Allocution prononcée par Mgr. Ghika protonotaire apostolique à l’occasion du mariage de Jean et Sonia Daujat, le 15 Novembre de l’an de grâce 1930 en l’église de Saint Jaques du Haut-Pas à Paris

 

                  Mes Frères en Jésus-Christ,

Si j’ai à vous saluer tous ici et a m’adresser a vous, c’est à vous surtout que je dois parler au nom de Dieu, mes chers Enfants, en vous nommant de ce titre que le titre de Père selon Dieu, par vous, sui­vant la coutume, attribué à mon sacerdoce, me permet et me commande même de vous donner avec une noblesse de sens et une plénitude de vérité que la foi seule peut fournir, car il implique une véritable paternité spiri­tuelle, par le sang de Jésus-Christ et l’opération du St-Esprit. Mes chers Enfants, dis-je, je viens vous porter ici, avec la parole de Dieu et de sa part – autant que je le puis – le commentaire vivant de ce que vous accomplissez à cette heure, de ce que Dieu met en ce moment à votre disposition, de ce qu’Il attend de vous et de ce que nous attendons de vous, Lui, qui vous aime et vous veut ,,bien à Lui”, nous, qui tenons à vous par de véritables et précieux liens.
Je ne suis là que pour rendre de mon mieux plus sensibles cette présence et cette action divines qui enveloppent tout, pour essayer de souligner devant vous, avec l’aide du Saint-Esprit pré­parant mon âme et la votre à cette tâche, toutes les réalités sur­naturelles qui se font jour ici. Des réalités et des actualités toutes faites pour vous, pour votre bonheur et votre salut.
Vous venez de prendre part à une messe: le Seigneur est venu pour vous sur cet autel, il y a été immolé pour vous, non point au figuré mais en vérité perpétuée, en réalité actuelle, vous disant à chacun: ,,Je suis là, corps, sang, âme et divinité, Moi, ton Sau­veur et ton Dieu; Je me suis livré à la mort pour toi; Je suis offert pour toi au Père Éternel, aujourd’hui même, et je ne l’ai pas été en vain”. Et après avoir participé à ce mystère aussi inouï que familier, vous allez tous deux au-devant d’un sacrement. Vous vous mettez pour cela en plein ordre de Dieu et vous fondez dès mainte­nant ce qui sera votre foyer, vous le fondez en l’établissant sur la pierre fondamentale elle-même de l’Église, selon ses lois les plus strictes, avec la bénédiction du successeur de Saint-Pierre, du chef et du soutien de l’édifice chrétien, tel que font voulu la parole et l’injonction formelle du Fils de Dieu.
Et tout cela s’accompagne et s’environne de grâces spécia­les, de secours venus de Dieu et des amis de Dieu, saints qualifiés ou chères âmes de morts ou de vivants établis en grâce de Dieu. Tou­tes ces réalités sont proches et vivantes. J’insisterai surtout sur quelques-unes, les plus nécessaires à rappeler.
Et tout d’abord, celle de ce sacrement que par devant nous, solennellement, vous vous conférez l’un à l’autre par le consentement de vos deux volontés. Un sacrement! Ce que trop de bonnes et pieuses âmes elles-mêmes oublient trop volontiers en cette matière, aussi bien dans leurs pensées que dans leurs actes.
Un sacrement: d’un mot, qui est la clé de tout le mystère de l’existence et de la destinée humaine! Vous ne recevez pas ici une simple bénédiction; ce n’est point seulement une sorte de contrat, si noble qu’il soit, qui vous unit; vous n’êtes pas ici au sein d’une pure cérémonie, pompeuse et touchante, traditionnelle et bienvenue, faite pour accompagner et pour solenniser le début de cette union. C’est quelque chose de bien plus grand. Vous avez à cette heure à jou­er un rôle sacré, presque sacerdotal, point de départ de conséquences sans nombres dans ce monde et dans l’autre. Ce que vous allez, d’un mot et d’un serment, réaliser, ce n’est pas la venue de la grâce cou­rante à l’égard d’un chrétien qui fait son devoir, c’est la prodigieuse richesse et le mystère vécu d’un sacrement véritable avec, si vous savez le pénétrer, le miracle de ses secours extraordinaires, le mira­cle fécond et familier, mais désormais sans cesse à votre portée, doué d’une abondance et d’une spontanéité qui peuvent être en Dieu tous les jours rajeunies et ressaisies.
Ce sacrement, qui vous associe à l’œuvre même de Dieu, vous en êtes les ministres dès l’heure même de l’échange de vos pa­roles données, et nous, prêtres, nous n’en sommes que les témoins autorisés. Aujourd’hui, par votre consentement et votre serment qui vous donnent l’un à l’autre et qui vous consacrent tous deux au Sei­gneur pour sa glorification, vous prononcez les premiers termes d’un office sacré qui dure autant que la vie et qui, parce qu’il est tel, ne cesse d’être une source de grâces jamais révoquée, un trésor où l’on peut toujours puiser en leur invisible origine, pour soi comme pour les autres, les lumières, les forces, les joies surnaturellement réservées par Dieu à qui sait les y trouver, pour nous aider à tra­verser victorieusement toutes les vicissitudes et les difficultés de la vie.
C’est quelque chose de si saint en soi que seule, dans l’Église, c’est à la messe quotidienne du prêtre que puisse se com­parer la journée de vie commune des époux chrétiens. Le tout est de le comprendre et, le comprenant, d’en vivre dignement. Ce sens du sacrement éclaire toute notre conception de la vie. Il préserve du mal et même de l’imperfection, comme il peut engendrer intarissable­ment le bien. Il éloigne des moindres profanations comme des fautes notablement plus graves, avec le sens du sacrilège plus ou moins accusé qui accompagnerait toute défaillance grande ou petite; on court moins le risque dès lors, dans la vie des époux, de faire ce qui pourrait altérer la sainteté du mariage ou se montrer peu confor­me à ses serments ou à ses lois. Que ne peut être une vie d’époux chrétiens avec l’intelligence vivante et toujours présente de ce caractère sacré, permanent, de cette sorte de ,,religion” intime, domestique, dans le rayonnement du sacrement institué par le Christ, reçu, vécu et toujours renouvelé!
N’est-ce pas que vous voulez vivre de votre mieux de cette vie-la, de cette vie comme Dieu l’a voulue, comme Dieu la veut ?
Tout cela est pour vous-mêmes, mais – sachez-le – pour le monde entier, dans cet état où vous entrez. L’armature même de toute la société repose sur deux seuls sacrements: celui de l’Ordre, qui fait le prêtre, celui du Mariage, qui fait la famille; celui qui amène le Christ sur l’autel et le distribue à tous, celui qui amène le chrétien, cet autre Christ, s’il est fidèle, à la vie de cette terre et du ciel. Vous êtes là, chacun, un des innombrables dépositaires de cette tâche divinement prescrite. Toute société ne persévère et ne progresse que par cela, si étrange que puisse paraître au pre­mier abord une telle affirmation.
Voilà ce que garde l’Église, ce qu’elle a reçu du Fils de Dieu, avec un soin jaloux, avec une sainte intransigeance dont tous ne conçoivent pas les raisons: le dépôt de la pure et inviolable doctrine sur un point d’application journalière et capitale. C’est le secret divin du bonheur individuel et général, terrestre et éter­nel, dont elle doit à tout prix conserver le dépôt et la toute­puissante vertu pour qui veut le comprendre et le vivre.
Et pourquoi cette surabondance, ce surcroît de secours divins, accords à l’acte d’union de deux êtres, alors qu’en sont dépourvus l’exercice redoutable lui-même de l’autorité et de la justice, si nécessaire à l’ordre du monde? Parce que, d’une part, nous avons ici le reflet concret de l’union du Christ et de ses fidèles dans l’Église suivant la parole de Saint-Paul, et que, d’autre part, c’est la mise en œuvre du rôle admirable dévolu à l’union de deux êtres humains.
Vous êtes là en effet, non seulement pour n’être plus, à deux, qu’une vie, qu’un cœur et qu’une âme, mais pour donner la vie à d’autres êtres, pour être associés à l’œuvre divine par ce qui ressemble le plus à une création.
Vous allez pouvoir appeler à l’existence des âmes nouvelles, des âmes immortelles, inévitablement vouées à une éternité qui, faite de joie ou de peine, est en toute hypothèse glorificatrice du Dieu vivant.
Et, dans la famille, une fois fondée de ces nouvelles âmes, quelle lumière et quelle force puisées dans le sacrement lui-même pour les conduire au but à travers la vie! Et, dans notre foi, quelle sure puissance d’action si, au-dessus de toutes les pédagogies, suivant le dogme trop peu souvent et peu pratiquement envisagé, nous faisons appel dans l’âme de l’enfant baptisé, non seulement à ce qu’il est selon la nature et la grâce de Dieu, mais à la présence certaine, à la sainte habitation de la toute-puissance divine, établie à demeure en lui au moins jusqu’au premier péché mortel, et venant à notre aide si nous l’évoquons pour lever l’enfant selon la loi de ce même Dieu!
Cette famille d’âmes ainsi suscitées et vouées à Dieu, c’est ce qu’on nomme d’un mot admirable, révélateur à la fois de chaleur, de lumière, de rayonnement, d’intimité, de sécurité: le foyer. Que votre foyer soit vraiment un foyer chrétien dans tous les sens du mot, pour vous et pour les autres, pour la paix et pour la joie de tous.
Est-ce si loin de terre, si distant de nous, ce que Dieu donne et attend de nous? Ce que le Dieu incarné, le Dieu fait homme est venu nous apporter, si démesuré, si divin qu’il soit, est fait à notre mesure, modelé sur notre humanité, avec toute la clairvoyance de l’Omniscient et toute l’efficacité secourable de l’Omnipotent. N’ayez pas peur de vouloir monter trop haut: plus vous le ferez, plus vous serez soutenus.
Comprenez cela. Bénissez le Ciel de le comprendre mieux à cette heure, faite pour mieux comprendre. Comprenez bien que, si le monde, doublé des intentions divines, est plus grand et plus beau qu’il ne paraît, que si les moindres de nos actes ont une valeur démesurée, en méritant ou déméritant pour la vie éternelle (la seule qui compte!), entre tous, un acte comme l’acte solennel d’aujourd’ hui se lie directement à Dieu et à son action dans le monde, avec une portée dont vous ne saurez jamais assez pénétrer la profondeur.
Pour juger de ces réalités et de ces actualités surnatu­relles, dont dès le début je voulais souligner davantage l’active présence, pour y songer, un acte comme celui-ci vous met au cœur même de la question. Vous voici, pour l’instant, l’âme en dehors des conventions humaines, en grâce de Dieu par une complète et bonne con­fession, près de l’autel du Sauveur, au seuil de la vie et d’une nou­velle vie, avec une intensité de conscience qui ne peut approcher que de celle du seuil de la mort. Vous n’êtes ici que deux chrétiens bap­tisés, nommés devant Dieu de votre seul nom de baptême, votre nom de vocation au salut, le seul qui compte dans l’Église, Jean et Sonia, jurant à Dieu et l’un à l’autre, quelque chose de saint et d’irrévocable pour avoir à en rendre compte au jour du jugement et pour accomplir de votre mieux, selon la volonté divine, l’œuvre que Dieu vous confie. Voyez cela hors du temps et du lieu, dans le fond de votre âme, comme avec le regard de Dieu et en sentant tomber sur vous aussi, plus que jamais à cet instant, avec l’amour infini du ,,Père qui est aux cieux” pour ses enfants, ce regard qui traverse tout, illumine tout, vivifie tout.
Soyez, près de cet autel, pour un inoubliable et très pur instant, hors d’un monde factice, dans la vérité spirituelle de l’âme, du monde et de Dieu.
J’ai jusqu’ici rappelé pour vous ce qui convient a tous. Maintenant je voudrais vous dire deux mots de ce qui convient plus particulièrement à chacun de vous. Pour l’un et pour l’autre, ce nom de baptême unique et essentiel devant Dieu, il est associé à d’autres noms de famille et à des particularités qui ne sont pas l’œuvre du hasard, mais ont leur place dans les desseins de la Providence. Je dois en parler; mais je n’en parlerai pas, ici non plus, de façon humaine et selon le monde.