A la mémoire, de Mgr Ghika, Prince Roumain et apôtre à Paris
Allocution de son exc. Mgr. Rupp prononcée à la Radio le dimanche 2 janvier 1955
Depuis bien des années, protestants, orthodoxes et catholiques, se réclamant du même Dieu et du même Évangile, cherchent à se rapprocher les uns des autres. A la fin de ce mois, tout au long d’une semaine, ils vont prier pour que Dieu, par sa Grâce toute-puissante, les aide à retrouver l’Unité de l’Église établie par le Christ, il y a 1900 ans.
Des cérémonies auront lieu dans la plupart des Églises de France. Des rencontres entre des représentants des différents cultes ont eu lieu et auront lieu encore dans l’avenir.
Mais en marge de ces efforts, il faut signaler l’action individuelle de certains hommes, comme le Chanoine Hemmer, ancien curé de la Trinité, le Chanoine Boyreau, curé à Paris, son ami Lord Halifax, anglican, le R.P. Portai, l’Abbé Couturier de Lyon… Et parmi tous ceux-ci, je veux faire une place particulière, en ce jour, à Monseigneur Ghika, Prince roumain, martyr de la Foi.
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Vladimir Ghika est né à Constantinople, le jour de Noël 1873. Il appartenait à l’une des familles les plus influentes de Roumanie. Ses ancêtres furent longtemps Princes gouverneurs de Moldavie.
Très jeune, il vint en France faire ses études, d’abord au lycée de Toulouse, puis à Paris à l’École des Sciences Politiques. Élevé dans la religion orthodoxe, le prince avait une âme profondément religieuse. Mais il ne trouvait pas dans l’isolement national les secours spirituels qu’il souhaitait. Et il était tourmenté par cette recherche de l’unité des Chrétiens, que seule la Primauté de Pierre peut réaliser. Guidé par le Cardinal Mathieu, alors archevêque de Toulouse, il comprit que l’unité n’était possible que par l’union à l’Église Catholique Romaine. Devenu Docteur en Théologie, le prince voulut recevoir les Saints Ordres. Mais le Saint Pape Pie X lui conseilla de rester dans le monde et de vivre au milieu de ses frères pour travailler à la réunion des Chrétiens.
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Alors le Prince Ghika se consacra tout entier au service de la Charité, seul moyen de parvenir à l’unité des Chrétiens.
LA SEMAINE RELIGIEUSE DE PARIS
On le voit en 1904 à Salonique, chez son frère, Consul Général, se dévouer auprès des malades de l’hôpital quedirige une religieuse admirable, sœur Pucci, des Sœurs de Saint Vincent-de-Paul. Rentré à Bucarest, il fait venir sœur Pucci pour y fonder la maison des Filles de la Charité, qui devint par la suite un grand centre médical. Le Prince voyage beaucoup à travers le monde. Il profite d’un séjour au Japon pour y installer le premier couvent de Carmélites. En 1913, pendant la guerre que soutint son pays contre la Bulgarie qui luttait aussi contre les Serbes et les Grecs, il organise (aux côtés de sœur Pucci) l’hôpital pour les cholériques. Son dévouement lui vaudra de recevoir l’unique décoration — la médaille militaire — que son Roi Charles 1er décernera au cours de cette campagne sans combats.
L’influence du Prince ne cesse de grandir: il est reçu dans tous les milieux, littéraires, politiques, religieux, de son pays. Partout il est très estimé, surtout en raison de sa compréhension affectueuse du besoin des âmes, de sa grande bonté et de son humilité. Suivant le conseil de l’apôtre, il s’efforce d’être ,,tout à tous”.
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Mais le Prince Ghika n’est pas satisfait de son état. Il veut s’engager davantage au service de Dieu et de ses frères. Il veut être prêtre de Jésus-Christ.
Portant ce fervent désir dans son cœur, il arrive à Paris en 1922, auprès de son frère, ambassadeur de Roumanie. Poussé par son amour de notre pays, où il avait passé la plus grande partie de sa jeunesse et qu’il considérait comme une seconde patrie, il se fixe à l’abbaye Bénédictine Sainte-Marie, rue de la Source. Et l’année suivante, avec la permission du Pape Pie XI, il reçoit — à 50 ans — le sacrement de l’Ordre, auquel le préparaient admirablement sa vaste culture humaine et religieuse et la très haute sainteté de sa vie.
L’abbé Ghika veut le don total. Ayant fait vœu de pauvreté, il abandonne sa part de fortune et ainsi ,,degage”, il mène une vie d’apostolat infatigable et discret, cherchant à faire le bien à qui que ce soit, catholique ou orthodoxe, riche ou pauvre. Son amour des âmes et surtout des deshérités, est si grand qu’il finit par s’installer dans une baraque, à Villejuif, en pleine zone, afin de mettre une chapelle, et donc le Christ, à la portée d’une population déshéritée en tout. Si le premier contact fut rude, l’étonnante bonté du Père à la longue barbe blanche et au sourire délicieux, son héroïsme – son lit n’était qu’une simple planche — et la grâce de Dieu firent le reste. De quels bienfaits matériels et spirituels n’a-t-il pas secouru les pauvres réfugiés arméniens, russes et ukrainiens, dont il avait réussi à se faire aimer! Riche prince roumain, ayant renoncé à la carrière humaine et aux honneurs qui l’attendaient, il voulait vivre pauvre parmi les pauvres, offrant à Dieu ses prières et le sacrifice de sa vie pour la conversion de ses frères séparés.
LA SEMAINE RELIGIEUSE DE PARIS
Mais il doit quitter sa chère chapelle, sur l’ordre du cardinal Verdier qui l’a nommé Recteur de l’Église des étrangers, rue de Sèvres. A ce poste, il se dévoue inlassablement auprès des fidèles de toute langue, de toute condition, de toute race, qui trouvent en lui le ,,Saint” prêtre. Il noue des amitiés solides avec M M. Paul Claudel, Jacques Maritain, François Mauriac, Henry Bordeaux, Francis Jammes, Louis Massignon, Henri Gheon, Zeller. On l’apprécie et on l’aime dans tous les milieux. Et malgré son désir de vivre dans l’effacement, anonyme dans la foule des prêtres, il est élevé à la dignité de Protonotaire apostolique par le Pape Pie XI.
Pendant l’été de 1939, il est en Roumanie, dans sa famille. Assistant à la misère et au désarroi des réfugiés polonais, il décide, avec la permission du cardinal Suhard, de rester sur place, pour soulager, comme jadis, ces âmes désemparées. Et pendant la guerre, il est dans les hôpitaux au chevet des blessés ou bien dans les prisons. Il multiplie les interventions en faveur des prisonniers politiques. Quand la ville de Bucarest connaît les terribles bombardements de 1944, qui ont fait des milliers de victimes, il refuse de quitter la ville pour apporter le réconfort de la charité du Christ à tous ceux qui souffrent.
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Une si belle vie devait se terminer par le grand sacrifice. En 1948, le Roi Michel de Roumanie part en exil. Il a décidé d’emmener Mgr. Ghika avec son frère. Mais, sur le quai de la gare arrive une femme terrorisée qui voudrait fuir le pays. Mgr. Ghika, choisissant d’être victime, lui donne sa place et retourne à son poste d’aumônier des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Il y reste jusqu’en 1952, célébrant chaque jour sa messe à la chapelle, se dévouant auprès des malheureux, convertissant, baptisant, réconfortant, malgré les surveillances et les contrôles. D’abord placé en résidence forcée, où il est ,,très aimé” de ses gardiens, puis relâché à cause de son grand âge — il a 80 ans —, il est repris, jeté en prison et condamné aux travaux forcés. Mais Monseigneur Vladimir Ghika, prêtre catholique, prince roumain, rend sa belle âme à Dieu, après quelques mois de prison, le 16 janvier 1954.
C’est ainsi qu’a vécu cet apôtre au cœur ardent et généreux. Oui, ce fut un homme exceptionnel, il fut surtout prêtre de Jésus-Christ. Animé par ce grand idéal de l’unité de l’Église, il a travaillé de toute son âme à faire cette unité autour de lui, en Roumanie comme en France, en donnant le témoignage d’une vie faite de charité, de pauvreté, d’humilité, et qui s’est achevée dans le sacrifice total, librement consenti. Il aurait pu revenir en France où tant d’amis et son frère l’attendaient pour travailler à la conversion de son pays. Il ne l’a pas voulu. Il a choisi d’être victime. Il a été effectivement victime volontaire et martyr de sa foi. ,,Il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime”, a dit Jésus.
Aussi, demandons à Dieu qu’il daigne susciter d’autres serviteurs aussi zélés pour travailler à la gloire et à l’unité de l’Église du Christ.