en particulier ? – Opprimés par les Hongrois, en butte à mille animosités au milieu de l’Église même, n’y a-t-il pas eu dans les Roumains-Unis de Transylvanie un merveilleux noyau au point de vue religieux et national, le centre même de la régénération moderne de la Roumanie ? Qui a été l’ouvrier de notre résurrection plus qu’un Şincai, plus qu’un de ces élèves de la Propagande au XVIIIe siècle infusant à nouveau dans un corps corrompu par le Phanar, engourdi par le Slavisme, la vigueur et la virilité romaines ? – Quelqu’un de peu suspect en la question, Mr Pompiliu Eliade, dans un passage curieux d’un livre intéressant, porte sur ces matières le jugement de l’histoire quand il fait ressortir la nullité du rôle joué par le clergé orthodoxe dans les débuts de la Renaissance Roumaine et la part capitale qu’y ont prise les Transylvains Catholiques.
Dans nos antiques Principautés même, l’Union peut s’autoriser des noms les plus illustres. Pas un de nos grands Princes nationaux depuis Alexandre le Bon jusqu’à Cuza, n’a négligé de la tenter. L’histoire de ces pourparlers et de ces appels n’a pas été faite. Je l’écrirai ; elle est parfois assez belle pour tenter une plume roumaine, surtout quand il s’agit d’un Étienne le Grand, d’un Matthieu Bassarab &c. &c. &c. Je suis heureux de compter beaucoup de mes ancêtres directs, porteurs de mon nom ou d’autres beaux noms Roumains, parmi ceux dont j’ai retrouvé à Rome les traces à propos de cette tâche nécessaire et sainte de l’Union. – Il y a là encore des traditions trop ignorées que je veux faire revivre. L’Union, nous la voulons bien, nous l’appelons sans cesse de nos vœux, me dit-on, mais pas à votre façon – soit. Voyons cependant un peu si c’est un désir bien vif et bien sincère. Du côté orthodoxe, que fait-on maintenant pour cette Union rêvée ? – Suffit-il de prier des lèvres tous les jours (est-ce bien tous les jours ?) pour ce Rêve, si l’on ne bouge pas pour le réaliser ? Et n’est-ce pas s’exposer comme la chose va arriver à la méconnaître d’abord, à la voir ensuite se réaliser par de tout autres moyens que ce que l’on pense, que de s’en remettre uniquement à Dieu du soin de la produire ? Si nous avions prié en cherchant, et cherché en priant, nous aurions vu en effet qu’il y a fort peu de chose entre les confessions, – qu’il y a une faute à effacer dans un passé dont nous ne sommes, nous Roumains, pas même responsables, – un mouvement généreux à faire dans le présent.
Faute de l’avoir désirée sincèrement, demandée à Dieu de tout son cœur, faute d’y avoir travaillé, faute de l’avoir voulue, faute d’avoir témoigné de cette bonne volonté à laquelle la paix est promise, dans la recherche du bien suprême qu’est l’Unité Chrétienne – les orthodoxes d’aujourd’hui vont se trouver dans une situation moralement pénible qu’ils ont créée. Dieu leur fera la surprise d’exaucer leur prière – l’Union va s’opérer tôt ou tard, contre le gré même de plusieurs d’entre eux.
En attendant, si l’on déclare, comme mon honorable contradicteur, souhaiter l’Union, mais dans telles ou telles conditions &c. &c. il faut au moins parler de ces matières dans un « esprit d’union », sans violences inutiles, ni acrimonies, plus hors de propos que jamais quand elles viennent de chrétiens « qui désirent l’Union » et « qui prient sans cesse pour sa réalisation ». Un peu plus de charité serait là de mise.
Qu’il me soit donc permis de reprocher à l’auteur de l’article certaines expressions déplacées et certaines phrases malheureuses. – Pourquoi se servir du mot papistaș – si ce n’est dans l’intention d’aigrir le débat – pourquoi employer sans cesse les mots « à jamais », « pour toujours » quand il s’agit de signifier la séparation des Églises ? – (l’avenir est plus à Dieu qu’à Mr Baba-Novak). Tout ceci porte bien la marque de l’esprit de division (de l’esprit de schisme ; la chose est logique et se retrouve) – cela ne porte pas celle de l’esprit chrétien qui cherche avant tout l’Union et la paix, et qu’il, s’il vient à envisager l’avenir, aime espérer, sottement si l’on veut, contre toute espérance quand il s’agit d’une belle et noble idée à réaliser, plutôt que de fermer (vainement d’ailleurs) l’inconnu des siècles à une conciliation possible, par des mots voulus définitifs.
Je n’appellerai personne orthodoxaş ni popophile (!) ce ne serait pas chrétien et ce n’est même pas joli. Quant à l’avenir, j’ai appris à n’en pas désespérer avec la grâce de Dieu.
On ne saurait croire combien ces petites choses diminuent la portée morale et la valeur chrétienne d’une critique.
Ce qui compromet davantage encore celles-ci, ce sont certains procédés de polémique, de nature à enlever toute autorité à la discussion. Comment par exemple Mr Baba-Novak peut-il parler sérieusement d’une alliance papalino-turque, contractée à plusieurs reprises pour l’écrasement des Chrétientés Orientales ? Ceci mérite une punition cruelle. La voici : Que Monsieur Baba-Novak cite quand et comment elle a eu lieu…!!! – Mais pourquoi s’exposer à des châtiments pareils ? pourquoi affirmer, pourquoi mettre par écrit, dans je ne sais quel espoir, des choses qu’on sait n’être pas vraies ? Quel nom porte cette pratique ?
Le système des citations détournées de leur sens et isolées de leur contexte est tout aussi blâmable – voir l’extrait d’un rapport du Cardinal Langénieux[22], qu’on offre aux lecteurs Roumains. D’ici à quelques jours je ferai parvenir à la rédaction de l’Epoca une lettre du Cardinal lui-même qui, étant encore de ce monde, peut protester contre les paroles qu’on lui prête et l’usage que l’on en fait.
Enfin, si l’on tient à faire de la polémique et rien que de la polémique sans trop se soucier de l’esprit chrétien, ni de l’histoire, ni… du reste : il faut se garder au moins de quelques maladresses dangereuses. La maladresse est de mille sortes ; ici, parmi de cruels exemples, j’en prends un : le fait de parler (assez hors de propos d’ailleurs) du sacrement de mariage – pour trouver dans certaines dispenses un nouveau grief contre la Papauté : sans rien examiner du grief allégué (ce n’est pas ici la place, pas plus que dans l’article de Mr B[aba] N[ovak]), n’est-il pas bien imprudent de mettre en avant un sacrement que l’Église Catholique a respecté jusqu’à l’excès si faire ce peut – tandis que les Églises d’Orient portent avec elles, tolérées par elles, la honte séculaire des divorces, et la bénédiction d’innombrables adultères ?
Je voudrais maintenant dire un mot d’une accusation formulée contre moi et contre les autres récents convertis de notre société. Il s’agit de notre « séparation irrémédiable » d’avec le peuple, opérée par notre volonté, sous notre responsabilité.
Si notre société court le danger de s’éloigner criminellement du peuple, ce n’est pas du côté de la religion que ce danger existe. Il se trouve tout entier circonscrit dans la vie peu chrétienne que mène cette société. Ce qui peut créer, ce qui a créé et qui créera toujours un fossé entre les classes élevées et les classes inférieures, c’est l’égoïsme jouisseur, ce n’est jamais ce qui est pénétré de l’esprit chrétien de charité et de sacrifice ; mon contradicteur parle d’« abîme infranchissable creusé, par des déterminations analogues à la mienne, entre les gens du peuple et ceux qui l’ont prise » ; l’abîme n’est rien à côté de celui que creuse le défaut d’esprit chrétien qui marque hélas ! toute notre classe dirigeante. Je n’en suis que trop sûr : les pauvres, les malades, les paysans roumains, me verront plus souvent qu’ils ne voient les bourgeois ou boyards de Bucarest, puisque je serais tout à eux. Je serai avec eux tous les jours, non en étranger, mais en ami et en frère, non en visiteur accidentel entre une « noce » et une partie de « poker », mais comme un des leurs. S’ils s’étonnent de quelque chose à mon sujet, ce sera de trouver en moi une heureuse exception à la règle commune. Et ce n’est pas à eux qu’il faudra dire qu’ils m’ignorent.
Dans cette tâche de communion à l’âme populaire, de vie avec la misère et la maladie, je n’ai pas seulement de la bonne volonté mais de l’expérience : l’expérience de plusieurs années de renoncement progressif et de don toujours plus grand de soi-même – ceci pour l’âme. Le soin des pauvres, des souffrants pendant des mois et des mois tous les jours – ceci pour la science pratique de la chose. J’ai passé ces dernières années de ma vie dans des hôpitaux, des dispensaires et des mansardes. On y apprend beaucoup ; et on s’y oublie aussi en même temps.
Ma plus grande apostasie, ma seule, a été celle de mon égoïsme. Et elle n’a été complète qu’avec « l’autre ».
Et c’est pourquoi je suis si reconnaissant à « l’autre ».
Cette « autre » apostasie ne s’est pourtant pas passée sans déchirement. Le schisme n’était ni imprégné d’esprit chrétien, ni marqué au coin de l’esprit roumain. J’en voyais partout l’effet désastreux. Comme vie personnelle, en outre, j’y étouffais : tout me portait à l’abandonner. Les attaques probables ne m’effrayaient guère, ma conviction étant devenue une foi prête à tout affronter. Mais quelque chose pouvait me retenir davantage, – des considérations de famille et d’affection : j’en avais de graves et de proches. L’auteur de l’article qui me prend à partie n’avait pas besoin d’aller chercher des exemples parmi des parentés du 2ème degré. Il les a d’ailleurs fort mal choisis – (Ma tante Rasponi que j’ai beaucoup aimée entre parenthèses, et qui avait une affection particulière pour moi, avait en effet épousé un adversaire acharné de la Papauté, conspirateur de la « 3ème Italie », garibaldien dans l’âme ; son palais était un ancien couvent, où des confessionnaux de bon style servaient dans les appartements de porte-fleurs et d’étagères : comme milieu « ultra-catholique papiste », on le voit, Mr Baba-Novak ne pouvait tomber plus juste). – J’avais, plus près de moi, une sainte, une orthodoxe, la personne que j’aime le plus au monde, ma mère ; – si quelque chose avait pu m’arrêter, si quelque chose m’a retenu pendant de longues années, c’est l’idée de lui causer de la peine. Je me suis décidé pourtant, après avoir souffert plus que je n’ai jamais souffert peut-être, moi qui ai beaucoup souffert. N’ayant subi aucune influence, cédé à aucun entraînement, j’ai dû porter, à moi seul, toute la responsabilité de ma détermination, toute l’angoisse, toute la peine, sans âme qui vive à qui dire mon tourment. – Je l’ai fait pleurer. C’est peut-être la première fois de ma vie et je suis fier que ce soit la première : ce sera la dernière. Mais peut-on appeler malheureuses les mères à qui leurs fils n’ont pas fait pleurer d’autres larmes que celles-là ? La mienne a senti ceci : nous sommes maintenant plus unis que jamais, et plus en paix aussi, chacun dans la sécurité de sa foi et dans l’utile emploi de sa vie… Il est peut-être mal de parler de ces choses dans un journal mais puisque ma vie va être à tous, mon histoire peut appartenir à chacun.
Il me sera permis de m’étonner quelque peu de la sévérité des journaux à mon égard. Les descendants de grandes familles qui jouent, boivent, font des sottises, traînent leur nom dans la boue &c. &c. ceux-là ne déchoient pas, semble-t-il, des traditions ancestrales. Pour ceux-là on n’a que des excuses, des tendresses même, ou les complicités d’un silence apitoyé. Pour quelqu’un qui travaille et qui prie, on n’a que des duretés et 3 colonnes de style plutôt pénible sous un titre plutôt insultant. C’est pourtant de ce titre que je viens remercier mon honorable contradicteur et le remercier sans hypocrisie. Je ne mens pas en le faisant (ceci est écrit une heure après une communion ; pour un chrétien cela doit compter). Par ce qualificatif il m’a créé des devoirs plus étroits et des obligations nouvelles : je me sens d’autant plus tenu à être meilleur ; j’ai une responsabilité de plus devant les autres ; j’ai été aussi en quelque sorte consacré par ce mot. Si j’avais pu avoir encore quelques hésitations à me donner entièrement à Dieu, ce mot me les aurait enlevées.
Ma seule vengeance vis-à-vis de ceux qui m’appellent ainsi sera de voir accoupler à ce nom d’apostat tout ce que je compte faire de bien et de beau, avec la grâce de Dieu.
A-t-on remarqué d’ailleurs quelle espèce particulière « d’apostats » sont ceux qui vont à l’Église Catholique ? Ce sont les Newman, les Manning[23], les Swetchine[24] &c. Que l’on compare ceux qui la quittent pour le Schisme ou la Réforme – à ceux qui y entrent : ceux qui esquivent des sacrifices, des devoirs, des obéissances, des serments – et ceux qui cherchent plus de dévouement, d’amour et de vie en Dieu.
J’ai déjà dit dans ce qui précède ce que je cherche, moi, et ce que je veux. Je ne sais ce que l’avenir me réserve. Mais si Dieu me donne toute une vie d’homme – que je sois prêtre ou moine (ce que je désire, peut-être trop-pour-moi) – ou simple laïque toujours (j’ai à côté de moi tant de devoirs et d’affections qui me retiennent !) – ce que je sais, ce que je puis dire dès maintenant, c’est que je serais un apôtre.
« NU APOSTAT, DAR APOSTOL ! »
Un apôtre c’est à dire un homme de Dieu.
C’est toute une activité humaine, soutenue de Dieu, vers un but avoué ; une vie qui va se donner simplement. Or un apôtre ne se plaît pas aux polémiques irritantes : il respecte la liberté et la bonne foi d’autrui ; aussi, je ne cherche pas exclusivement des adversaires à convaincre ; aussi, serais-je très heureux d’avoir des rivaux : je voudrais que les orthodoxes de bonne foi eux-mêmes se mettent dans leur confession même au service de Dieu avec la même ardeur que moi. Sacrifions-nous à l’envi et complètement. Si le schisme est capable de mettre des dévouements et des énergies en balance avec ceux que suscite la foi catholique, tant mieux ! qu’il les montre : qu’il produise des vocations, des œuvres, des forces vivantes : la lutte généreuse n’en deviendra que plus belle, l’émulation meilleure, le but atteint plus haut ; quand je n’aurais fait que réveiller les nobles sentiments endormis dans la conscience religieuse des orthodoxes, ma tâche serait assez honorable : une chose m’a fait souffrir plus que tout, en Orient, le sommeil des âmes.
Qu’on se réveille et ce sera déjà beaucoup de fait.
Et ce sera déjà une façon de s’unir.
- I. Ghika
Écrit pendant les quatre premiers jours de la Pentecôte, 18-21 mai 1902
Cet ample texte n’a jamais été publié, et, pour comprendre cette absence de réaction publique de la part de Vladimir Ghika, il faut faire appel à la correspondance de ce dernier avec l’évêque de Iaşi, Dominique Jaquet. Dans une réponse à une lettre et un document qui n’a toujours pas été retrouvé, l’évêque donne les conseils suivants :
Rome, ce 2 février 1903
Cher Monsieur le Prince,
Vos pages m’ont fait lire au fond de votre âme et m’ont procuré de bien vives consolations.
Vous serez un apôtre – quelle que soit la forme de votre apostolat.
Tous les mérites de votre dissertation ont pali, à mes yeux, devant celui-là.
Je vous remercie de la confiance que vous m’avez témoignée et des joies qu’elle m’a causées.
Gardez précieusement ces pages. En en retranchant ce qu’elles ont peut-être çà et là de trop intime et ce que les indélicats ne manqueraient pas de profaner, ces pages vous serviront un jour ; car, une explication devant votre pays sera tôt ou tard inévitable. Les confidences que j’ai lues, toucheront toutes les âmes droites. Vos raisonnements seront aussi une révélation pour les esprits sincères.
Ce premier essai de discussion théologique et historique me prouve tout ce que vous êtes à même de faire. Aussi, suis-je plus que jamais assuré du succès du petit livre que vous allez écrire. Je vous y encourage de toute mon âme et prierai tous les jours Notre-Seigneur de vous assister, dans ce premier acte de votre grand apostolat. Vous allez faire une exposition lumineuse et persuasive, et ce vous sera toujours une consolation d’avoir abordé les âmes par la douceur.
Veuillez croire, cher Monsieur le Prince, à tout mon dévouement et à tout mon affectueux respect. Ce sera toujours une consolation pour moi de recevoir de vos nouvelles et de suivre vos travaux.
+ Dominique Jaquet,
évêque catholique de Iassy[25]
Peut-être que dans le cas de ce projet de réponse au journal Epoca, quelqu’un a conseillé à Vladimir Ghika de ne pas publier des choses trop intimes le concernant ou trop polémiques dans une Roumanie où le catholicisme était encore très minoritaire (le pays étant alors réduit aux frontières du Vieux Royaume).
Cet homme de bon conseil pourrait être l’écrivain catholique Leopold Andrian (1875-1951), alors diplomate attaché au consulat autrichien de Bucarest. Vladimir Ghika lui a demandé son avis sur la publication ou non de la réponse à Epoca. Adrian lui répond, le 6 octobre 1902 :
Vous me demandez de vous dire « en quelques mots » si vous devez ou non publier votre article. Vous voulez une impression, non une dissertation (et de cela je vous sais gré, étant atteint depuis quelques temps d’une véritable phobie de la littérature). Or mon impression sincère la voici : je vous la donne résumée et concise en quelques paroles, sans développements, vous développerez vous-même d’ailleurs. Si par votre article vous entendez engager votre personnalité dans une voie déterminée, par un geste public et définitif (rien de plus) – publiez. Si, au contraire, vous entendez inaugurer de cette façon une campagne d’idées, une lutte de chaque jour – ne publiez pas, car je ne crois pas les temps venus.
Je crois que pour initier une action ayant pour but la réunion de notre église à l’Église[26] – il faut absolument que vous commenciez par habiter au moins un an la Roumanie (le mouvement doit naître en Roumanie et en tous cas ne pas dater de Rome votre première parole. Ce sont-là des points de vue mesquins et adjacents – mais dans un combat comme celui que vous préparez l’habileté sera (j’ose l’affirmer) appelée à jouer le rôle principal. – Je reviens à l’instant à mes premières objections, que vous groupez sous trois chefs. Ces objections n’avaient pas dans mon esprit l’importance que vous semblez leur accorder. – Ainsi, la première – complaisance envers vous-même – n’avait que la valeur d’une remarque littéraire : je trouvais que vous parliez trop de vous, uniquement parce que vous aviez déclaré au début vouloir laisser de côté toute question personnelle ; – je ne voyais ici qu’un illogisme littéraire. Vous m’expliquez d’excellente façon les raisons qui vous ont fait parler de votre MOI ; ces raisons, je les trouve très sérieuses – mais alors supprimez la phrase du commencement (« je laisserai de côté les questions personnelles etc. »). Il ne saurait donc être question de malaise moral ; il n’y a même pas eu d’impression défavorable ; tout au plus y a-t-il eu une légère impression d’inconséquence littéraire (passez-moi le mot) – quant aux autres objections, nous ne différons pas beaucoup d’avis, au fond. Je voudrais, moi, et cela absolument, que le mouvement d’où sortira l’Union fût exclusivement roumain – chose que vous acceptez bien, mais que vous acceptez seulement. Votre point de vue est dogmatique avant tout. – Le mien est surtout politique – mais le but à atteindre est le même. Toutes ces objections ne doivent pas vous arrêter longtemps ; importantes me semblent seulement les deux positions qui font le sujet de ma lettre d’aujourd’hui, je soumets leur contenu à vos méditations, il est inutile de vous recommander la prudence ; vous n’ignorez pas que de votre acte dépendent non seulement votre avenir et votre œuvre personnelle, mais encore – peut-être – le sort de l’idée et par conséquent celui de votre Pays.[27]
Ces conseils de prudence ont été suivis par Vladimir Ghika. Celui-ci a d’ailleurs peu publié dans les premières années qui ont suivies sa conversion.
Le Texte « Nu apostat, dar apostol », reproduit ci-dessus dans son intégralité a, pour Vladimir Ghika, valeur de programme et il caractérise l’ensemble de sa vie, l’activité qu’il a menée en tant que laïc, mais aussi en tant que prêtre. Tout ce qu’il affirme dans ce texte, tout ce qu’il se propose de faire pour servir Dieu, il l’a mis en œuvre tout au long de sa vie, en Roumanie, en France et ailleurs dans le monde. Il a effectivement été un homme au service de Dieu, un apôtre. Ce qu’il s’est alors proposé comme projet de vie il l’a réalisé par son apostolat, un vaste apostolat, qui a couvert plusieurs domaines : intellectuel, civique, caritatif, culturel.
Annexe 1
[Manuscrit autobiographique de Vladimir Ghika
1901 ou 1902[28]]
Né le jour de Noël 1873, de parents que je ne puis assez bénir Dieu de m’avoir donnés – dont on n’a jamais pu dire et penser autour de moi que du bien.
Vie toute intérieure : à part les deuils et les maladies, aucun événement extérieur marquant ; au-dedans de l’âme toutes les tempêtes, toutes les métamorphoses, toutes les inquiétudes, toutes les luttes.
Né à Constantinople, où mon père était agent diplomatique de son pays. En 1878, départ pour la France après un stage de quelques mois en Roumanie. Je reste en France sans discontinuer de 1878 à 1895 (automne).
Enfance précoce (mémoire éveillée dès un an et demi : j’apprends à lire seul et sais déchiffrer un livre tant bien que mal avant d’arriver en France, c’est-à-dire entre 4 et 5 ans). Application de l’esprit à toute sorte d’études au-dessus de mon âge, qui fait que je possédais déjà très bien la botanique et la zoologie avant 7 ans – avec une petite bibliothèque à cet usage, et pas mal l’astronomie, dont les descriptions m’enfiévraient, à la lettre = l’idée de l’infini surtout me plongeait dans des réflexions et des admirations sans bornes : avec l’idée de la mort [que celle de ma grand-mère (1879), puis celle horriblement douloureuse de mon père (1881) vinrent me porter], ces deux idées ont été le fond de ma vie morale d’alors et de celle de mon frère cadet avec lequel la communion d’idées a toujours été très-étroite. C’est un peu avant la mort de mon père que j’avais inauguré une prière d’enfant, hélas bien vite abandonnée, qui demandait à Dieu de faire mes parents éternels – puis toute réflexion faite – tout le monde éternel à partir du moment de cette prière. Au commencement j’avais très-sérieusement espéré le succès d’une demande si légitime.
Après la mort de mon père, dans la tristesse de la maison augmentée des ennuis et des chagrins causés à ma mère par mes frères aînés, je me fais le serment de rendre ma mère fière et contente de moi – et d’être avec mon frère cadet sa consolation, plus tard.
Lectures assez libres : instruction à la maison, régulière : à côté le champ laissé à mon avidité de savoir et à ma faculté d’autodidacte. Je dévore les traités d’astronomie, les traductions de quelques auteurs classiques (l’Odyssée surtout me ravit). Mon frère et moi inventons chacun un pays dont nous créons la langue, les habitants ; dont nous écrivons l’histoire, la religion, le code, dont nous composons la géographie, la cosmographie (avec atlas, planisphères &c.) – nous remplissons des caisses de papiers relatifs à ces royaumes imaginaires, la réalité ne nous suffisant plus.
En 1884 – nous entrons l’un et l’autre au Lycée de Toulouse : études plus régulières, laissant moins de place à la fantaisie. Succès scolaires. Bachelier avec dispense d’âge, de rhétorique en 1889, à 15 ans ½ – de philosophie en 90 à 16 ½. Études libres toujours poursuivies en marge des cours du Lycée, passions successives pour la physique, la chimie (celle-ci poussée jusqu’à des connaissances de spécialiste), les littératures anciennes et modernes, l’histoire contemporaine. À partir de 16 ans, comme libre – travaux spécialement dirigés vers l’Œuvre dont la première idée est si perdue dans l’enfance.
Ambiances et influences
élevé en France à une époque d’irréligion reçue et courante (de 1879 à 1889 surtout). Au Lycée (de 1884 à 1890), une instruction plus que laïque, libérale et républicaine : pendant les deux dernières années, réaction personnelle contre les influences enseignantes, sous l’inspiration des livres catholiques. Resté longtemps, cependant, même malgré moi plus tard, dans la persuasion que le rationalisme était l’état d’esprit normal, absolument vrai, et que si le christianisme intime et profond devait avoir pour la direction de la vie la première place, le christianisme extérieur et traditionnel devait tâcher de se concilier avec lui tant bien que mal. Le milieu protestant dans lequel j’ai vécu de 1885 à 1893, avec, les derniers temps (à partir de 1888 surtout), une hostilité déclarée contre lui, avait au début déteint sur moi sans que je m’en aperçusse : (grande part d’interprétation personnelle d[an]s les textes religieux ; liberté d’esprit vis-à-vis des pratiques ; explications naturelles de faits surnaturels) (il m’a aussi, en pratique, éloigné longtemps du culte des Saints, sans arriver à m’enlever la confiance dans l’intercession de la Sainte-Vierge, ni le goût du surnaturel tout-à-fait non plus). Je n’ai jamais vécu dans un milieu catholique ; de ce côté l’influence a été purement circonscrite au début dans les livres, qui à partir de 1888 entrèrent abondamment dans notre maison grâce à une bibliothèque à laquelle ma mère nous avait abonnés, mon frère et moi – à Paris de 93 à 95, à Bucarest de 95 à 97, le milieu mondain où je me trouvais forcé de vivre me blessa profondément – de 97 à la fin de 98, dans l’isolement et la tristesse, avec quelques livres et un paroissien pour me consoler. À partir de 98, la 1ère leçon de Rome ; en 99, la première influence réelle exercée par quelqu’un du dehors, la personne rencontrée à Biarritz ; depuis, l’éducation par les choses et les livres à Rome ; l’influence des œuvres de charité ; le sentiment des réalisations nécessaires inspiré par tout ce qui m’entoure. Période de décisions lentement et prudemment prises, malgré toutes sortes d’obstacles.
Le plus détestable moment de ma vie comme entourage – 95-97 – dans une ville de mal, de vide et de sottise, où je ne pouvais voir que de mauvais exemples : pas une bonne action même racontée pour relever le moral et vous faire battre le cœur d’émulation, de désir. Sans bonnes lectures, parmi toute espèce d’ennuis, de douleurs, de vexations mal supportées. La dernière détresse morale, et sans les soins donnés aux malades de la maison, sans l’œuvre entreprise, une telle amertume de vie perdue, étouffée que si cela avait continué je ne sais si j’aurais pu vivre.
Sauf pendant mon enfance, aucun milieu contre lequel je n’aie eu à lutter, tout en le supportant autour de moi, pour des raisons d’obéissance ou d’affection. Étroitement réfugié dans le cercle de famille, le seul endroit où il me parût y avoir quelque chose d’un peu bon et pur.
En dehors des personnes de ma famille, pas d’influence sensible. Aucun ami. Aucun guide extérieur. Personne qui m’ait jusqu’ici inspiré une admiration morale suffisante, dans le monde où j’ai vécu, pour en faire sinon mon maître, au moins mon conseiller.
Je dois à ma mère tout ce que j’ai de délicatesse de sentiments, d’élan généreux, de passion vive, de piété profonde, – de nervosité et d’irritabilité aussi – ; de mon père que j’ai malheureusement peu connu, une bonté facile poussée à l’extrême, la pudeur du bien, le sentiment naturel de l’honneur. De ma vieille institutrice, venue dans la maison avant ma naissance et restée auprès de nous jusqu’en 95 (après plus de 25 ans de vie parmi nous), le sentiment du devoir, de la justice stricte, de l’obéissance, – le côté prose de ma nature actuelle (l’horreur du gaspillage, de la chose inutile, du luxe bête). De mon frère cadet, et de la sœur que j’ai perdue, l’antipathie profonde pour toute affectation, surtout toute affectation de vertu, l’idée de la valeur morale de la gaîté, le goût de l’observation, celui de l’ironie vis-à-vis de soi-même.
La personne dont je parle ailleurs, et qui a été la seule parmi toutes celles rencontrées à agir un peu sur mon âme, m’a donné une vision plus nette de moi-même, le désir plus vif de progresser vers Dieu, la révélation d’un côté du christianisme que j’avais trop négligé – le goût de la charité active.
Parmi les catholiques, je n’ai pu connaître assez sincèrement et assez profondément personne pour qu’on pût exercer aucune influence sur moi : cela a peut-être été providentiel pour l’autorité que pourra avoir auprès des autres ma conversion, d’abord toute logique et toute libre, et orientée de façon à heurter tous les intérêts qui ne sont pas purement spirituels, religieux (même ceux qui ont fait toute mon existence, ceux d’affection et d’amitié). En masse, j’ai d’abord été attiré vers eux par l’injuste persécution à laquelle ils étaient soumis en France, et je les unissais dans ma sympathie aux soutiens des régimes déchus qui me plaisaient davantage que les institutions récentes et peu esthétiques des pays modernes – leurs vertus, les saints de leur passé me les faisaient déjà apprécier. Dans la famille on me les présentait comme les plus proches de la vérité – et, en fait de confessions étrangères, comme les plus apparentés à la nôtre. Les clichés habituels de l’Inquisition, de la St-Barthélemy, de l’infaillibilité indue accordée au Pape &c. seuls formaient l’obstacle habituel à toute expansion de ce côté-là ; en pratique, j’étais encore choqué par le côté insuffisamment et parfois niais des dévotions de province ; de plus, sans instruction religieuse, je trouvais trop de choses à accepter dans la religion catholique, trop de précisions, de déterminations absolues, trop d’intermédiaires et d’incarnations ; la vérité ne me semblait pas si terrestre et si limitative. J’ai passé plus tard à quelque chose de plus sérieux que cette sympathie incomplète, après avoir traversé un déisme vague, cette espèce de judaïsme qui a été la religion officielle du XIXe siècle, quand il condescendait à en avoir une, puis un protestantisme inavoué. L’attachement à ma propre religion tenté à maintes reprises ne put pas résister à l’absence de vie qui la caractérise ; et de ce côté je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui voulut me la faire prendre suffisamment au sérieux. Quand ma conviction catholique se fut affirmée, je quittai malheureusement la France, pour mon pays – où je ne devais rien trouver pour me nourrir l’âme. Soumise au commencement à des alliages bizarres d’évolutionnisme, puis d’idéalisme Kantien ; elle se compliqua dans la solitude et la détresse morale d’erreurs pélagiennes et stoïques, puis de tendances gnostiques. (Tout cela tenait aux lectures diverses que je faisais, et au peu d’instruction religieuse solide que je m’étais faite, assez mal et peu à peu). Néanmoins, toujours par une série de raisonnements, et de métamorphoses internes, en avançant dans le désir d’aller à Dieu, j’approchais toujours d’une connaissance moins hétérogène ; j’avais résolu de ne mettre dans mon œuvre (ce mot m’a l’air bien prétentieux ; je l’emploie pour ne pas répéter chaque fois une périphrase plus longue) rien qui fût contraire aux dogmes catholiques ; je ne pensais pas assez qu’avant d’y conformer un livre, il valait mieux y conformer sa vie = mais il est vrai que pour celle-ci je n’en voyais ni la possibilité ni le moyen ; et puis c’était encore une conviction humaine – point une foi. Pourtant toute cette période – tout se formait – et se déformait – en mon âme seule (presque sans livres de mon goût même) – : Pascal seul, qui m’avait déjà tenu compagnie plusieurs années avant, devint mon livre de chevet, lu et relu ; c’est certainement l’esprit qui m’a le plus touché, et qui, en me révoltant d’abord par certains points de sa doctrine sur la grâce, a le mieux détruit ce qu’il pouvait y avoir de mauvais dans ma conception de l’étendue de la volonté humaine.
Assiste en France au déchaînement des passions antireligieuses. Sentiment de l’injustice de la persécution. Sympathie pour une cause vaincue étroitement unie alors aux partis monarchiques auxquels je tiens moitié par vanité et par esprit de corps, moitié par admiration sincère. Réflexion sur l’importance de ce que représente, en fait, ces siècles de vie d’une Église qui a seule compté pour le christianisme pendant si longtemps = vénération croissante pour ses héroïsmes et ses saintetés. Horreur de la Révolution, sentant que tout ce qui s’y peut trouver de bien – principes de liberté, d’égalité et de fraternité – est mieux formulé, mieux situé dans l’âme, plus efficace dans le christianisme. Sentiment de ne pouvoir condamner l’Église Catholique (outre les points de dogme mal connus d’ailleurs alors et considérés comme peu importants, par une infiltration d’esprit protestant) qu’en attribuant à son passé les calomnies courantes – à ceux qui la représentent actuellement, une hypocrisie universelle, générale, absolue. L’étude de l’histoire ébranle tant soit peu les premières en montrant la plupart des accusations souvent infondées, en tous cas valablement contestées : la simple justice proteste contre l’attribution enfantine de l’esprit de mensonge jusqu’aux moelles à des gens qui donnent leur vie pour leur foi ; je m’aperçois que cette accusation d’hypocrisie est au fond un aveu de la bonté essentielle des doctrines catholiques, que les pires adversaires trouvent avant tout « point sincèrement appliquées » ; je reconnais que les ennemis de l’Église sont les ennemis de tout le christianisme. À cette époque les croyants n’ont qu’un tort à mes yeux : celui de croire aveuglément trop de choses relatives, de mettre sur le même pied des vérités capitales et des nécessités secondaires. Cependant, la comparaison des confessions chrétiennes se fait d’elle-même dans une famille pieuse, de religion grecque, où la foi existe sans être très-efficace et vivante, – avec une institutrice protestante, dans une ville catholique. La tolérance et l’esprit large qui règnent à notre foyer permettent l’entrée des livres de toutes ces confessions. La littérature protestante écœure vite, – la grecque n’existe pour ainsi dire pas ; la catholique, pénètre de plus en plus et exerce une influence de plus en plus grande, de plus en plus profonde. Mon frère cadet et moi devenons tout-à-fait partisans du catholicisme ; il y avait infiniment loin de là à une foi = je ne m’en rendais pas encore très-bien compte – ; il me semblait qu’être du côté catholique, avec une information extérieure suffisante de ce qui touchait à la foi catholique, et beaucoup de zèle pour la défendre, avec la ferme décision de travailler à l’Union des Églises et de faire revenir de toutes mes forces à la Papauté les communions dissidentes d’Orient – était tout ce que Dieu pouvait me demander, tout ce que je devais souhaiter pour moi-même. La détresse dans laquelle je me trouvai en quittant la France pour me trouver dans un pays dénué de vie religieuse ; le besoin de trouver une aide morale pour me débarrasser de mes fautes ; le travail continu de mon esprit à la recherche de Dieu, me font sortir de cette position de « parti », senti assez inefficace, pour arriver à quelque chose de plus fort et de plus vivant. J’étudie de plus près et moins de dehors la foi catholique ; certaines choses que j’acceptais parfaitement en théorie, une fois qu’il s’agit de les recevoir absolument comme vraies dans mon cœur, comme vraiment vivantes, comme faisant désormais partie de moi, trouvent plus de difficultés à entrer dans ma vie ; mais je sens toute l’importance qu’il y a à entreprendre ma conviction de cette façon plus sincère, plus profonde. Une période d’absorption lente sous cette nouvelle forme : les vérités et les dogmes non plus acceptés en masse, mais repris, étudiés, reçus après discussion et contrôle de sincérité – l’un après l’autre. Coïncide d’abord avec une crise morale qui me montre pratiquement la nécessité de conclure aussi vite que possible ne serait-ce que pour lutter en soi contre le mal attaquant une âme insuffisamment défendue. Sentiment d’obstacles sans nombre. Regret désespéré de n’être pas né dans la foi catholique et d’avoir, en attendant d’y entrer, ce qui me semblait alors comme, en fait, impossible, si peu de secours pour aller jusqu’à elle. Le songe de 1897 me donne alors une force de plus. Le retour en France, à la suite de mon frère malade, des années d’angoisse, Rome, quelques âmes chrétiennes rencontrées, le développement progressif de l’esprit chrétien, tous les sacrifices successivement tentés, et reconnus aussi peu de chose, après qu’ils paraissaient terribles, avant, – m’ont amené là où je suis.
Je sens en ce moment quelle influence capitale pourrait avoir tout ce qui viendra avec persuasion et avec tact du dehors, de la part d’une autorité reconnue et consacrée. Je voudrais que l’on s’occupe d’une âme pourvue à ce qu’il me semble d’une dose illimitée de bonne volonté – qu’on songe à déterminer l’orientation d’une vie, d’un avenir, dont on peut faire utilement quelque chose – qu’on trace un cadre à une activité qui s’éparpille, qu’on expérimente les matières où cette activité peut s’exercer le mieux, en lui donnant une tâche précise et abondante à faire pour voir si elle est capable de l’accomplir comme il faut – que l’on cultive le bien dans une âme qui le désire, en la stimulant en même temps qu’on la dirige – qu’on lui facilite les dernières victoires sur elle-même, et, qu’en accélérant ses décisions, on fasse sortir sa volonté des lenteurs qui donnent de la profondeur aux sentiments et aux résolutions, mais qui découragent et énervent parfois.
Projets
Le vague. Je ne me sens plus le droit d’en combiner pour moi de ma propre autorité. J’irai là où l’amour de Dieu me conduira ; et je tâcherai de faire en sorte qu’il soit le premier, le plus fort, le mieux servi en moi.
Je voudrais seulement d’une façon plus précise – ayant peur de trouver quelque complaisance et de recueillir trop d’éloges à faire des actions méritoires auxquelles rien en apparence ne m’oblige – prendre un état où ces actions seraient obligatoires, ordinaires, professionnelles et où, aussi, l’habitude constante de les accomplir me permettrait d’y apporter moins de gaucherie. Je ne serais pas fâché non plus d’avoir un costume qui m’affranchirait le plus tôt possible de certaines corvées mondaines.
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À titre d’indication, voici – tout en me rendant compte de la part énorme de prétention et de rêve qu’il y a à les énoncer même – les principales tâches que j’aurais voulu accomplir.
Dans ma famille : ramener au bien mon frère aîné, en utilisant surtout son activité et son intelligence à des œuvres de charité que j’aurai faites miennes, – œuvres qui le prendront par le cœur, le tireront de l’oisiveté et le transformeront sûrement peu à peu.
Dans mon pays : Avancer sur un excellent terrain, avec des parentés et des amitiés qui m’assurent partout de précieux concours (jusque dans la presse) la campagne pour l’Union des Églises. Lui donner si je le puis une tournure décisive durant l’année du Jubilé Pontifical de Léon XIII. En tout cas m’occuper activement de toutes les façons (propagande verbale, privée et publique, propagande en action par les œuvres, propagande écrite par le livre et le journal) de faire progresser chez nous la foi catholique. Détruire les préjugés contre elle par seule action de présence et en la faisant connaître de près.
Développer par l’exemple, par le sacrifice de tout ce à quoi l’on peut tenir d’habitude – si c’est possible par mon entrée dans les ordres et par mon activité dans cette nouvelle vie – l’esprit chrétien, avec la grâce de Dieu, en un pays où il ne tend que trop à disparaître.
((Très-hypothétiquement, ceci : Plus tard, après avoir fait en mon pays le gros de la besogne, aller rendre un peu à la France les immenses bienfaits que je lui dois, en y venant évangéliser les quartiers ouvriers de Paris.))
Terminer enfin et mener à bien, autant que faire se peut, l’œuvre entreprise depuis l’enfance pour rendre gloire à Dieu.
Les raisons formeraient un traité complet d’apologétique – ce n’est pas ici la place de les exprimer ; je ne mentionne ici que celles d’ordre intérieur qui ont résolu par l’affirmative en faveur de la foi catholique ces questions posées en mon for intérieur :
Qu’est-ce qui a été la consolation de mon âme ?
Qu’est-ce qui en a été le secours ?
Qu’est-ce qui m’a mené le plus fortement à Dieu ?
Étant donné la nécessité d’incarner les choses pour les vivre utilement où placerais-je actuellement mon âme ?
Qu’est-ce qui m’a donné la notion la plus nette, la plus attirante, d’une vie chrétienne ?
Où me demande-t-on le plus de moi-même ?
Où pourrais-je savoir le mieux ce que je suis, ce que je vaux, à quoi je puis servir ?
Si l’obéissance est une vertu, si le Christ est en autrui, dans quelle société et chez qui l’obéissance a-t-elle le plus de chances de se trouver d’accord avec la Volonté de Dieu, et l’organisation de son Règne sur la terre ?
Après avoir trouvé la paix de ma conscience, et une vie meilleure, quoi d’autre, sinon une force désintéressée, une grâce plus forte que moi-même m’aurait mené à travers des tourments, des sacrifices et des obstacles sans nombre, vers ce but ?
Pourrais-je vivre actuellement sans les églises accueillantes, sans les stations presque quotidiennes devant le Saint-Sacrement, sans la lecture des œuvres de cette Église ?
Où pourrais-je ne perdre aucun de mes efforts vers le bien pour en faire profiter les autres ? où le rayonnement de l’action chrétienne est-il le plus naturel et le plus aisé ? par où la charité peut-elle le mieux venir à toutes les âmes ?
Où trouverais-je assez de discipline pour être protégé contre mes propres écarts, assez de sécurité pour être vraiment libre ?
Pourrais-je être sûr de mon salut ailleurs ?
Où l’amour de Dieu qui est désormais la raison de ma vie peut-il être le plus vif, le plus nourri, le plus aidé ? où peut-il être le plus sûr de lui-même ?
J’ai tenté ces entreprises impossibles, dans mon ignorance de la vérité et de ses conditions, d’Être : Un moine laïque ; un chrétien sans église définie ni tradition bien marquée, un catholique à côté du catholicisme.
J’ai eu tour à tour :
Une foi en partie à côté de la vie ; puis une volonté de croire en tout, sans foi véritable ; enfin une foi efficace qui me travaille et qui me mènera là où elle veut.
Et tout cela n’était pas sans contradictions :
N’ayant jamais voulu me dire : je suis meilleur que celui-ci, je ne voulais pas me mettre en dehors des conditions habituelles et je considérais comme un devoir de rester dans ma condition et de ne marquer par rien ce que j’avais dans l’âme. Je suivais la vie de tous, sans vouloir accepter aucune joie du monde, avec pour seule mission d’amoindrir les douleurs des autres.
Soumis aux autorités reconnues.
Priant comme un enfant souvent dans les périodes où, d’esprit, j’étais le plus éloigné de la forme religieuse de l’Église.
Une spiritualité exagérée qui, comme je ne pouvais cesser d’être, me brisait en deux êtres qui se torturaient l’un l’autre sans conciliation possible. Niant toute influence sur l’âme aux réalités, et les subissant forcément de la façon la plus cruelle. Blessé en elles par des choses qui auraient paru à d’autres indifférentes : ayant horreur de tous les actes de la vie ; ceux-ci se vengeant en accablant toute l’existence d’un poids que l’esprit n’allégeait pas. Ayant passé plusieurs années dans la révolte – ce n’est pas ici une expression littéraire d’un sentiment vague mais une exacte traduction d’un état d’âme qui a duré de 16 à 25 ans – d’être une créature humaine limitée dans sa puissance, dans sa connaissance et, ce qui était plus dur que tout, dans son amour. Cherchant avec rage un Dieu lointain, désincarné, aimé pourtant avec l’amour de toute une âme qui cherchait à s’y perdre, à s’y dissoudre. Le salut venu, là comme ailleurs, par la venue de l’Incarnation, de l’Homme-Dieu.
J’ai voulu accomplir des choses au-dessus des forces humaines, sans m’appuyer sur autre chose que sur moi-même, en menant à peu près la vie de tous, et sans me séparer de rien.
Organisation parallèle
De 1884 − à 1886 |
Grande ardeur à l’étude. Ne comprend les récréations que comme un changement de genre de travail |
en 1888 − |
Année du p[lus] grand effort de travail, stimulé par le succès |
en 1889 − |
lectures nombreuses d’auteurs catholiques ; passion de tête pour le catholicisme et la légitimité. Influence sur la conduite et les modèles de vie choisis |
en 1890 − |
Intérêt capital pris à la philosophie. Délivré du darwinisme par un idéalisme un peu nuageux |
en 1891 − |
Lectures plus libres ; fréquentation sans grande piété mais avec beaucoup de respect des églises catholiques. Influence des pensées de Pascal, lues et relues. L’œuvre à laquelle j’ai toujours pensé commence à prendre forme. Idée d’une apologie moderne du Christianisme |
en 1892 − |
L’œuvre continue. J’écris beaucoup et toujours sur des matières de nature à éloigner l’esprit du mal |
en 1893 − |
idem |
en 1894 − |
Maladie bien accueillie. Période de piété vive. |
en 1895 − |
« « « travail personnel irrégulier mais toujours bien dirigé. |
en 1896 − |
L’œuvre entreprise devient ma seule sauvegarde, ni églises ouvertes, ni bonnes lectures. 2 ou 3 livres pieux égarés dans notre bibliothèque doivent me suffire pendant cette année et la suivante – mais me fournissent un bon service |
en 1897 − |
Premières prières furtives dans l’église catholique de Bucarest |
en 1898 − |
En France, retrouve de la saine lecture, des lieux de prière |
en 1899 − |
Rome, avec tout ce qu’elle enseigne à celui qui sait regarder et penser. Complicité dans l’élan vers le bien de tout ce qui l’entoure. Travail sur le Concile de Florence |
en 1900 − |
idem – projet d’une campagne en faveur de l’Union des Églises à propos de l’Anno Santo. Nombreuses lectures pieuses. Ferme projet de se donner tout entier à Dieu. |
en 1901 − |
Travaux poursuivis. |
Annexe 2
Le Trois Mars[29]
Après tout ce qui a été depuis dix-neuf centaines d’années, dans la cité presque trois fois millénaire qu’a fait revivre le christianisme, au début du XXe siècle, Léon XIII, 263e successeur de Saint Pierre, à 92 ans, va célébrer le 25e anniversaire de son pontificat. Ces seuls chiffres, ce simple énoncé, qui imposent à l’esprit quelque réflexion, exigent aussi une mention dans l’histoire de l’humanité. À ces choses solennelles une solennité doit répondre. La première fête, la plus profonde, la moins vaine sera une messe, qui réunira toute l’âme de ces choses, la mêlera aux prières, et l’offrira à Dieu qui les a données. Devant Dieu, sur la tombe du pêcheur de Galilée, qui est devenue la pierre fondamentale de l’Église, l’Église va fêter comme elle sait le faire, et comme elle a seule le droit de le faire, une sainte vieillesse, un long pontificat, la Papauté, Léon XIII, et ce qui dans l’œuvre de Léon XIII fait désormais partie du patrimoine inaliénable de l’Église.
C’est une chose plus rare, et plus belle et plus pleine d’enseignements que celles que la terre nous offre d’habitude, l’âge sanctifié, une longue vie consacrée, un siècle presque, debout devant nous, frêle et bénissant, un être vieilli en Dieu, où le souci du divin habitait déjà au temps des pères de nos pères. Cela nous ramène à l’idée des premiers temps chrétiens, qui aimaient à voir les anciens, les « presbyteri », ces intermédiaires entre la génération des morts et celle des vivants, leur servir d’intermédiaires avec « l’Ancien des Jours ». Ici, nous avons un siècle vivant pour intermédiaire entre l’humanité toute entière et le Seigneur, entre les siècles et l’Éternité. Les siècles ont d’ailleurs dans l’Église une place particulière, ce sont des amis qu’elle voit venir sans crainte ; elle sait les comprendre – elle, qui est en quelque sorte la personne morale de notre ère ; et il semble qu’elle ait, dans un mystérieux dessein, tenu à faire accueillir par le vieillard séculaire qui la représente aujourd’hui, la nouvelle période d’années qui se déploie devant nous.
On ne peut s’empêcher d’être ému quand on songe au fait que vingt vies comme la sienne à peine, nous séparent de Celui qui nous a ouvert un ciel inespéré, immérité ; quand l’on songe aussi aux choses que vingt vies comme la sienne auraient vues, aux choses qu’a pu voir la sienne… Tant de jours nous éloignent du temps béni de la Rédemption ! – tant de mensonges de l’heure nous écartent d’elle ! cet homme du passé, par toute l’étendue de son existence, nous rapproche de Sa Réalité ; nous touchons en quelque sorte du doigt le mensonge des moments passagers qui ont tout changé sauf la foi, qui n’ont été que l’épreuve, désormais terminée, d’une foi. Le secret de ce qui dure, une confiance plus facile, une participation visible à l’antique sécurité de l’Église, une leçon de passé et d’avenir, voilà ce que ce présent peut nous enseigner – en se montrant… Et ce n’est pas une entité, le passage d’un fantôme mystérieux, c’est un homme que tous connaissent : son activité bienfaisante a fait la popularité de son nom, la longue durée de son pontificat a rendu sa figure familière. Et s’il ne lui est plus permis de traverser sans cesse les rues ensoleillées de Rome, quel est le chrétien qui ne l’a vu et revu à Saint-Pierre ou au Vatican ? C’est comme un ami que la foule retrouve, pour la santé duquel elle tremble, dont elle compare sans cesse, avec une persistance touchante, l’aspect d’hier à l’aspect de l’avant-veille.
C’est le très vieux et très Saint-Père des multitudes – fait pour elles comme elles sont faites pour lui, fait pour être aimé d’elles comme elles de lui. Le directeur de l’humanité chrétienne ne peut s’attacher beaucoup à des individualités ; son rôle même le lui interdit ; il va aux masses, et les masses s’unissent en lui dans une commune vénération.
Dans la fête de demain, ce qui donnera un sens profond à la manifestation c’est la foule, la foule, expression du monde chrétien. Le vieillard qui va s’avancer parmi les flots humains dont regorge la basilique sentira que c’est un peu de sa vie, cette affection collective des fidèles ; nous pourrons nous dire tous qu’il y a un peu de nos prières dans ce que soutient ce corps tremblant.
Les vieilles dévotes de provinces ne sont pas seules à prier pour le pape. Il y a aussi les hommes de cœur.
C’est qu’il est dans l’idée de paternité universelle, au nom du Christ, surtout exercée par celui qui l’exerce à cette heure, dans l’idée papale, quelque chose d’infiniment noble et chrétien, qui ne peut que toucher les âmes. Et cette fête du 3 mars – au début du XXe siècle – peut être considérée comme une vraie fête de la papauté. Qu’on le veuille ou non, celle-ci a conquis une influence et une importance que depuis la Réforme elle n’avait plus atteintes. Il faudrait remonter au moyen-âge pour rencontrer l’équivalent de ce que nous voyons aujourd’hui. À travers mille tourmentes, grâce à la foi ardente de Pie IX, à la sagesse de Léon XIII, par une aspiration et une Inspiration continues, par un concours providentiel de circonstances, elle est arrivée à dégager aujourd’hui nettement, fortement sa notion.
Elle s’impose aux esprits les moins prévenus comme la condition nécessaire, vitale de l’organisation de la Chrétienté, comme lien, comme raison d’unité, comme direction, comme centre d’action, rien ne peut la valoir ; voilà ce qu’ont dit peu à peu ces derniers siècles, ce qu’ont montré ces derniers papes. Le sens profond et vivant donné à des paroles divines a achevé de s’éclaircir dans l’incarnation féconde de ces paroles – développées suivant le procédé habituel de l’Église, qui fait de chaque mot de la « Bonne Nouvelle » une œuvre séculaire et précise, une source de vie à travers les âges. Chaque siècle a montré ailleurs plus de dispersions et de décompositions, ici, plus d’unité, de vie concentrée, résistante, obstinée même, de cette sainte obstination que montrent les choses soutenues de Dieu. Loin d’elle, des collections d’individus ou de peuples, point une église, point d’Église surtout – des dénominations générales de sectes, des groupements sous un vocable unique, au plus l’unité abstraite et sans vertu d’un mot vague ; avec elle seulement, l’unité vivante, l’unité organique construite autour d’un centre vital, l’unité à la façon des corps et des âmes, le corps mystique assez constitué, assez fort pour porter de l’Esprit – le même Esprit que jadis et que toujours. – Avec elle, la possibilité de joindre, à la sécurité du dogme la force et l’utilité des directions générales dans le domaine pratique. – Ailleurs, à côté du dogme, ossifié chez les uns, chancelant chez les autres, le hasard présidant aux destinées. Les confessions chrétiennes qui n’ont pas la continuité de ce magistère bienfaisant, portent la peine de cette absence par des faits d’une véritable éloquence démonstrative : chez elles, l’Autorité n’est pas assise ; la vérité n’a pas de Saint-Siège toujours visible ; chargées toutes d’un péché originel, celui qui a présidé à leur séparation, elles subissent sans que rien de central et de fort ne les maintienne au moins dans leur forme primitive, le fatal développement de leur erreur. Si cette erreur leur a donné une existence spéciale, en sa qualité d’erreur elle se tourne maintenant contre elles-mêmes, les travaille comme elles ont jadis travaillé l’Église, et les détruit peu à peu, n’ayant plus qu’elles à détruire.
Le protestantisme proteste contre lui-même et se dissout à vue d’œil, en vertu de ses propres principes. Le schisme se morcelle tous les jours un peu plus par la nationalisation des églises ; il se met de moins en moins à même de guider l’ensemble des peuples qui l’ont suivi : ceux-ci séparés entre eux par des différences croissantes d’aspirations et de tendances, sans véritable lien religieux, ne sont plus pratiquement unis que par une négation, l’aversion traditionnelle pour Rome, bien affaiblie elle-même chez quelques-uns.
Dans la mêlée incohérente des idées qui se veulent toutes égales et des paroles que chacun ne prend que pour soi, suivant son goût, parmi cette annihilation des « valeurs » qui caractérise les temps modernes, la Papauté peut garder plus sûrement que qui que ce soit la stabilité des paroles de la Vie Éternelle, et d’autre part les faire pénétrer en instructions secondaires, en conseils efficaces dans la conduite de l’humanité. Cette autorité générale, spirituelle, cette force de persuasion qui agit sur les consciences autant que sur la raison, ce poids invisible et merveilleux donné à des vérités actives – voilà ce qui distingue par-dessus tout l’influence Pontificale ; elle arrive ainsi à être féconde sans préciser outre mesure, à signaler utilement des moyens nouveaux sans compromettre l’essence antique et parfaite de l’Église, à tenter tous les essais sans entreprendre aucune aventure – à agir avec souplesse autant qu’avec force. Il est certain, par exemple, que malgré l’excellence d’idées des encycliques de Léon XIII, si riches en résultats, signées d’un autre nom, tombées de moins haut, avec moins d’autorité souveraine, elles n’auraient, dans le désarroi des raisons troublées par les sophismes, que l’acquiescement, sans effet profond, de quelques intelligences éclairées. On saisit ici sur le vif, la grande tâche chrétienne réservée par l’Esprit à l’Église, de retransformer les paroles en Verbes – avec trois grands ouvriers principaux, les Saints, c’est-à-dire les chrétiens les plus chrétiens, qui préparent, les Papes c’est-à-dire les prêtres les plus prêtres, qui prononcent – le Temps, cette expérience des choses dans l’Éternité, qui fixe. Et l’on comprend l’étonnante efficacité de cette action pratique, même restreinte par les hostilités d’une époque, qui, surtout dans le gouvernement des peuples, n’accepte plus le christianisme qu’à contrecœur.
Enfin, sans la Papauté quelque chose n’a pas de représentant ici-bas, la Chrétienté ; rien ne peut incarner ce souci, le premier de tous, la figure chrétienne à donner au monde.
Plus on va, plus on voit dans la Papauté le signe et la condition d’une société chrétienne parfaite. Or les conditions vitales de toutes choses en ce monde sont d’habitude, par leurs aspects de nécessités inférieures ou par leurs incarnations trop basses, difficilement acceptées par notre volonté. Ici au contraire – et il faut en remercier Dieu – elles sont belles et nobles. Si l’on met de côté les révoltes d’un orgueil déplacé, que peut-on reprocher à cette nécessité simple et forte d’être uni à celui qui est, somme toute, de degré en degré, l’élu de tous, l’héritier du chef des Apôtres, le Vicaire du Christ, le serviteur des serviteurs de Dieu ? – Les circonstances peuvent encore faire de cette condition un bienfait visible – quand le choix du Pontife est particulièrement heureux et que la Providence veut donner aux incrédules une leçon de choses, aux fidèles la consolation de voir le plus magnifique des offices dignement rempli, la joie de ne pas assister au conflit toujours douloureux d’une tâche sainte et de la faiblesse humaine. – C’est ce qui est arrivé pour Léon XIII.
Je n’ai pas l’intention de refaire ici une biographie qui serait forcément trop courte – et que j’ai vue mieux tracée par d’autres plumes que par la mienne. Il n’est pas besoin de signaler l’unité de cette vie toute faite de raison sagace et de foi sûre, jointes en un ensemble harmonieux et clair – guidée par un esprit peut-être plus lumineux encore qu’ardent, en tous cas, merveilleusement adapté par la Providence aux ténèbres confuses de l’heure présente. Léon XIII a su mettre tous ses dons naturels au service de sa tâche ; c’est plus difficile que l’on ne croit, d’être l’homme de son devoir ; ici, c’était plus difficile que tout. Sans perdre son individualité, il a vraiment su être pape et l’on ne pourrait faire un plus bel éloge de lui ; non pas sans doute le Pape par excellence, car pas plus que nul chrétien n’a représenté absolument et complètement le Chrétien – nul pape ne peut se vanter d’avoir incarné en tout point l’idée infiniment haute de la Papauté : s’il en est beaucoup qui se valent, il n’est pas un qui se ressemble : chacun des meilleurs a sa physionomie, son relief, son genre de perfection et cela n’en vaut que mieux.
Les caractéristiques de Léon XIII sont bien connues, ce sens de la justice, ce caractère ennemi de la faveur et des petits abus – cette intellectualité intense que la foi a empêché de devenir desséchante, cette intransigeance de principes à côté d’une extrême conciliation pour les formes, « quod substantiam », – cette ardeur juvénile de la volonté, jamais entamée par l’âge, jointe à une patience persévérante, capable d’affronter tous les délais, ce sens, à la fois, du progrès, curieusement suivi, et de la tradition, jalousement gardée – ce zèle respectueux et éclairé pour l’art (certaines restaurations qui sont des résurrections, la réforme du chant sacré, etc.)… – ce goût des sciences, des sciences de l’homme surtout (l’essor nouveau donné à la philosophie scolastique ; l’ouverture de ces Archives du Vatican, où les nations viennent retrouver leurs titres de noblesse, l’Église des titres de gloire presqu’ignorés, etc. etc.) – ce mélange étonnamment homogène de qualités assez diverses pour s’exclure d’habitude en la plupart des âmes…
Je m’arrête. À un certain niveau la louange a l’impertinence d’un jugement, avec la banalité d’une redite ; et l’admiration a du reste le tact de n’être pas bavarde.
Sans insister sur ces points aussi familiers aux lecteurs que la physionomie même du Saint-Père, je voudrais appuyer davantage sur les quatre grandes idées, qui me semblent faire la plus solide gloire de son Pontificat. Ces idées sont impliquées dans les titres qu’un usage mérité a consacrés quand on parle de Léon XIII. On l’a appelé le Prisonnier du Vatican. – Le Pape des Ouvriers. – Le Pape de la Paix. – Le Pape de l’Union des Églises. – L’indépendance absolue de l’Église, la question sociale devenue question chrétienne, l’arbitrage international, le retour au bercail des Confessions dissidentes, ces quatre idées proposées au monde par Léon XIII de la façon la plus satisfaisante pour la raison et pour la foi, voilà ce qui, grâce à sa netteté d’esprit, sa force d’initiative, sa hauteur d’âme, sera plus que jamais le programme de la Papauté, la tâche de la Chrétienté de demain.
- L’Indépendance de l’Église, condition essentielle de son universalité, et celle d’où dépend même en une certaine mesure la pureté de sa doctrine. L’indépendance absolue de son chef, dont toute compromission aurait son contre-coup sur la Chrétienté tout entière ; indépendance surtout vis-à-vis des voisinages immédiats et hostiles. – Le Pape est celui que nul ne couronne. – Si l’idée latine, l’art et le don latins du gouvernement, autant que la tradition, appellent un Italien à la tiare, dès qu’il l’a ceinte il observe et doit observer l’internationalité (la supernationalité, si le mot existait), la plus complète.
- La question ouvrière comprise non comme l’objet d’une réforme purement extérieure de l’ordre social, mais comme un phénomène maladif à causes profondes, qu’il faut soigner chrétiennement, dans la profondeur comme à la surface, par une action, par un sacrifice, par une introduction d’élément divin à tous les degrés. Ne pas laisser se produire un groupement humain naturel sans tâcher d’y intervenir pour y porter avec Dieu, de la justice et de la paix. Opposer aux groupements d’où on veut chasser Celui qui est de partout, d’autres où il est reçu comme le Maître. Former des groupements nouveaux pénétrés de l’esprit chrétien, là même où rien n’a été tenté encore. Rapprocher les hommes ; les faire se connaître, et s’aider, et communier de toutes les façons ensemble, jusque dans la mutualité des intérêts matériels. Avoir en quelque sorte un cadre social approprié d’un côté aux besoins du temps, de l’autre, conforme à la doctrine chrétienne, fort de sa force et bon de sa bonté. Pour arriver à ce résultat, qui n’est pas moins qu’une « Conversion », c’est-à-dire le plus grand et plus difficile des changements, Léon XIII a voulu employer des moyens plus apostoliques encore qu’ecclésiastiques. Il a lancé les croyants dans la mêlée avec toute leur bonne volonté, il a fait sortir les prêtres des sacristies et des églises. L’entreprise était héroïque ; elle a porté des fruits merveilleux, elle en portera encore davantage, et si elle n’a pas été exempte de dangers pour ceux qu’une vocation peu ferme ou une vision peu claire de leur rôle faisaient se plaire davantage aux luttes secondaires du dehors qu’à la paix essentielle du dedans, elle a été féconde, utile, régénératrice pour ceux qui l’ont envisagée comme une mission de sacrifice, qui ont été « les mêmes » à l’église, sur la place publique, dans les congrès, dans les syndicats, chez eux.
III. Il est quelque chose d’aussi difficile à réaliser que la paix des classes, d’aussi souhaitable et d’aussi impérieusement réclamé par tous ceux qui veulent avancer le Règne de Dieu : la paix, l’esprit de paix entre ces grandes personnes à peine sorties de la barbarie, les nations : c’est au plus si après des siècles elles sont arrivées aux premiers stades humains de développement, le dégrossissement des idées morales élémentaires amenées par le heurt des intérêts : pendant des centaines d’années, elles n’ont connu que le droit sauvage de la conquête, de l’offensive et de la défensive par tous moyens ; elles ont tâché maladroitement de constituer d’elles-mêmes un droit des gens, puis une sorte de droit international, bien informe encore, mais qui est l’acheminement naturel et pourra être la base d’une société idéale et chrétienne. L’arbitrage international préconisé, exercé même une fois (il y a désormais cette chose sans prix dans l’histoire, un précédent récent) exercé par la plus grande autorité morale du monde : voilà une des œuvres les plus précieuses de Léon XIII, et une de celles qu’il faudrait faire rentrer dans les attributions régulières du Saint-Siège.
Car ceci peut nous donner l’espoir – et en tous cas le désir – de voir revenir un jour, sous une forme plus spirituelle, plus respectueuse des légitimes aspirations nationales, plus juste, fondée sur autre chose que la conquête et l’administration, fondée dans les âmes et dans les conseils des peuples, la Pax Romana de jadis. – En tous cas le but est assez beau pour légitimer toutes les tendances, tous les efforts, toutes les préparations : amener ces grandes personnes, comme je crois les avoir justement appelées, les nations, à former une société chrétienne, comme on est arrivé tant bien que mal, avec la Grâce de Dieu, à en constituer une pour les individus, comme on veut en constituer une pour les classes d’individus que crée le mouvement de la vie.
Il faut, entre elles, un Juge de Paix, au milieu d’elles, un tuteur légal des faibles, de ces petites nations qui ont leur personnalité, elles aussi, et leur principe propre de vie, que nulle force ne doit méconnaître.
La tâche chrétienne doit être remplie aussi à cette difficile hauteur : de qui pouvons-nous attendre son accomplissement si ce n’est de celui que Dieu a mis au-dessus des nations ?
Est-ce un rêve sans consistance – non puisque on tend à l’incarner. Est-ce un rêve totalement irréalisable ? non puisque sa seule présence est bienfaisante et peut opérer des miracles. D’ailleurs les rêves où l’on a Dieu pour complice ne restent pas uniquement des rêves ; même intangibles, ils engendrent des réalités plus fortes que celles que la nature nous fournit lentement d’elle-même.
- Il y a enfin une tâche admirable et pacifique encore à accomplir ; un état de choses plus triste que tout auquel il faut remédier ; car la blessure qu’il cause au cœur même de la Chrétienté enlève à la Chrétienté une partie de sa force : la division des Confessions Chrétiennes.
L’Union des Églises est un des devoirs de l’heure présente. – Elle doit avoir lieu – c’est une chose prédite par le Christ lui-même, désirée par tout ce qui porte le nom de chrétien : c’est une chose sainte et une chose nécessaire.
Elle doit englober d’abord ces églises d’Orient que rien et tout sépare de Rome (rien de consistant, mais quelque chose de plus fort que tout, un préjugé devenu plus puissant qu’un dogme), ces églises qui ont eu le plus splendide des passés jusqu’à leur schisme, la plus irrémédiable stérilité depuis – qui ont tous les éléments de la vie et qui s’isolent dans une sorte de sommeil – qui veulent ignorer l’Occident pour se donner l’illusion d’exister seules, et qui ne le peuvent, et qui le pourront de moins en moins – car l’Orient ne peut se soustraire longtemps encore à l’influence de la moitié de l’humanité qui s’est le plus développée durant ces derniers siècles : il devra choisir bientôt entre l’Occident rationaliste et antichrétien et l’Occident Catholique. Ce sera pour le christianisme oriental une question de vie et de mort. C’est ce qui fait que la question de l’Union est non seulement capitale, mais actuelle. L’Orient a tout à gagner à l’Union ; elle lui apportera la seule chose qui lui manque vraiment, un centre d’unité, de direction, de communion, de vie. À un point de vue secondaire ses rites, ses habitudes, sa hiérarchie, ses privilèges, sa personnalité propre resteront entières. Il sera le même avec en plus, le principe qui a été la force, le fondement de l’Église d’Occident, de l’Église, le principe de Saint Pierre, la Papauté. Il a quelque chose il est vrai, à perdre à cette Union ; et c’est en effet quelque chose de grand et de grave – mais point au sens où l’on veut l’entendre – ce qu’il a à perdre : c’est son inertie, c’est son sommeil, c’est son inconsistance.
Est-il beau de déclamer contre les « innovations » du Catholicisme romain – quand on est coupable de la seule innovation qui soit vraiment coupable dans l’histoire chrétienne : près de mille ans sans un génie chrétien, sans une voix inspirée de Dieu, sans une grande œuvre chrétienne, sans une participation aux grandes douleurs de l’humanité, sans une de ces merveilleuses poussées d’ordres religieux soignant par tout le monde les plaies du Christ, sans une de ces assemblées de toutes races où l’on ne se sente qu’un cœur et qu’une âme devant Dieu – sans saints nouveaux et sans nouveaux miracles.
De façon paternelle toute, Léon XIII, à plusieurs reprises a élevé la voix en faveur de l’Union. Par deux encycliques surtout, conçues avec une modération, une largeur de vues admirables, un esprit vraiment chrétien (où serait-il s’il n’était pas là ?). On n’y a répondu officiellement que par des grossièretés faites exprès, semble-t-il, pour dissiper les dernières illusions sur la valeur morale des résistances à l’Union. Il a su émouvoir beaucoup d’âmes par cet acte et par la façon dont il l’a accompli. Ce n’est pas assez encore. S’il n’est pas trop risqué de le demander ici, il nous faut encore à ce sujet une parole, un geste de lui. Il doit profiter de ce que Dieu lui a permis d’être lui-même pour appeler encore une fois – avant de franchir le seuil redoutable, avec toute l’autorité de son âge, de son esprit, de sa dignité, avec tout le prestige de cette heure, toute la grâce de cette année de joie. En plus de tout ce qu’il tient de son rang et de son sacerdoce, Léon XIII est une force par lui-même et cette année plus que jamais, une force glorieuse. Que cette force serve encore une fois pour donner au monde des paroles attendues. Il verra de quelle voix certains lui répondront, cette fois-ci.
Quoi qu’il en soit, ce qu’il a fait jusqu’ici en ce sens, encycliques, fondations, missions, etc., etc., pour pénétrer partout en Orient avec l’esprit d’unité et de charité, qui est l’esprit chrétien – peut compter parmi ses titres de gloire les plus sûrs, parmi ses actes les plus susceptibles de conséquences et d’avenir.
Nous avons considéré Léon XIII dans la sainteté de sa vieillesse, dans son caractère sacerdotal, en sa personnalité propre, dans ses œuvres et ses idées les plus fécondes. Le voilà maintenant devant nous qui arrive, porté lentement vers la chapelle du Saint Sacrement, tandis que tout un peuple l’attend, avec cette impatience et ce sourd murmure que l’immensité de Saint-Pierre transforme en une sorte de silence inquiet. – Il arrive devant l’hostie consacrée et se prosterne. – Comme aux temps anciens suivant le rite des siècles lointains « salutat sancta » ; ce qui est la suprême autorité humaine des chrétiens s’agenouille devant la parcelle blanche, le rien silencieux qu’est là le corps de son Sauveur. – Il tâche de puiser auprès de Lui une leçon d’humilité, il pense à son indignité devant Celui qui s’est anéanti jusque-là pour nous servir de nourriture, Celui qui était Dieu, fils de Dieu. Il pense aux jours innombrables où il l’a reçu, à la vie qu’il lui doit, à l’éternité qu’il lui promet. Si Dieu le permet, par une grâce, il le sent, et son cœur qui a déjà si longtemps battu, remue plus vite dans un mouvement de ferveur et d’amour.
Puis, après avoir puisé là la force de l’âme, le goût d’une présence invisible, il passe dans la foule pour aller célébrer le sacrifice éternel. Cette foule, elle remplit d’une croix mobile, noire et frémissante, la grande nef – et, dès qu’elle voit apparaître au-dessus des flots humains de l’entrée le cortège qui chante, tandis que sonnent les trompettes d’argent, elle crie par mille cris divers ce que disent là-haut en lettres colossales, autour du transept, les passages de l’Évangile : « Tu es Petrus… Pasce oves meas… », elle applaudit à faire trembler les hautes voûtes. – Ces cris et ces applaudissements, un Zola, père de Nana et de Pot-Bouille, auteur sacré de la Terre, peut les maudire par la très pure et très sainte bouche de son « Abbé Pierre » ; je dois avouer que dès la première fois où je les ai entendus ils m’ont ému ; et que j’ai crié moi-même, qui n’ai pas, il est vrai, porté en moi Nana, Pot-Bouille, ni la Terre. Je les ai comparés dans mon cœur et dans mon souvenir aux cris et aux applaudissements déjà entendus : et j’ai remercié Dieu que l’on pût applaudir ceci, qu’il y eût un endroit au monde où l’on put applaudir ceci, qu’il y eût ici pour les applaudissements une rédemption, pour l’enthousiasme un asile qui ne fût pas honteux. Je dois avouer que j’aime ces acclamations où nul sentiment bas n’intervient, qui vont généreusement à un Donneur d’Invisible, et qui reposent si bien de toutes celles que nous avons ouïes.
Je crois et je souhaite que Léon XIII préfère à l’émoi que lui cause leur fracas le tremblement intime d’une prière solitaire dans son petit oratoire, un soir qu’il a cru sentir le passage d’une volonté de Dieu – je suis sûr qu’il doit les aimer quand même, et avec raison ; car il sent à travers elles, la présence de quelque chose de meilleur que l’homme – le meilleur de l’homme – admiration, respect, piété, affection désintéressée… À entendre leur rumeur, fondue par la vaste profondeur de la basilique en une seule voix harmonieuse qui semble représenter la voix de la chrétienté fidèle, il y a pour lui comme une revanche des misères, des laideurs et des blasphèmes de l’heure présente ; pour nous, dans son seul passage bénissant, un réconfort, entre lui et nous la présence d’un esprit consolateur. Incarnation d’une promesse évangélique confirmée par dix-neuf siècles, spiritualisé par son âge et son sacerdoce, il s’avance vers l’autel, répondant aux clameurs par ce signe de rédemption qu’un enfant peut tracer et que tous répètent – par ce signe de la croix, autour duquel dans les flots de la foule s’opère comme une rassurante marée d’âmes. L’admirable sottise aux yeux des Juifs et des Grecs – celle de la foule anonyme que contente, que prosterne vers le sol une bénédiction pareille ! Quelque chose se rachète ici aussi, notre besoin de tout marchander, notre insatiabilité… La nef est déjà parcourue presque dans son entier – les clameurs viennent maintenant retentir sous la coupole – les voix et les battements de mains ont suivi là celui qui guide le Monde vers Dieu et qui va porter en notre nom, tantôt, à Dieu, en les ramassant dans un seul sacrifice, toutes nos prières.
La main transparente levée depuis l’entrée dans le Sanctuaire, va s’abaisser. Elle n’a pas trahi trop de fatigue visible ; parmi tous ces gestes de vieillard, celui-là, exercé depuis si longtemps, a gardé seul la jeunesse des choses éternelles. Comme dans un dernier effort, les acclamations redoublent d’intensité et leur sonorité va au cœur… Quelque chose me paraîtra tantôt plus grand encore, le silence de la messe, le tressaillement muet de l’élévation ; mais en ce moment, cette tempête finissante de voix produit un effet poignant ; je regarde ceux qui crient ; il en est de toute condition, de tout pays, de tout âge. Les jeunes y vont de tous leurs poumons.
C’est qu’il y a dans leur acclamation plus qu’un remerciement, un hommage, un espoir, un souhait, il y a une promesse et un engagement.
Au nom de beaucoup, qui, tous, ne m’ont pas même dit leur nom, mais que je sens autour de moi et que je reconnais, je suis venu porter ici un écho de ces jeunes voix. Ayant à peine dépassé le quart de siècle que l’on fête aujourd’hui, placé entre l’impertinence de parler, et la faute de me taire j’ai tenu, moi, né loin de Rome, et devenu romain de cœur, d’esprit et de foi, à dire très haut ce que je pense avec tant d’autres – ce que voient ceux qui ne ferment pas tout exprès les yeux, – ce que nous impose notre devoir d’homme et de chrétien.
Il y a ici à la fois, je le répète, une acclamation, une parole de foi, et une promesse. Nous lui promettons, nous les jeunes, à ce vieillard qui nous bénit, de crier si fort la Vérité chrétienne que les plus sourds l’entendront, de mettre si fort à l’œuvre nos âmes que les plus durs en seront émus, d’agir et de vouloir tant et tant, que, avec la grâce de Dieu, quelque chose en sera changé dans le monde. Ne peut-on pas espérer quelque chose quand on est avec Celui qui peut tout ?
Vladimir Ghika
Annexe 3
Un nouvel apostat[30]
Nous sommes forcés, aujourd’hui, d’ajourner la série d’articles consacrée à la Propagande papiste en ce pays, à cause d’un coup de tonnerre venu du Vatican, de la Rome du Pape, la ville éternelle, Capitale des Rois d’Italie.
Dans une revue illustrée dédiée à la propagande papiste universelle, M. Vladimir Ghika, sous sa propre signature, fait savoir urbi et orbi qu’il s’est converti au papisme !
Il s’entend bien que, s’il s’était agi d’une personne qui, de par les circonstances indépendantes de sa volonté, était restée dès son enfance éloignée de sa langue, de la loi ancestrale, de la tradition et des sentiments du peuple roumain, il aurait été exagéré d’hurler que cette douloureuse chute nous a frappé comme un coup de foudre.
Mais voilà, il s’agit d’un rejeton de la société aristocratique roumaine : M. Vladimir Ghika est deux fois petit-fils de Prince, du côté paternel il est le petit-fils du prince de Moldavie Grégoire Ghika, et du côté maternel il l’est du prince de Valachie Alexandre Ghika. En plus de cela, M. V. Ghika, étant un jeune homme cultivé, ayant déjà dépassé la première jeunesse, son abjuration de la foi de ses ancêtres apparaît comme un événement assez grave pour notre société.
L’on voit que, même si ses sentiments sont grandement égarés par rapport à la foi ancestrale, il s’est rendu compte de la gravité de l’acte qu’il commettait, puisqu’il a senti le besoin d’alléger sa conscience par un très long article de profession de foi, intitulé « le Trois Mars », date du jubilé des 25 ans de pontificat de Léon XIII.
Le prologue et l’épilogue de ce splendide morceau de littérature en langue française est consacré à la fanatique glorification de la papauté et du Pape Léon XIII ; et si l’on devait le dépouillé de l’effervescence commune à tous les néophytes, l’on pourrait le considérer comme un jugement impartial sur les mérites incontestables de l’actuel Évêque de Rome, pour avoir relevé le prestige de la papauté du monceau de ruine laissé par la succession de Pie IX.
Pour synthétiser l’exposé qu’il fait du pouvoir papal et de sa nécessaire domination universelle, il résume le programme de la Papauté conçu et suivi par Léon XIII et qu’il reste à la chrétienté de demain de mener à son terme, aux quatre points cardinaux suivants : 1) L’indépendance absolue de l’Église ; 2) La question sociale ; 3) L’arbitrage international et 4) L’union de l’ensemble des Églises sous l’autorité du pape.
Sur les trois premiers points, nous ne suivrons pas le papiste néophyte dans son appréciation des succès obtenus jusqu’à présent par le papisme, concernant leur résolution ; quoiqu’il nous paraisse risqué de se louer soi-même en ce qui concerne l’exercice de l’arbitrage sur la question des Carolines[31], qui ont été l’œuvre du protestant Bismarck, ainsi que l’introduction nominale de l’arbitrage dans le droit international, due à l’initiative du schismatique Nicolas II !
Nous ne nous arrêterons donc que sur le point IV : l’Union des Églises, qui se pose également concernant la conversion que nous déplorons. Voilà comment M. V. Ghika formule sa foi en la matière :
« L’Union des Églises doit englober d’abord ces églises d’Orient que rien et tout sépare de Rome (rien de consistant, mais quelque chose de plus fort que tout, un préjugé devenu plus puissant qu’un dogme), ces églises qui ont eu le plus splendide des passés jusqu’à leur schisme, la plus irrémédiable stérilité depuis – qui ont tous les éléments de la vie et qui s’isolent dans une sorte de sommeil – qui veulent ignorer l’Occident pour se donner l’illusion d’exister seules, et qui ne le peuvent, et qui le pourront de moins en moins – car l’Orient ne peut se soustraire longtemps encore à l’influence de la moitié de l’humanité qui s’est le plus développée durant ces derniers siècles : il devra choisir bientôt entre l’Occident rationaliste et antichrétien et l’Occident Catholique [papiste]. Ce sera pour le christianisme oriental une question de vie et de mort. C’est ce qui fait que la question de l’Union est non seulement capitale, mais actuelle.
L’Orient a tout à gagner à l’Union ; elle lui apportera la seule chose qui lui manque vraiment, un centre d’unité, de direction, de communion, de vie. À un point de vue secondaire ses rites, ses habitudes, sa hiérarchie, ses privilèges, sa personnalité propre resteront entières.
Il sera le même avec en plus, le principe qui a été la force, le fondement de l’Église d’Occident, de l’Église, le principe de Saint Pierre, la Papauté. Il a quelque chose il est vrai, à perdre à cette Union ; et c’est en effet quelque chose de grand et de grave – mais point au sens où l’on veut l’entendre – ce qu’il a à perdre : c’est son inertie, c’est son sommeil, c’est son inconsistance.
Est-il beau de déclamer contre les innovations du Catholicisme romain – quand on est coupable de la seule innovation qui soit vraiment coupable dans l’histoire chrétienne : près de mille ans sans un génie chrétien, sans une voix inspirée de Dieu, sans une grande œuvre chrétienne, sans une participation aux grandes douleurs de l’humanité, sans une de ces merveilleuses poussées d’ordres religieux soignant par tout le monde les plaies du Christ, sans une de ces assemblées de toutes races où l’on ne se sente qu’un cœur et qu’une âme devant Dieu – sans saints nouveaux et sans nouveaux miracles. »
Il serait oiseux en l’occurrence et il ne serait guère possible dans ce cadre limité d’exposer de manière détaillée les causes de la séparation des Églises provoquée par les écarts par rapport à la parole de vérité faits par les papes de l’ancienne Rome si brillants, comme la lumière du jour, énoncés pour la première fois par le grand Photius en 862 et définitivement promulgués par l’acte du Triomphe de l’orthodoxie en 1053 par le glorieux Patriarche Michel Cérulaire, Pape de la Nouvelle Rome.
Nous pensons que l’apophtegme comme quoi rien et tout sépare les Églises Orientales de la Rome papiste et que tout se réduit à un préjugé plus fort qu’un dogme est trop commode, pour ne pas dire puéril.
Il n’y aurait que les hérésies et les innovations constatées et imputées aux Papes depuis le XIe siècle, la juste séparation du fait des actes scandaleux du Concile papal du Vatican de 1869 n’en serait pas moins écrasante, Concile qui, par les nouveaux dogmes qu’il a promulgués, a fait pour toujours tabula rasa de la pure foi donnée au monde par le Sauveur et a confisqué, au profit de la toute-puissance papale, l’infaillibilité des conciles écuméniques ; en retirant pour toujours à l’Église papale le droit de se réunir en cette grande assemblée, que l’on accuse insolemment l’Orient de n’avoir pas réuni depuis presque mille ans.
Il est en outre fort commode d’imputer à l’Orient son absence de mouvement, son sommeil et son inconsistance après qu’il a subi six siècles de suite le joug de la sanglante tyrannie musulmane, que rendait encore plus odieux l’attitude des papes d’autrefois, quand ils s’alliaient aux Turcs pour étouffer la chrétienté orientale !
Il est facile de parler des grandes œuvres du papisme, quand celui-ci a bâti son pouvoir expansionniste alors que les Papes étaient dispensateurs de couronnes princières ou royales en faveur des souverains qui s’élevaient sur les ruines de l’Empire Romain d’Occident.
Les nouveaux saints et les nouveaux miracles de l’Orient, ce sont tous ces fidèles et ces prêtres de l’Église Orthodoxe qui ont souffert et ont été martyrisés et humiliés depuis six siècles sous la tyrannie barbare, pour la vraie foi dans le Christ ! Le génie chrétien et la voix inspirée de Dieu se sont étendus sur l’ensemble de l’Église Orientale et a culminé avec la profession de foi orthodoxe, grâce au grand hiérarque Petru Movilă, lui aussi petit-fils d’un prince de Moldavie, profession qui a guidé les peuples orientaux vers la liberté et vers leur prise de conscience nationale.
Que dire encore sur la bénédiction du sacerdoce et l’immaculé culte des saints sacrements apostoliques de l’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ ?
C’est assez, pensons-nous, de rappeler à ce déplorable néophyte papiste que l’évêque orthodoxe le plus pécheur, qui porte amèrement sa croix sur les bords de l’Euphrate noyé sous les Barbares, ne saurait unir par les liens sacrés du mariage un chrétien et un non-chrétien, comme le font les très lucratives dispenses accordées par le pape à l’heure d’aujourd’hui, par lesquelles il est admis : l’administration du sacrement chrétien du mariage à des aristocrates chrétiens se mariant à des juives très riches mais non baptisées en Jésus-Christ !
L’Union des Églises, oui ! Nous l’implorons tous et notre Sainte Église Orthodoxe prie depuis des siècles « pour la prospérité de l’Église de Dieu et pour l’union de tous. »
Même l’union avec l’Évêque de Rome, comme premier parmi ses pairs, mais avec le pape monarque de toute la chrétienté, jamais, jamais !
Et cette vérité a été scellée pour toujours par le président de la congrégation des cardinaux pour préparer l’Union, instituée à l’avènement de Léon XIII, le cardinal Langénieux, qui, après dix ans d’études, de recherche et d’efforts de ladite congrégation, a conclu son rapport sur la clôture de son activité de la manière suivante :
« Tout espoir d’union des Églises orientales avec le Pape doit être abandonné. Parce que le Patriarche et l’ensemble de l’Épiscopat de l’Orient opposent un dilemme inextricable : Nous ne pouvons aller ni n’irons à l’ancienne Rome, parce que nous n’avons rien changé ni rien innové par rapport au dépôt sacré de la foi laissé à l’Église du Christ par les Saints Apôtres et par les Saints Pères des conciles œcuméniques. C’est le Pape qui a innové et a altéré ces assises, c’est lui qui doit aller à la Nouvelle Rome. »
De ce qui précède, il ressort que, dans le cas de M. Vladimir Ghika nous n’avons pas à déplorer l’un de ces égarements dus aux tentations de la jeunesse, parce que celui-ci ne s’est pas contenté de faire l’apologie de son nouveau despote spirituel, ni de faire l’éloge de la nouvelle foi à laquelle il s’est converti, il a fait le procès diffamatoire de la foi et de l’Église ancestrale, ce pourquoi nous sommes malheureusement obligés de qualifier sa conversion au papisme de sombre apostasie.
- Vladimir Ghika aurait dû faire preuve de plus de constance à l’égard de sa nation et du pieux souvenir de ses ancêtres princiers et il est fort douloureux de constater qu’il cherche de nouveaux saints quand, dans sa propre famille, se trouvait une véritable sainte, la bienheureuse Constance, Comtesse Rasponi, née Ghika[32], qui, voilà un demi-siècle, se mariant à un illustre aristocrate italien[33], passant sa vie entière au sein d’une société papiste ultra-catholique, a réussi à élever ses enfants dans la religion de leur père selon les coutumes du lieu et ne s’est pas laissée dévier de sa voie par l’amour le plus chaleureux qui n’a cessé un instant de l’entourer au sein de sa nouvelle famille, restant fidèle jusqu’à sa mort à la loi ancestrale de notre sainte Église Orthodoxe dans laquelle elle a vu le jour et a glorifié sa nation.
Que l’effrayant pas fait par M. Vladimir Ghika réveille des tourbillons de la malheureuse imitation de l’étranger qui a gagné une partie de notre société, du danger qu’elle fait peser sur ce pays en continuant à aliéner la langue, les coutumes et les sentiments du peuple, à mesure qu’ils s’écartent aussi de la foi ancestrale, l’abîme qui les sépare du peuple devient infranchissable et leur perte assurée ; parce que le peuple roumain ne reniera jamais, comme il l’a prouvé depuis des siècles, la foi de ses ancêtres.
Baba-Novak
[1] Autobiographie 1901/1902, Archives Vladimir Ghika – ARCB, Fonds Institut Vladimir Ghika, CII.D1.F1. Voir le document intégral en Annexe 1.
[2] Vladimir Ghika fait référence à l’année du Jubilé pontifical du pape Léon XIII, commencé le 20 février 1902, 24e anniversaire de l’élection du pape. Pendant plus d’un an, jusqu’au 3 mars 1903 – 25e anniversaire de l’intronisation – ont lieu à Rome des messes, des processions, des audiences, à l’occasion de la fête de l’élection et de l’intronisation du pape (v. La Croix, des 20, 21 février, 2-3, 4 mars 1902; 20, 21 février, 3, 4 mars 1903).
[3] Le Père Horia Cosmovici, catéchisé à 34 ans par Vladimir Ghika lui-même, ordonné prêtre gréco-catholique à 60 ans, dans son livre, conçu en détention, fait le portrait du catholique : « Le catholique, dans son Église, possède : 1) la Légitimité, c’est-à-dire la descendance correcte, légale, naturelle. Entre lui et l’enseignement du Rédempteur rien d’étranger ne s’interpose, son développement au fil du temps se faisant de manière naturelle, dans le cadre de la plus stricte légalité, de la plus âpre exigence. 2) L’Infaillibilité, car, grâce à la légitimité, la grâce promise par Jésus à Pierre et à ses successeurs fait œuvre sans aucun obstacle, intégralement, inaltérée. 3) L’Autorité. Rien de plus naturel que celle-ci. Là et seulement là où il y a légitimité, l’autorité peut complètement agir, ne pouvant être contestée. Et, en même temps, quand il s’agit de vérités absolues, l’on ne peut avoir d’autorité si l’infaillibilité, strictement délimitée comme on l’a vu plus haut, n’est assurée. 4) L’Exactitude et la précision du dogme. Quelle grande chose de savoir que les vérités pour lesquelles l’on nous demande de donner notre vie, en témoignant s’il le faut de notre propre sang, sont des vérités absolues. Quelle tragédie quand il faut parfois vivre le drame du martyre et de ne pas savoir si la vérité que l’on assume est telle que l’on en témoigne ! Rien de plus tragique que l’imprécision dans ce domaine : répondre de manière absolue à des valeurs relatives, approximatives ! 5) La Continuité des saints, par la légitimité et l’autorité de l’Église. Ici, dans l’Église Catholique, l’on a, depuis la fondation jusqu’à nous, une série ininterrompue d’intercesseurs. L’on a, de manière autorisée, toute une gamme de modèles qui aident à l’épanouissement sur le plan surnaturel, selon nos spécificités. Dans ces conditions, le salut se fait beaucoup plus facilement et dans les meilleures dispositions. Et comme ce qui se gagne est surnaturel et pour l’éternité, la valeur du « plus petit » des gains est extraordinaire. » – Horia Cosmovici, Manualul omului politic creştin (Manuel de l’homme politique chrétien), éd. Crater, 1995, p. 327-328.
[4] Combien ses tourments étaient peu compris et combien ses préférences étaient mal interprétées (les auteurs classiques français étaient considérés comme de bêtes courtisans) cela résulte des lignes suivantes : « À l’automne 1895, j’ai fait la connaissance et je me suis rapproché de deux familles auxquelles j’étais apparenté de près : celle du frère de mon grand-père, le prince Iancu Ghika et la famille d’A. Balș. La première se composait alors de ma tante Alexandrine et de ses fils Alexandre dit Rapineau (parce qu’il peignait de temps en temps), Vladimir et Démètre… Rien ne laissait alors voir que Vladimir, qui s’occupait alors surtout de lire des mémoires sur les cours des rois Louis XIV et Louis XV, devait devenir prêtre catholique. L’on dit qu’en cette qualité il est fort charitable et qu’il fait beaucoup de bien aux pauvres de la banlieue de Paris. » – General Radu R. Rosetti, Mărturisiri (I) (Témoignages I), Colecția Convorbiri Literare, 1940.
[5] Eudoxiu Hurmuzaki, Documente privitoare la istoria românilor (Documents relatifs à l’histoire des Roumains), vol. 5, partea 2: 1650-1699, București 1886, p. 113-114. L’original est en italien.
[6] Voir le texte intégral en Annexe 2.
[7] Epoca, an VIII, n° 2017 – 115, 1er mai 1902. L’auteur est proche de la hiérarchie orthodoxe, il a publié dans Epoca, entre avril et mai 1902, en huit épisodes, un exposé intitulé « la Propagande papiste », interrompue par l’article « Un nouvel apostat » et reprise ensuite. Le ton est violemment anticatholique et attaque, l’un après l’autre, l’archevêque Xavier Hornstein, l’évêque Dominique Jaquet, les Sœurs de l’Institut Sainte-Marie et de Notre Dame de Sion, les dames de la haute société, « mondaines » converties à la foi catholique, les autorités roumaines trop tolérantes envers les catholiques.
[8] Voir le texte intégral en Annexe 3.
[9] « Convertirile » (les Conversions), dans le Telegraful român (le Télégraphe roumain), n° 51, 7/20 mai 1902, p. 201.
[10] Commentaire de Baba Novak.
[11] Photios ou Photius I (820-891 ou 897), érudit et homme politique byzantin, patriarche de Constantinople (858-867 et 877-886). L’Église latine l’a longtemps présenté comme le principal responsable du schisme du IXe siècle. En fait il s’est finalement réconcilié avec le pape Jean VIII.
[12] Michel Cérulaire (né vers l’an 1000), haut fonctionnaire byzantin. Impliqué dans un complot contre l’Empereur Michel IV, il décide de se faire moine pour échapper à la justice. Il est patriarche de Constantinople de 1043 à 1058. Humbert de Moyenmoutier, envoyé du pape Léon IX, l’excommunie en 1054. Le 7 décembre 1965, avant-dernier jour du Concile Vatican II, le pape Paul VI lève l’excommuniions prononcée contre Michel Ier Cérulaire en même temps que le patriarche Athénagoras Ier de Constantinople lève celle contre le cardinal Humbert de Moyenmoutier.
[13] Le Mouvement d’Oxford (Oxford Movement) est un courant théologique du XIXe siècle de réforme de l’anglicanisme. Le Mouvement d’Oxford est progressivement devenu de plus en plus favorable au catholicisme et de plus en plus critique par rapport au protestantisme. Finalement, le Mouvement d’Oxford s’est vidé de sa substance quand John Henry Newman (1801-1890) s’est converti au catholicisme en 1845, suivi, en 1851, par Henry Edward Manning (1808-1892).
[14] « Rejeton princier ».
[15] « très princier ».
[16] « ancestrales ».
[17] L’article est écrit en février ; la conversion a lieu le 15 avril.
[18] C’est-à-dire l’orthodoxie.
[19] Vladimir Ghika ne considérait pas sa famille comme étant d’origine phanariote.
[20] Lucas Notaras (décédé en 1453), dernier Grand-Duc de l’Empire Byzantin.
[21] Marc d’Éphèse (Marc Eugénikos, 1392-1444), archevêque d’Éphèse. C’est le seul évêque oriental qui a refusé de signer le décret élaboré par le Concile de Florence.
[22] Benoît-Marie Langénieux (1824-1905), ecclésiastique français, archevêque de Reims et cardinal.
[23] Sur Newman et Manning, voir la note plus haut.
[24] Sofia Petrovna Svetchina, née Soimonova (1782-1857), écrivaine ruse favorable aux idées catholiques.
[25] Archives Vladimir Ghika – ARCB, Fonds Institut Vladimir Ghika, CLII.D1.P2.
[26] Ce n’est pas très clair. Peut-être est-ce une erreur dans la transcription de la lettre. Nous ne possédons qu’une copie faite par le Père Georges Schorung. En tous cas, il est clair qu’il est ici question de l’Union des Églises.
[27] Archives Vladimir Ghika, Cahier Schorung, ch.1 39-40 ScanImage024466-024467, copie manuscrite du Père Georges Schorung.
[28] Archives Vladimir Ghika – ARCB, Fonds Institut Vladimir Ghika, CII.D1.F1.
[29] Le Monde Catholique illustré, IVe Année, Rome, 15 mars 1902, pp. 129-133.
[30] Baba Novak, « Un nou apostat » : Epoca, an VIII, n° 2017 – 115, 1 mai 1902, page 1 (Baba Novak est le pseudonyme du journaliste serbe Miloş Lugomirski, roumanisé en Milone Lugomirescu, un proche de la hiérarchie orthodoxe, actif dans la période 1883-1913.) [n. I. Narcis]
[31] « Dans le courant du mois de septembre 1885, un conflit grave s’étant élevé entre l’Espagne et l’Empire allemand aux îles Carolines, le prince de Bismarck, qui ne voulait pas se brouiller avec le cabinet de Madrid, proposa au gouvernement d’Alphonse XII de prendre le Pape comme arbitre ; et, le 24 septembre, le marquis de Molins venait demander au Saint-Père d’accepter ce rôle de pacificateur. » (Ed. Lefebvre de Behaine, « Léon XIII et le prince de Bismarck », Revue des Deux Mondes tome 142, 1897, p. 51).
[32] Constance Ghika (1835-1895) descendante du Prince de Valachie, Alexandru Dim. Ghika (1796-1862) [n. I. Narcis]
[33] Gioacchino Rasponi-Murat, fils du Comte Giulio Rasponi et de la nièce de Napoléon Bonaparte [n. I. Narcis]
Narcis Ispas, Luc Verly
Articol publicat în traducere, în revista Pro Memoria, nr. 17-18 / 2018-2019, p. 205-275.