Madeleine Bossy (1884-1940)
Lorsqu’en 1925 Vladimir Ghika achète à l’État français l’abbaye d’Auberive, en Haute-Marne, pour en faire le centre de sa Fraternité Saint-Jean, il ne s’imagine probablement à aucun moment que, tout près de là, à Langres, chef-lieu du département, vit, cloîtrée, une lointaine cousine.
Car Ana Magdalena Bossy, née à Iași en 1884, a pris le voile sous le nom de Sœur Marie-Anne de Jésus, chez les Annonciades Célestes, ordre contemplatif de femmes fondé à Gènes en 1604 par la Bienheureuse Maria Vittoria de Fornari Strata. Et quoique ce soit un ordre à la clôture monastique plutôt stricte, elle s’y sent bien, comme elle l’écrit à Vladimir Ghika le 30 janvier 1927 : « C’est si beau l’Annonciade, mais si caché, si caché, que peu d’âmes le comprennent. Et vous savez mon rêve pourtant !… Je voudrais tant que cette fleur exquise fleurisse par toute la terre, et fasse partout monter vers le Ciel son doux parfum d’action de grâces et d’amour ! »
Presque chaque fois que Vladimir Ghika passe à Langres, et il le fait au moins tous les 15 jours puisqu’il alterne entre 1925 et 1930 toutes les deux semaines séjours à Villejuif près de Paris et séjours à Auberive et que son train s’arrête en gare de Langres, il rend visite au monastère des Annonciades.
Lorsqu’ils ont l’occasion de parler ou dans leurs lettres, les deux exilés roumains évoquent leur désir de voir fleurir le catholicisme dans leur patrie d’origine. Si les rêves de Vladimir Ghika d’ouvrir une branche de sa Fraternité Saint-Jean en Roumanie s’effondrent avec la fermeture d’Auberive en 1931, ceux de Madeleine Bossy deviennent bientôt réalité. Un monastère de l’Annonciade est créé en 1937 à Moreni (Prahova) sur un terrain donné par Ala (Alexandra), femme de son frère, le général roumain Robert Bossy[1]. La condition mise par les autorités à cette fondation c’est qu’elle soit de rite gréco-catholique. Ainsi en sera-t-il.
Vladimir Ghika et sa belle-sœur, Élisabeth, soutiennent la fondation par des dons et en organisant en sa faveur des ventes d’objets divers.
Devenue abbesse de cette jeune communauté monastique, Madeleine Bossy ressent tout le poids des responsabilités pesant sur elle : « La tâche qui m’incombe pèse lourdement à mes faibles épaules. Et, certes, je ne l’aurais jamais assumée si des voix autorisées ne m’avaient certifié que telle était la volonté de Dieu. » Fonder une communauté et construire un lieu de vie pour celle-ci, c’est un chemin plein d’embûches pour quelqu’un qui veut vivre dans la prière loin du monde. Sœur Marie-Anne ne se réjouit d’ailleurs pas très longtemps de sa fondation, elle dont la santé a toujours été assez fragile, car elle décède le 29 octobre 1940, victime d’un cancer du foie, à l’hôpital Elias de Bucarest. Vladimir Ghika célèbre une messe à son chevet et l’accompagne dans ses derniers moments.
Au moins Madeleine Bossy n’aura pas la tristesse de voir son œuvre détruite par le régime communiste, car, à l’automne 1948, le monastère subit le sort de toute l’Église Gréco-Catholique et la vingtaine de religieuses est éparpillée. Aucune ne passera à l’orthodoxie et certaines d’entre elles poursuivront même leur vocation dans la clandestinité. Deux d’entre elles notamment, la Supérieure, la Sœur Maria Emanuela (Bîtică), et la Sœur Maria Clara (Isa Sion), pourront respecter leurs vœux parmi les religieuses catholiques du monastère de Timiș de Sus.
[1] Dans l’ouvrage Figuri ilustre din istoria Arhidiecezei Romano-Catolice de București, Editura ARCB, 2021, j’ai indiqué par erreur qu’elle était la femme de son autre frère, le diplomate Raoul Bossy.
Luc Verly
Articol publicat în traducere, într-o formă restrânsă, în Actualitatea creștină, nr. 11 / 2021, p. 27.