Benedict Ghiuș (1904-1990)

 

Si Benedict Ghiuș vient voir Vladimir Ghika le 2 janvier 1947 à Saint-Vincent-de-Paul, c’est probablement pour lui transmettre ses vœux de nouvel an, mais aussi pour lui présenter sa thèse, Doctrina răscumpărării în imnografia (la Doctrine du rachat dans l’hymnographie), puisqu’il vient d’obtenir le titre de docteur en théologie l’année précédente. Car s’il a pu l’obtenir, c’est très certainement en partie grâce au soutien du prélat catholique, qui lui a permis d’étudier à l’étranger, en France, à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg (1927-1932), et ce avec l’aval du Patriarche orthodoxe, Miron Cristea, qui avait demandé à Vladimir Ghika d’intervenir en ce sens en faveur de ses meilleurs étudiants en théologie, afin d’élever le niveau de formation des prêtres de son Église. Car, oui, j’ai oublié de le signaler au départ, Benedict Ghiuș est un théologien orthodoxe. Fort de sa solide formation religieuse, de sa foi et d’une intelligence remarquable, ce dernier occupe très jeune des postes importants au sein de l’Église Orthodoxe Roumaine, devenant notamment professeur assistant à la Chaire d’Ascétique et de Mystique à la Faculté de Théologie Orthodoxe de Bucarest (1944-1948).

À cette époque, aux côtés de Sandu Tudor, l’archimandrite Benedict fonde le groupe Buisson Ardent au monastère Antim à Bucarest, groupe à tendance mystique qui privilégie tout particulièrement la pratique de la prière perpétuelle. Vladimir Ghika, le 25 mars 1947, à l’instigation de son fils spirituel Agenor (Bob) Danciul, participe à l’une de ces réunions. Et il semble qu’il répétera plusieurs fois cette expérience. Le groupe sera interdit en 1948 mais poursuivra son activité jusqu’à l’arrestation de l’ensemble de ses membres en 1958. Et Benedict Ghiuș suivra là encore les traces de Vladimir Ghika, puisqu’il passera lui aussi par la sinistre prison de Jilava. Il sera libéré en même temps que les autres prisonniers politiques, en 1964 et retrouvera alors son poste de prêtre de la Cathédrale Patriarcale de Bucarest avant de se retirer définitivement en 1974 au monastère Cernica, près de Bucarest, où il décédera en 1990.

Au cours de la discussion de janvier 1947 avec Vladimir Ghika, Benedict Ghiuș a très certainement évoqué la personne de son maître à penser, le théologien Dumitru Stăniloae et a probablement éveillé chez le prélat catholique l’envie de connaître ce brillant professeur orthodoxe. C’est ainsi que Vladimir Ghika, au cours de l’année 1947, assiste par deux fois aux cours de Dumitru Stăniloae, en présence de Benedict Ghiuș. Au témoignage d’Agenor Danciul, le maître théologien orthodoxe ne semble pas avoir été enchanté de cette visite surprise. Comme le fait remarquer Cătalin Bogdan, dans un article bien documenté[1], le soi-disant « théologien de l’amour » ne portait pas les catholiques dans son cœur… un peu plus cependant que les Juifs ! Rappelons qu’un an plus tard, en 1948, Dumitru Stăniloae accueillera avec grande joie la suppression de l’Église Gréco-Catholique par les communistes et l’intégration forcée de ses fidèles à l’Église Orthodoxe.

L’on peut déplorer qu’un homme de la qualité de Benedict Ghiuș ait pu préférer, comme maître à penser et à prier, un Dumitru Stăniloae à un Vladimir Ghika…

 [1] Cătălin Bogdan, « Omorul serafic – Cazul Stăniloae » (le Meurtre séraphique – le cas Stăniloae), Revista 22, des 2 et 9 février 2016.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 12 / 2021, p. 27.