En décembre 1925, Vladimir Ghika est abordé par une jeune femme, belle et pressée. Elle veut se marier, et vite ! Elle est Roumaine et s’appelle Alice Cocéa et est la sœur de l’écrivain communiste N. D. Cocea, père des futures actrices Tanți Cocea (1909-1990) et Dina Cocea (1912-2008). Lui, n’est pas encore connu, mais elle, l’est déjà, du haut de ses 26 ans. C’est même une vraie star du théâtre en France. Elle veut épouser le comte Stanislas de La Rochefoucauld, un grand et beau jeune homme. La voie est libre, car la justice a rejeté l’opposition des parents du comte, qui contestaient le mariage en invoquant la différence de condition entre les deux partis, mais cela n’a pas de poids dans la France républicaine et, comme le fera remarquer plus tard Vladimir Ghika, le père d’Alice est tout de même général et a été aide-de-camp du prince Al. I Cuza.

Pour la jeune orthodoxe, il ne reste plus donc qu’à se convertir au catholicisme. Vladimir Ghika est sans doute charmé par la jeune femme, mais pas envoûté : il lui explique calmement et fermement qu’elle doit suivre une catéchèse durant quelque temps, que l’abjuration n’est pas un scène de théâtre que l’on joue pour la galerie. Ce n’est pas la réponse qu’elle attend et, très en colère, elle va voir ailleurs pour obtenir ce qu’elle veut… et elle l’obtient (qui lui résisterait ?) car elle se marie peu après, le 2 janvier 1926.

Ce mariage fait à la va-vite se termine aussi assez rapidement. Alice Cocéa demande et obtient le divorce en 1931, son couple, à ce qu’elle dit aux journalistes, ne résistant pas à sa surcharge de travail. Qui est en faute ? Les torts ont sûrement été partagés. Et est-elle aussi coupable si son amant se suicide, après d’autres paraît-il, sous ses yeux un an plus tard ? Difficile de juger.

C’est en 1935 que Vladimir Ghika revoit Alice Cocéa. En effet, Stanislas veut se remarier et ses parents ont approché Mgr Ghika pour voir ce qu’il pourrait bien faire pour annuler le mariage religieux, et ils veulent que Mgr Ghika témoigne du manque de préparation religieuse de la mariée et convainque sa compatriote de collaborer à la dissolution. Même s’il prend plutôt le parti des La Rochefoucauld, dans ses réponses aux questions de l’avocat de la famille, Vladimir Ghika reste assez prudent, car le mariage devant Dieu est chose sérieuse. Selon l’avocat, le mariage pourrait éventuellement être annulé si l’on prouve que la jeune femme ne s’est pas convertie au catholicisme de bonne foi. Vladimir Ghika fait remarquer qu’il est bien difficile de porter un jugement sur des sentiments éminemment intérieurs. Le fait est que Rome tarde à se prononcer. Et cela dure même des années.

La guerre éclate bientôt et c’est en lisant le journal que Vladimir Ghika apprend la suite de l’histoire. Il peut d’abord lire que les ex-époux sont tous deux emprisonnés en 1945 pour avoir collaboré avec l’ennemi. Lui, qui a écrit des textes anglophobes, est condamné à un an de prison et elle, qui a continué à diriger son théâtre sous l’Occupation, est… acquittée ! Peu après cependant, Stanislas obtient enfin l’annulation par Rome de son mariage religieux. Il peut se remarier avec une riche américaine…

L’on voit ainsi que, si Vladimir Ghika était souvent accommodant sur la forme, même en matière religieuse, il ne transigeait jamais sur l’essentiel : notamment sur le caractère sacré des actes religieux. Le mariage n’est pas un engagement à prendre à la légère, ni sa dissolution non plus.

Luc Verly


Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 10 / 2020, p. 27.