Alors que Vladimir Ghika se trouve au Japon, il reçoit une lettre d’Alexandru Lascarov-Moldovanu, datée du 1er octobre 1936. Même s’ils se connaissent depuis quelques années déjà, Vladimir Ghika s’en étonne auprès de sa belle-sœur, Élisabeth Ghika, quelques semaines plus tard : « Chose bizarre, la première lettre que j’ai trouvée ici [à Tokyo] était de l’excellent nouvelliste Roumain Lascarov-Moldovanu (le “pilier” du mouvement (…) vers l’Union des Églises, avec le Père Chiricutza). À côté de très-gentilles choses, il me disait que cette lettre accompagnait l’envoi <demeuré à Paris, lui[1]> de la traduction roumaine de la Femme Adultère qu’il venait d’achever, et qui est prête à l’impression. »
C’est le traducteur lui-même qui a pris l’initiative de la traduction, mais il est très conscient que l’éditeur sera difficile à trouver, comme il explique dans la même lettre, car ceux-ci sont réticents à publier un livre écrit par un orthodoxe converti au catholicisme : « Pe aici, editurile sunt toate închise [la minte] și neînțelegătoare, așa că pe ele nu se poate conta. Numai pe un tipar propriu. » Et c’est ainsi qu’en 1938, la traduction en roumain de la pièce de théâtre de Vladimir Ghika, la Femme adultère, est publiée par la Tipografia « Serafică » de Săbăoani-Roman.
Vladimir Ghika se propose de son côté de traduire des nouvelles d’Alexandru Lascarov-Moldovanu « que je joindrai à quelques-unes de Gala Galaction, pour faire connaître aux Parisiens sous le titre de Conteurs Roumains, des pages dignes d’être lues, aussi bien troussées que du Sadoveano, et mieux pensées. » Il ne semble pas que ce projet ait eu quelque suite, probablement du fait de la survenue de la guerre mondiale.
La relation entre les deux hommes se renforce après cela. Alexandru Lascarov-Moldovanu, qui publie beaucoup, des romans notamment, mais aussi et surtout, avec l’âge, des récits édifiants destinés aux enfants, dans un genre « moral chrétien », comme il le qualifie lui-même, demande à Vladimir Ghika de lui proposer des titres intéressants à traduire en roumain. Et c’est ainsi que sa bibliographie, que l’on peut voir sur la page Internet qui lui est consacrée, est, dans les années quarante, très fournie en séries d’historiettes destinées aux petits.
Alexandru Lascarov-Moldovanu, quoiqu’aujourd’hui un peu oublié, est alors un publiciste prolixe, qui se vend bien et n’est pas inconnu du grand public. Il figure dans les grandes anthologies et dictionnaires consacrés à la littérature roumaine. George Călinescu dit qu’il « desfășoară o vrednică activitate de propagandist creștin »[2].
Même si les liens semblent se relâcher pendant la guerre et dans l’après-guerre, l’admiration qu’Alexandru Lascarov-Moldovanu voue à Vladimir Ghika ne se dément pas, même après la mort de ce dernier. C’est ainsi que le Père lazariste François van der Jonckheyd rapporte cette anecdote : « Mr Moldoveanu-Lascarov[3] était venu un jour à la sacristie pour me demander quelques publications relatives à Mgr Ghika. Je pus le satisfaire assez facilement… J’avais aussi à la sacristie quelques paquets de petits papiers. Il m’a demandé de tirer un de ces feuillets. Quand il l’eut lu, il me déclara : “Père François, ce petit papier m’en dit certainement plus que tous les livres de votre bibliothèque.” »
[1] En fait le manuscrit de la traduction s’est perdu en route et Vladimir Ghika ira en chercher lui-même une copie à Bucarest en novembre 1937.
[2] Istoria literaturii române, p. 932, éd. 1982.
[3] Sic.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 10 / 2024, p. 27.