Comment ne pas être envoûté par la majesté des lieux, séduit par la noblesse de l’édifice ? Vladimir Ghika devait ressentir les mêmes impressions en découvrant cette merveilleuse abbaye laissée quasiment à l’abandon.
En acquérant ce joyau de l’architecture religieuse pour accueillir la Fraternité de Saint-Jean qu’il avait créée, a-t-il agit sur impulsion, sur un coup de cœur ou de manière réfléchie ?
J’aurais aimé savoir de quelle manière mon illustre aïeul est passé à l’acte ? Quelles ont été ses sentiments, ses motivations ? Et dans quelles circonstances a-t-il découvert Auberive ?
Peu de temps auparavant, il avait écrit un joli conte, une sorte de récit poétique admirablement illustré, sous le charme d’une autre abbaye où il avait résidé, celle de Talloires.
Y a-t-il pensé en découvrant Auberive ?
Il est évidemment attristant que cette belle aventure monastique n’ait duré que 4 ans en dépit du soutien financier important apporté par son frère adoré Démètre, mon grand-père. Mais Vladimir n’était sans doute pas un gestionnaire avisé, trop éloigné semble t’il des contingences matérielles.
On serait tenté de faire un parallèle entre l’histoire de l’abbaye et celle de mon grand-oncle.
Abbaye richement dotée en terres agricoles, forêts, têtes d’élevage, à l’instar de la « casa Ghika » la propriété de campagne de mes grands-parents, sise à Bozieni en Moldavie, où Vladimir aimait tant se ressourcer au milieu des siens.
Dans les deux cas, ces terres ont été démembrées, morcelées, voire dénaturées selon les aléas politiques et les convoitises diverses.
La Révolution a eu les mêmes effets dévastateurs sur l’abbaye, et sur tant d’autres en France, que l’installation du communisme en Roumanie vis-à-vis des communautés chrétiennes catholiques.
Ainsi à Auberive, l’ordre monastique cistercien est supprimé en 1790 et le domaine vendu comme bien national, tout comme la communauté des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul rassemblée par Vladimir à Bucarest a été dissoute par les autorités communistes et leur sanatorium transformé en hôpital public.
Auberive a également été une prison de femmes où Louise Michel fut détenue. Vladimir pouvait-il y voir une préfiguration de sa propre incarcération 30 ans plus tard ?
Le film d’Anca Berlogea rend bien compte de cette atmosphère si particulière qui se dégage d’Auberive, toute chargée d’histoire. Une histoire qui durant 4 années, croisa celle de Vladimir Ghika.